Éditorial

Un air de "LIBERTÉ" s’en va

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Abrous OUTOUDERT Publié 14 Avril 2022 à 12:00

Aujourd’hui, vous avez entre les mains le numéro 9050 de votre quotidien Liberté. C’est, malheureusement, le dernier. Après trente ans, Liberté disparaît du paysage médiatique algérien. Des milliers de foyers en seront privés, ainsi que les institutions dont les responsables avouent commencer la lecture par notre titre pour une simple raison ; c’est qu’il est différent des autres.
Pour cet ultime numéro, nous avons invité nos journalistes à exprimer leur ressenti, à raconter leur expérience, à rappeler ce qui faisait leur quotidien. Pour certains depuis plus de vingt ans. Plus qu’une histoire, une vie professionnelle entière consacrée, corps et âme, à ce noble métier.
L’amertume reste cette mort subite du titre que personne ne s’attendait à ce qu’il tombe aussi sèchement tel un couperet qui ne laisse la place à aucune chance de survie.
La dernière réunion de rédaction d’hier a été consacrée à une sorte de thérapie collective où chacun avait à évoquer son passage au journal. En plus de l’émotion, ce qui ressort des prises de parole des uns et des autres est cette fierté du devoir accompli pour accompagner des pans entiers de la société civile en leur donnant la parole et en leur ouvrant les colonnes du journal pour porter leur voix et leurs revendications légitimes. À une autre échelle, le “Forum de Liberté” a constitué un carrefour d’échanges et un véritable espace pour des débats contradictoires avec des invités de marque. Nous avons reçu des responsables de parti politique, des ministres, des économistes, des intellectuels et des artistes. Les débats étaient sans tabou. En peu de temps, ce qui avait été conçu comme un lieu de rencontre est vite devenu un événement incontournable. On peut dire la même chose de la page 5 communément appelée le “Radar de Liberté”, qui a connu un tel succès que certains confrères ont voulu faire comme nous.
C’est ce qui a fait que Liberté est sorti du lot pour se placer en tête avec des tirages qui frôlaient les 300 000 exemplaires dans les années 1990-2000. La recette, c’est l’esprit de famille qui régnait au sein l’équipe rédactionnelle.
Liberté, journal généraliste par excellence, a réussi à pénétrer dans les foyers grâce à ses rubriques variées qui satisfaisaient chaque membre de la famille. Gare à l’époux qui rentre le soir chez lui sans le journal !
Après la période des années noires 1992-2000 où le journal a perdu quatre de ses collaborateurs, connu six suspensions, l’équipe n’a pas baissé les bras malgré le danger quasi permanent qui pesait sur la famille de la presse, soudée et solidaire comme jamais.
Liberté a fêté son 10e et son 20e anniversaire, mais pas le 30e, qui aurait dû l’être le 27 juin prochain.
En vingt ans passés à Liberté en trois périodes, des dizaines de faits m’ont marqué pour longtemps, dont le premier eut lieu le 4 décembre 1995, lorsque d’un avion en partance pour Paris recevoir, au nom de la presse algérienne, le prix Noureddine-Aba, je me suis retrouvé à 19h à la prison Serkadji, pour avoir donné un Radar sur le directeur de cabinet du président Zeroual. L’info : on avait écrit que M. Betchine était pressenti au poste de ministre de la Défense.
L’autre fait marquant demeurera l’assassinat de Hamid Mahiout et d’Ahmad Benkhelfellah, dit Hamidou, le 2 décembre 1995. L’atrocité fut à son comble quand ils ont été décapités et leurs têtes placées sur des piquets d’un établissement scolaire.
Il y eut aussi des moments de joie, d’amitié sincère et une solidarité à toute épreuve.
Liberté a été plus qu’un titre de presse. Grâce à son lectorat, il fait partie du patrimoine national et le bien de chaque Algérien qui se reconnaît dans sa ligne éditoriale qui n’est ni d’opposition ni pro-pouvoir, fidèle à sa devise : “Le droit de savoir, le devoir d’informer.”
Après la décision de l’actionnaire principal de dissoudre le journal, un élan de solidarité venant de toutes parts nous a consolés quelque peu par cette démonstration que Liberté ne mourra pas dans l’anonymat. C’est pourquoi l’équipe a tenu à continuer à le fabriquer jusqu’à l’ultime bouclage, avant sa mise à mort. ■

  • Editorial Un air de "LIBERTÉ" s’en va

    Aujourd’hui, vous avez entre les mains le numéro 9050 de votre quotidien Liberté. C’est, malheureusement, le dernier. Après trente ans, Liberté disparaît du paysage médiatique algérien. Des milliers de foyers en seront privés, ainsi que les institutions dont les responsables avouent commencer la lecture par notre titre pour une simple raison ; c’est qu’il est différent des autres.

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    Abrous OUTOUDERT Publié 14 Avril 2022 à 12:00