L’homme qui a toujours voulu mourir au pouvoir s’est éteint loin des projecteurs. Ses partisans qui l’adulaient jusqu’à la sacralisation lui ont tourné le dos une fois chassé du pouvoir. La vie et la mort d’Abdelaziz Bouteflika illustrent parfaitement la nature cruelle du système et de ses hommes.
L’ex-président de la République Abdelaziz Bouteflika est mort dans la soirée de vendredi à l’âge de 84 ans. L’information relayée dès 22h par des internautes demeurait, néanmoins, incertaine, tant-il est vrai que l’annonce de sa disparition avait fait le buzz sur la Toile à plusieurs reprises avant d’être démentie, et ce, depuis le début de ses problèmes de santé, accentués par une éclipse totale des écrans et de la vie politique, aussi bien à l’intérieur du pays que sur la scène internationale.
Un communiqué de présidence de la République repris par la chaîne de télévision publique interviendra, cette fois, vers 23h, pour confirmer l’information de son décès. Et fait marquant de cette annonce, autant sa présidence sans partage, quatre quinquennats durant, constitue la plus grande longévité d’un chef de l’État à la tête du pays, autant l’indifférence de la rue et même des élites au lendemain de cette disparition était éloquente.
Partagés entre les ressentiments éprouvés par des millions d’Algériens à l’égard du legs chaotique de sa gouvernance et la retenue qu’il sied d’observer devant la mort, les avis des uns et des autres furent des plus concis. Une gêne vraisemblablement éprouvée au sein même des plus hautes sphères du pays. D’aucuns pensaient qu’il s’agissait plutôt d’un exil doré passé entre Abou Dhabi, Paris et Genève.
L’annonce de la tenue d’une élection présidentielle anticipée, après la démission du président Liamine Zeroual, le propulsera sur le devant de la scène politique comme candidat en puissance à la succession. Dans une Algérie meurtrie par une décennie de barbarie islamiste, Bouteflika se présentait comme le pacificateur providentiel qui allait rétablir la paix dans le pays au moment où tous s’accordaient à dire que militairement, le terrorisme était vaincu.
Six mois après son élection avec 75% des voix selon les chiffres officiels de l’époque, son projet de loi portant concorde civile, qui avait constitué son cheval de bataille lors de sa campagne électorale, est approuvé par référendum en septembre 1999.
Un début de règne qui sera marqué notamment par la repression sauvage des jeunes manifestants en Kabylie au printemps 2001, au lendemain de l’assassinat du jeune Guermah Massinissa. Néanmoins euphorique, il accordera aux islamistes une plus large concession, l’amnistie à travers une autre loi portant réconciliation nationale, entérinée en 2004 à hauteur de 80% par voie référendaire.
Entre-temps, l’homme qui voyageait beaucoup multipliait les promesses de réformes profondes et de relance économique qui n’aboutiront jamais. Système éducatif, code de la famille, édifice institutionnelle, justice, libertés démocratiques, projets structurants… sont autant de chantiers présumés ouverts dès son premier mandat et qui ne seront jamais parachevés.
Constitutionnellement éligible pour un second quinquennat à la tête de l’État, Bouteflika, qui s’était offert l’allégeance des partis politiques dits influents, fera de la nécessité du parachèvement de ses chantiers son credo pour briguer une nouvelle mandature.
Cela se passera non sans avoir orchestré un honteux coup de force pour éjecter son concurrent direct de la direction du FLN, Ali Benflis, qui fut son directeur de campagne, puis son chef de gouvernement, devenu un concurrent encombrant dès 2004. Calculateur, la filiation au vieux parti, dont il allait devenir le président, légitimait davantage ses ambitions à ses yeux.
Une fois de plus, Bouteflika est élu à la Naegelen comme l’on pouvait s’y attendre, au moment même où ses ennuis de santé commençaient à la fin de l’année 2005. Un quinquennat semblable au précédent marqué par des déprédations sans précédent des deniers publics.
Ressources faramineuses consenties pour la plupart à soigner l’image de marque d’un président dont le magistère était en net déclin plutôt qu’à propulser une économie agonisante. Et c’est à la faveur d’un double viol de la Loi fondamentale avec la complicité de formations politiques soumises que Bouteflika glanera un troisième, puis un quatrième mandats pendant lesquels, il “officiera” par délégation aux destinés du pays.
Dès lors, la corruption et la prédation érigées en modèle de gestion dans un pays à la dimension d’un continent précipitera dans le chaos le pays et sa chute devenue inéluctable après son intention affichée de briguer un cinquième mandat. Le soulèvement populaire du 22 Février 2019, qui mettra à nu la filouterie de l’homme et de son clan, mettra un terme à un règne tumultueux de 20 années du bouteflikisme.
Kamel GHIMOUZE