Après 6 mois d’incarcération à la maison d’arrêt de Tamanrasset, notre journaliste Rabah Karèche retrouve sa liberté. Il avait été condamné en appel à une année de prison dont 6 mois ferme.
Un immense soulagement. La fin d’une longue privation de liberté. C’est aussi la fin d’un cauchemar pour son épouse, ses enfants, son frère et ses amis. À 11 heures, quand Rabah Kareèche quitte enfin la prison de Tamanrasset, ce mardi 19 octobre, au terme de six mois d’incarcération, ses enfants en bas âge accourent vers leur père. Lorsque sa fille se jette dans ses bras, Rabah Karèche goûte les premiers instants d’une liberté retrouvée. L’émotion était à son comble, hier, au moment où le détenu de la liberté de la presse fait ses premiers pas, à l'extérieur de la maison d'arrêt, en homme digne et heureux.
La libération de notre collègue était sur toutes les lèvres dans cette ville du Grand Sud algérien, où Karèche jouit d’une grande respectabilité. Ces premiers mots étaient à l’adresse de celles et de ceux qui l’ont soutenu pendant son incarcération. “Je n'aurais jamais assez de mots pour remercier tous ceux qui m’ont soutenu, pendant ces six mois de détention. Sans cet élan de solidarité qui m'a été manifesté de partout, je n’aurais pas tenu le coup”, a-t-il lâché, les larmes aux yeux. “J’ai lu et entendu toutes ces marques de solidarité qui m’ont été adressées par mes confrères, les avocats, des citoyens anonymes et des organisations de la société civile. Cela m’a beaucoup aidé en prison pour faire face à cette épreuve”, souligne-t-il. Placé sous mandat de dépôt, le 19 avril 2021, pour des écrits de presse publiés dans Liberté, Rabah Karèche a d’abord passé 4 longs mois en détention provisoire, avant d'avoir droit à un procès, le 5 août dernier.
Il faut rappeler qu’il s’agit bien d’un procès unique en son genre, puisque c'est la première fois dans les annales de l'Algérie indépendante qu’un journaliste se voit reprocher d'écrire des articles de presse. Une affaire inédite qui marquera sans doute pendant longtemps l'institution judiciaire censée pourtant appliquer à la lettre et dans l’esprit, les lois de la Constitution qui énoncent clairement qu’un journaliste ne peut pas faire l’objet de poursuites judiciaires pour des articles de presse. Lors de son procès, en première instance, le 5 août, ensuite en appel, le 4 octobre dernier, Rabah Karèche sera pourtant interrogé uniquement sur ses articles, ses intentions (! ) à travers la rédaction de ses compte-rendu ou encore le choix des titres.
Un précédent dans l'histoire du journalisme en Algérie, car ce qui était reproché à l'accusé était clairement en lien avec les couvertures des manifestations populaires, à la mi-avril 2021, contre le nouveau découpage territorial, rejeté par les citoyens de Tamanrasset. En exerçant son métier, avec une extrême rigueur, Rabah Karèche s'est retrouvé donc devant le juge pour s'expliquer sur ses articles. Mais outre le contenu de ses écrits, il a été également sommé, de longues heures devant le juge, d'expliquer pourquoi il avait relayé, sur sa page Facebook, le lien des mêmes articles publiés sur le site électronique de son journal, Liberté.
Les chefs d’inculpation retenus contre lui étaient lourds : “Diffusion volontaire de fausses informations susceptibles d’attenter à l’ordre public”, “création d’un compte électronique consacré à la diffusion d’informations susceptibles de provoquer la ségrégation et la haine dans la société” ou encore “atteinte à la sûreté et à l’unité nationale”. Des accusations, disons-le, absurdes et infondées et qui ont fini par donner à cet étrange et long procès une résonance tragicomique. Mais devant ce flot de reproches, le journaliste Rabah Karèche, qui a comparu deux fois par visioconférence depuis sa prison, a su rester digne et fait preuve d’une lucidité exemplaire. Avec une grande sérénité, mais surtout parce qu’innocent, Il démontera une à une ces accusations.
“J’ai hâte de reprendre ma plume”
Hier, à sa sortie de prison, notre journaliste confiera que ce qui l'a marqué le plus dans cette épreuve est le caractère “abusif” de ce procès. “J'étais loin de penser qu'un jour je me retrouverai derrière les barreaux pour avoir exercé seulement mon métier dans les règles et la rigueur de la profession.” “J’ai toujours cru et je continue de croire que notre métier à ceci de noble. Je me suis retrouvé à m'expliquer sur des couvertures de presse tout à fait classiques, en rapportant notamment les faits tels qu'ils se sont déroulés”, a-t-il dit, en déclarant “avoir vécu cette ‘sentence’ comme une injustice insupportable, un mépris et un abus de pouvoir”. Pendant son emprisonnement, Rabah Karèche n'a pas cédé à la “misère” du milieu carcéral. L'élan de solidarité spontané né de cette violence contre un journaliste indépendant et professionnel a été, pour lui, une source de consolation et de courage pendant six longs mois. “J'ai vu la misère de la prison.
C'est marquant comme expérience. J’aurais pu craquer. Mais c'est grâce au soutien exceptionnel dont j'ai bénéficié que je n’ai pas cédé”, a dit Karèche, ce journaliste que même ses codétenus admiraient. “Un autre fait, avoue-t-il, qui m’a marqué.” “Ils m’ont apporté du réconfort. Tout le monde connaît là-bas mon dossier. Ils savent que j’ai été injustement arrêté. Ils m’ont quelque part "adopté " dès les premiers jours. Quelques-uns venaient vers moi pour me demander de leur écrire des lettres pour leurs proches. D'autres pour écrire leurs histoires et les raisons qui les ont menés en prison. Ils me demandaient sans cesse de publier leurs histoires, une fois ma liberté retrouvée. J’ai même servi d’interprète, en prison, quand on ramenait des étrangers ; des Subsahariens”, raconte encore le journaliste, devenu, le temps de sa détention, “l’écrivain public” de la prison de Tamanrasset.
Ce 19 octobre, à trois jours de la célébration de la Journée nationale de la presse, Rabah Karèche arbore un visage serein et le regard déterminé. Sans aucun doute : son expérience, et toutes ces épreuves vécues ne feront que forger davantage la détermination de ce vigile du Grand Sud algérien à poursuivre sa mission de journaliste. “J’ai déjà hâte de reprendre ma plume. J'ai hâte d' écrire encore et rapporter les faits de Tam, cette ville que j’ai adoptée il y a quinze années. Ici, c’est mon milieu naturel. J’espère que notre profession retrouvera ses lettres de noblesse et que nos dirigeants comprendront que le journalisme est vital pour notre pays.”
De notre envoyé spécial à Tamanrasset : Karim Benamar