L’Actualité BOYCOTT TOTAL DES ÉLECTIONS EN KABYLIE

Des messages et des leçons à tirer

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Samir LESLOUS Publié 14 Juin 2021 à 00:08

© D. R.
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Au-delà des avis des uns et des autres, la défiance qui s’est exprimée lors du scrutin législatif rappelle fortement  que le destin de l’Algérie se joue aussi et surtout en Kabylie.

En Kabylie, les scores électoraux se suivent et se resemblent. Avec le taux dérisoire de 0,72%, annoncé par l’Anie locale, samedi à 20h, la wilaya de Tizi Ouzou n’a fait que conforter sa place en bas du tableau. Le score de 0,79% obtenu par la wilaya de Béjaïa et celui de 7% atteint dans la wilaya de Bouira ne valent guère mieux.

À suivre les manifestations de chaque vendredi dans cette région où la mobilisation est demeurée quasiment intacte depuis le début en février 2019, et aussi la force avec laquelle sont dénoncés, à chaque fois, l’organisation de cette élection et l’agenda du régime, par les milliers de manifestants qui y participent, de tels résultats n’ont rien de surprenant.

Smaïl et Djamel, deux activistes du Hirak, estiment même que ces résultats sont “au-dessus” de leurs attentes. Pour d’autres, l’essentiel est que la violence qui est, chaque fois, mise en avant pour expliquer la désaffection ne tient plus la route tant il n’y eut aucun empêchement. 

En effet, si les résultats de l’élection présidentielle et du référendum avaient été mis sur le compte de la violence qui avait émaillé le déroulement des deux scrutins, le résultat des législatives d’avant-hier a été beaucoup plus le fruit d’un refus des populations de se rendre aux urnes.

Bien que quelques tensions suivies d’affrontements aient été enregistrées dans certaines localités de Bouira, telles que Haïzer, El-Esnam et Bechloul, et la fermeture, dans l’après-midi, de 136 centres de vote à Tizi Ouzou qui en compte 704, ainsi que la fermeture des bureaux de vote dans 25 communes sur les 52 de Béjaïa, il est difficile de mettre ce rejet, devenu une tradition, sur le compte de la seule violence vu que les bureaux ouverts ont accueilli très peu de votants.

De surcroît, la fermeture des bureaux dans ces wilayas est souvent due à des incidents souvent mineurs comme l’a si bien reconnu le président de l’Anie à Tizi Ouzou, Youcef Gabi. “Il n’y a pas eu d’incidents majeurs. La situation est nettement meilleure comparée à celle des élections précédentes”, a-t-il déclaré à la presse.   Pour les militants et les observateurs, les raisons de cette désaffection sont ailleurs. “Cette aversion à l’acte électoral en Kabylie est le signe d’un malaise institutionnel profond.

Une rupture de ban avec un pouvoir jacobin, illégitime et incapable de traduire l’unité nationale dans le vécu des Algériens”, estime l’universitaire et militant politique, Belkacem Boukhrouf, qui considère que “la stigmatisation de la Kabylie, son maintien dans le sous-développement économique et son isolement socioculturel l’ont conduite à adopter une posture méfiante vis-à-vis des processus politiques du pouvoir central”. Il y a, dit-il, comme “un divorce consommé entre la Kabylie et les gouvernants omnipotents”. 

L’avocat et vice-président de la Ligue des droits de l’Homme, Aïssa Rahmoune, abonde dans le même sens en soutenant que ce rejet est loin d’être circonstanciel. “La Kabylie est connue pour ses positions historiques contre le pouvoir central issu d’un coup de force politique, d’un coup d’État militaire contre le GPRA, donc la tradition politique veut que la Kabylie soit une région frondeuse, une région qui s’oppose au régime central depuis l’indépendance du pays.

Le mouvement populaire, Hirak, n’a fait que confirmer les positions traditionnelles de cette région depuis l’Étoile nord africaine”, explique-t-il, ajoutant que “toute la marginalisation économique, sociale, culturelle et aussi politique qu’a subie cette région, principalement depuis les événements de 1980 et de 2001, a fait que sa population se sente victime”. Pour lui, le résultat de cette élection confirme que “la confiance est désormais rompue entre la Kabylie et le régime central”. 

Le militant politique, Salim Chaït, estime, lui, que ces rejets successifs devraient plutôt donner lieu à “une large concentration sur le devenir institutionnel de la région”, tant, ajoute-t-il, “la Kabylie n’accepterait pas une représentation par des personnes désavouées par 99,3% de la population”.

Des avis que refusent de partager des candidats à cette élection. “Avec le climat politique qui règne en Kabylie, ce ne sont pas les chiffres qui comptent, ceux qui deviendront députés n’auront pas un problème de légitimité. Notre région a toujours été dans l’option de boycott, et c’est une erreur stratégique, notamment maintenant que le Hirak est plus fort que jamais”, analyse un candidat, avouant, toutefois, qu’ils partiront “affaiblis”. “Dans l’hémicycle, on risque de nous dire que personne n’a voté pour vous, ici, on nous dira que vous avez participé contre la volonté populaire.

Nous serons donc affaiblis des deux côtés”, a-t-il affirmé sans cacher son appréhension quant à l’impasse à venir. “Sans député, les partis d’opposition risquent d’être affaiblis financièrement, les manifestants risquent de se retrouver sans député pour les défendre et nous sans légitimité pour agir. Tout le monde risque à présent de se retrouver dans l’impasse”, souligne-t-il.

Des propos qui font sourire l’avocat Hakim Saheb, qui estime que “c’est au régime politique de reconsidérer sa position vis-à-vis de cette région”. “S’il y a rejet massif dans cette région, c’est parce qu’elle est marginalisée aux plans politique, culturel et identitaire, et victime d’un sous-développement économique et social. Elle n’a pas eu ce qu’elle méritait en conséquence à ses sacrifices et son apport glorieux durant la Révolution.

Il s’agit donc d’un rejet politique systémique et réfléchi”, analyse Hakim Saheb pour qui ce rejet n’aura pas d’impact seulement sur la Kabylie puisqu’il ne manquera pas, dit-il, “d’accentuer, d’une part, l’illégitimité et la caducité de nos institutions et, d’autre part, le fossé qui sépare les gouvernants des gouvernés”. “C’est un mandat d’emblée entaché d’illégitimité”, dit-il. Au-delà des avis des uns et des autres, la défiance qui s’est exprimée lors du scrutin législatif rappelle fortement que le destin de l’Algérie se joue aussi et surtout en Kabylie.  
 

Samir LESLOUS

 

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