Culture Zahir Boukhelifa, auteur du roman “Noces de laine”

“Les œuvres inachevées sont celles qui aboutissent le mieux”

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Mohamed MOULOUDJ Publié 01 Mars 2021 à 21:49

© D. R.
© D. R.

Le  journaliste Zahir Boukhelifa  se  lance  désormais  dans  la littérature, avec son premier roman Noces de laine, en attente d’édition  en Algérie. Dans cet entretien, il évoque son choix de s’installer définitivement dans le paysage littéraire. Il traite également de l’écriture romanesque, de son propre livre ainsi que ses projets futurs. 

Liberté : Vous venez de publier votre premier  roman  intitulé Noces de laine. Pouvez-vous revenir sur l’histoire de cette œuvre ? 
Zahir Boukhelifa : C’est une nébuleuse de petites histoires qui s’imbriquent et s’entrechoquent pour libérer une énergie et donner naissance à un récit à la fois intime et commun à une génération bien particulière. Une génération orpheline de toute épopée historique, biberonnée aux mythes farceurs de celles qui ont précédé. 

En résumé, c’est les récits croisés d’une mère et d’un enfant dans la Kabylie des années 1980. Une tresse d’événements ordinaires, accrochée au temps qui passe, semblable à celles qui pendulent sous les foulards bariolés des petites têtes de nos grand-mères. C’est un peu l’histoire de la veuve et de l’orphelin. 

Tout démarre d’un récit de vie qui aboutit à un hommage à la maman et à la région. Pourquoi cet enchevêtrement ? 
Je suis allergique aux hommages. Je trouve que, même sincères, ils trahissent l’inavouée volonté de satisfaire un besoin narcissique. Ce en quoi nous croyons ne doit pas faire l’objet d’un cérémonial commémoratif cyclique, mais il doit être une continuité de nos vies, une seconde nature. Au lieu d’enchevêtrement, je dirais plutôt tissage. Ce roman est l’ouvrage d’une tisserande qui allie bois, fer, laine et lin pour élever ses enfants avec l’art et la manière d’une mère-courage.

Enfant, elle a inondé mes yeux de couleurs et mes sens de saveurs. Comme je suis toujours un piètre peintre, je me suis rabattu sur les mots et la littérature, pour qu’il soit dit, écrit quelque part dans cet univers que ce bout de femme, qui est ma mère, existe. Pas pour lui rendre hommage, loin de là, car elle n’en a pas besoin, en tous les cas pas de moi. Comme je ne suis pas régionaliste ni sectaire, ma mère vient des At Yejjer et moi, donc mon père, d’Awzellagen, je dirais plutôt que j’ai une identité homogène et apaisée. Même si, au-delà de ma maman et de la dechra, d’où nous sommes partis pour conquérir le monde, c’est la célébration, l’affirmation de cette mère, de cette langue que nous avons tétée, à laquelle nous avons donné une patrie, dont il s’agit dans ce roman. 

Au-delà du texte qui reste une première expérience, quel regard portez-vous sur la littérature algérienne d’expression française ? 
Les œuvres inachevées sont généralement celles qui aboutissent le mieux. Le parachèvement est une donnée subjective fournie par l’auteur pour contenter ceux qui travaillent à vivre de ça, je veux dire les éditeurs. Mais l’aboutissement c’est tout autre chose, c’est la perception qu’ont celles et ceux qui sont à l’autre bout de la chaîne. Et c’est là où réside le commencement.

S’aventurer en littérature c’est un peu comme faire une balade de santé en politique, mais à un niveau supérieur. La langue utilisée n’est autre que le résultat d’une Histoire, d’un  élément  jadis conquérant, qui était  là  malgré l’auteur.  La  littérature  à  laquelle  vous  faites  référence  qui  est  certes d’expression française, mais intrinsèquement d’inspiration kabyle. 

Noces de laine n’a rien à voir avec un quelconque anniversaire de mariage qu’il ait sept ans ou cinquante-neuf ans. Mais tout simplement au trousseau de la mariée et au nombre d’étoffes de laine qui le compose. Par le nombre, on peut déterminer qui elle est, et davantage si elle ne serait pas, par le grand des hasards, la fille du pauvre. 

Revenons maintenant à la littérature algérienne d’expression française…
En littérature, la langue est transparente ; à travers  elle  se  reflète une réalité complexe. Cette réalité déteint fortement sur la manière de raconter et donne une sorte de langue intermédiaire, un genre de créole littéraire. Ce processus est le même, qu’on soit à Tizi Hibel, Saint-Denis ou à Cayenne. Pour revenir à votre question et au regard que je porte sur cette littérature, je peux vous dire qu’il est toujours partagé entre les deux Dda Mouloud.

Hiérarchiquement, l’un est instituteur et l’autre professeur à l’université, mais une fois au village ils deviennent tous les deux des amusnaws, des personnes importantes, si ce n’est les plus importantes du village. À l’image de Jean Lmuhub Amrouche et de Jean Sénac, cette littérature est avant tout celle de la révolution de 1954, celle sans laquelle aucun dialogue ne serait devenu possible et surtout aucun accord ne serait signé à Évian ni à Ouled Fayet.

Tous ces  gens  avaient  des  mots  pour  affronter  la  France  et  pas  des mitraillettes. Mais tout ça, c’est comme parler de la préhistoire pour ceux et celles qui aujourd’hui, formatés, usés  jusqu’à la  moelle  par  un  discours islamo-conservateur qui a toujours  su  s’enduire  la face des couleurs des puissants du moment.

Ils s’érigent en étendard d’un nationalisme foncièrement antinational et profitent allégrement comme s’ils étaient les artisans de la victoire finale. Cette littérature c’est comme traverser d’un quai vers un autre. Le premier, fleuri et agréable à regarder même s’il ne répond plus, puis l’autre incertain, mystérieux même si malgré la langue qui paraît familière, l’endroit demeure étranger. Pas comme cette enclume de forgeron qui demeure la même à Riga, à Zielona Gora ou à Tizi Ldjemaa. 

“De nouvelles plumes” se sont  distinguées depuis quelques années en traitant des sujets liés principalement  à une actualité politique brûlante comme l’islamisme. Vous avez fait un clin d’œil à cette nébuleuse, mais sans approfondir la thématique. Pourquoi ? 
La mutation des journalistes vers un statut d’écrivain a contribué à ce que la littérature prenne en charge des thématiques d’actualité. Néanmoins, le résultat est mitigé, parce que certains auteurs perdent de vue l’essentiel qui est d’inventer des histoires. Écrire un roman c’est comme créer de la vie, qui s’anime, halète, s’épuise le long des pages.

Pour ma part, même si je me revendique de l’école sansalienne, j’ai préféré effleurer ce problème, parce qu’il était quasi inexistant à l’époque où j’ai situé mon roman.  La  Kabylie  de  mon enfance avait des rêves de berbérité et de liberté  plein  la  tête.  J’ai  choisi  l’authenticité  pittoresque  de  l’enfance  à l’opportunisme. 

J’ai préféré souligner le paganisme des miens, dissimulé sous les us et coutumes, et le remettre au goût du jour face à cette déferlante islamiste. Pour autant, je trouve judicieux de déterrer un cadavre dans l’Étranger et de contre-enquêter. C’est un choix à faire, pour ma part je continue à interroger le mythe de Sisyphe. 

Noces de laine a eu un accueil plutôt favorable. Quand est-ce qu’il sera édité en Algérie ? 
À en juger par le volume des ventes sur les plateformes, oui je peux avancer que l’accueil  est  plutôt  favorable pour une première édition.  Par contre, je persiste à dire que Noces de laine n’est pas  un  livre  événement, mais une œuvre conçue pour durer dans le temps.

Quant à sa sortie en Algérie, elle dépend des maisons d’édition, pas de moi. Mais je crois savoir que les craintes viennent plus de mon engagement politique, ce que je comprends parfaitement. Des fois, un éditeur doit partager au moins une vision avec l’auteur, ce qui n’est pas le cas. À voir comment les choses évoluent, je dirais qu’il n’existe aucun compromis possible. 

Des projets littéraires à l’avenir ?
Oui, bien sûr, je m’installe définitivement dans le paysage littéraire. Je me suis permis un exil dans la langue de Molière, mais il n’est pas définitif.  Je compte rentrer en littérature  kabyle  et  produire  dans cette  belle  langue  qui  est  la mienne. Bientôt, la nature reprendra ses droits.
 

Propos recueillis par : MOHAMED MOULOUDJ

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