Ils font le pied de grue à l’aéroport dans l’espoir de trouver une place. Non seulement les vols sont rares, mais la vente des billets est compliquée à cause de la saturation du site d’Air Algérie. Le numéro de téléphone de son centre d’appels n’est plus en service.
Entre l’Algérie et la France, il y a la Méditerranée et le balisage de file d’attente à l’entrée n°42d d’Orly. Les cordons constamment ajustés par les agents de sécurité, séparent deux catégories d’Algériens. Les chanceux parfaitement alignés dans la queue, avec familles et bagages, se succèdent dans l’aérogare, afin de prendre l’avion pour Alger.
Les autres forment une foule de laissés-pour-compte, massés sur le côté, à proximité du portique. Dans le groupe de quelques dizaines d’individus, il y a de vieilles personnes épuisées de fatigue, des hommes et des femmes plus jeunes, qui se bousculent et perdent patience.
Certains négocient hardiment avec les agents de sécurité pour accéder au hall où se trouve le comptoir d’Air Algérie, alors que d’autres scrutent désespérément l’arrivée d’un responsable de la compagnie munie d’une liste d’attente sur laquelle ils pourraient porter leur nom.
Depuis l’ouverture partielle des frontières et la reprise des vols entre Paris et Alger le 1er juin dernier, Abdelkader 82, retraité, se rend à l’aéroport pratiquement deux fois par semaine : le mardi et le jeudi, jours de programmation des vols d’Air Algérie à destination d’Alger. En ce jeudi 1er juillet, malgré la chaleur et son hypertension, le vieil homme reste debout toute la matinée devant le terminal, à l’affût d’informations et éventuellement d’une place d’avion.
“Je ne suis pas allé en Algérie depuis mars 2020 alors que j’avais l’habitude de m’y rendre au moins trois fois par an. J’ai, là-bas, une maison et un lopin de terre qui n’est plus cultivé. Dieu a peut-être prévu que je meure ici en France, ce pays pour lequel j’ai déjà donné ma santé et ma vie”, se plaint l’octogénaire, ancien militant de la Fédération de France du FLN pendant la guerre d’indépendance.
Près de lui, Ali, lui aussi retraité, se demande comment les voyageurs sur le point de partir ont pu acquérir des billets alors qu’il n’a pas eu la possibilité de modifier le sien, acheté il y a un an, avant le début de la crise sanitaire. “C’est un mystère !”, constate-t-il intrigué en précisant qu’un message notifiant une erreur s’affiche systématiquement lorsque l’on veut prendre ou modifier une réservation sur le site internet d’Air Algérie et que, par ailleurs, l’agence de la compagnie est toujours fermée à Paris.
“Ce n’est même pas la peine de téléphoner. Le numéro est hors service”, complète Nassiba, qui cherche désespérément à se rendre à Alger, au chevet de son frère malade.
“Je ne m’occupe plus ni de mes enfants ni de ma maison. Cette histoire de billet me rend folle. Même ici, à l’aéroport, personne ne veut nous donner d’explications. On nous méprise. Nous sommes abandonnés par l’État algérien qui nous traite de sous-citoyens”, dénonce la jeune mère de famille.
Autour d’elle, la foule grossit. Elle s’agite au fur et à mesure que le temps passe. Le vol pour Alger est prévu à 13h55 et il est déjà midi. “Ayez pitié de nous. Vous ne voyez pas que certains parmi nous sont très âgés et malades”, hurle une vieille dame, appuyée sur une béquille, à l’attention d’un employé d’Air Algérie, qui apparaît furtivement à l’entrée 42d. Un autre, en sortant pour récupérer de gros colis, est hélé de toutes parts, mais il se dérobe en affirmant ne pas travailler pour la compagnie.
“Il y a des malades en fin de vie qui souhaitent être enterrés là-bas. Mais on ignore leur souffrance. C’est comme s’ils étaient déjà morts”, dit-elle, très bouleversée.
Son émotion électrise davantage l’atmosphère. Mohamed, qui a perdu son frère en Algérie sans pouvoir lui dire adieu, a dû également laisser la dépouille de sa belle-sœur partir, seule, dans un cercueil en mars dernier, est sur le point d’exploser. “En Algérie, plus personne ne respecte les gestes barrières, mais c’est à nous de payer le prix de la Covid”, dit-il exaspéré. Mohamed veut à tout prix partir en Algérie, pour cela il a non seulement reçu les deux doses de vaccin mais se dit prêt à acheter un nouveau billet à une autre compagnie qu’Air Algérie, alors que celle-ci ne lui jamais remboursé une précédente réservation faite en février 2020.
Dalila et ses trois enfants devaient regagner Alger, ce 1er juillet. Miraculeusement, la mère de famille a réussi, il y a une quinzaine de jours, à joindre Air Algérie au téléphone et à acheter des billets pour un départ depuis l’aéroport de Paris Charles-de-Gaulle. Mais son vol a été annulé à la dernière minute.
“On m’a demandé de venir à Orly et d’essayer de m’inscrire sur une liste d’attente. Mais je n’y arrive pas”, dit-elle épuisée par un réveil à 4h et ses gamins qui courent autour du chariot plein de valises.
Assia est dans la même situation. Elle campe également à l’entrée de l’aérogare avec ses bagages.
“Comment peut-on parler de réouverture des frontières avec deux départs par semaine. Même les vols de rapatriement étaient plus nombreux. Il y en avait un par jour et les gens qui venaient à l’aéroport pouvaient s’inscrire facilement sur les listes d’attente”, souligne la jeune femme dépitée.
Comme beaucoup de présents, elle a exploré toutes sortes d’autres moyens pour retourner en Algérie. En vain. “Nous n’avons même pas la possibilité de partir par la Tunisie à cause de la fermeture des frontières terrestres”, déplore-t-elle.
Dans les discussions qui s’enchaînent, les uns et les autres comparent évidemment leur sort à celui d’autres pays autorisés à rentrer chez eux cet été, en masse et à bas prix.
“J’ai eu les larmes aux yeux en regardant par la fenêtre mes voisins partir pour l’aéroport”, confie encore Assia.
Dans la file d’attente, beaucoup de familles disputent la place aux voyageurs algériens qui arrivaient par groupes.
Leïla, sa mère et sa sœur sont venues de Bruxelles et font partie du vol de 13h55. À la question de savoir comment elles ont acheté leurs billets alors que le site de vente d’Air Algérie affiche constamment un message notifiant une erreur, les passagères révèlent qu’elles ont insisté en réactualisant la fenêtre des réservations plusieurs fois.
“Nous sommes finalement parvenues à acheter des places à 580 euros, mais pour l’aller uniquement. Une fois à Alger, nous devrons réserver le retour avec Air France certainement”, explique Leïla.
Akli dit aussi avoir pu trouver des places sur le site d’Air Algérie, après plusieurs essais. “Je vais en Algérie pour assister au mariage de ma sœur. J’y resterai dix jours”, fait-il savoir.
Vers 13 heures, l’enregistrement pour le vol d’Air Algérie est terminé et avec lui l’espoir de Dalila et d’Assia d’être à bord. Harassées par le périple qui les a menées de Roissy à Orly, elles sont allées prendre le bus pour rentrer chez elles.
Abdelkader compte, pour sa part, revenir à l’aéroport, autant de fois qu’il le faudra pour dégoter une place.
“Ils finiront peut-être par rouvrir les frontières. Qui sait ?” dit-il, mais sans trop de conviction.
Parmi les présents, certains vont même jusqu’à se poster devant des véhicules diplomatiques algériens stationnés devant l’aérogare, dans l’espoir de voir les représentants consulaires qui coordonnent l’opération de reprise des vols. “Ma mère est très malade. Elle sait qu’elle va mourir et veut être enterrée en Algérie”, confie Hassina. Le dossier médical de sa maman dans le sac, la jeune femme épie l’arrivée d’un responsable qui pourrait l’aider à acheter un billet.
“On sait très bien comment fonctionne notre pays. Il faut toujours faire intervenir quelqu’un pour obtenir quelque chose. Parmi les voyageurs qui viennent de prendre l’avion, certains, j’en suis sûre, ont fait jouer leurs connaissances pour avoir des places”, suggère-t-elle.
De Paris : SAMIA LOKMANE-KHELIL