Beaucoup de citoyens éligibles à l’injection retardent l’échéance, préférant attendre d’y voir plus clair quant à l’efficacité des vaccins. Mais d’autres estiment que devant le risque que représente la maladie, ils n’ont d’autre choix que de se faire vacciner le plus rapidement possible. Témoignages.
En ce matin du mardi 27 avril, moins d’une dizaine de personnes se sont présentées au niveau de l’établissement public de santé de proximité (EPSP) de Notre-Dame d’Afrique pour recevoir leur première dose du vaccin le plus boudé dans le monde.
En Algérie, le vaccin AstraZeneca subit à la fois une certaine méfiance de la population et une limitation aux personnes âgées de plus de 55 ans, au risque de se retrouver avec des doses inexploitées. Beaucoup d’Algériens éligibles à l’injection retardent l’échéance, préférant en attendre un autre. Seuls les plus vulnérables et pressés d’être protégés acceptent volontiers l’AstraZeneca.
Entre le risque de contracter le coronavirus, s’exposer à une hospitalisation en soins intensifs et se faire injecter le sérum d’AstraZeneca, associé souvent à la formation de caillots sanguins, un effet secondaire pourtant rare selon les spécialistes, le choix a été vite fait par cette septuagénaire.
“Je suis venue en compagnie de mon mari. Quand on nous a appelés, on n’a pas hésité un instant”, nous confie-t-elle. Son époux renchérit : “Espérons que le vaccin sera efficace car il y a beaucoup de nos proches qui sont réticents. Ils attendent de voir si on ne développe pas des effets secondaires.”
Zahia, 68 ans, femme au foyer, souffre de troubles de la thyroïde et d’une pathologie cardiaque.Elle a rendez-vous la semaine prochaine. Contrairement à son entourage, elle est déterminée à se faire vacciner. “C’est le seul moyen de réduire les risques de complications en cas de contamination.”
Elle se pose néanmoins beaucoup de questions : “Dois-je être accompagnée le jour de la vaccination, prendre les transports publics, m’occuper normalement de ma maison et mes enfants ou devrais-je rester alitée ? On ne nous donne pas ces informations quand on nous fixe rendez-vous.”
Début avril, le pays a réceptionné 900 000 doses du vaccin anglo-suédois dans le cadre du dispositif Covax. Cette livraison devait permettre de relancer la campagne de vaccination lancée le 30 janvier dernier. La vaccination avec ce sérum est ouverte à tous, à partir de 55 ans. Mais les centres sanitaires déclinent des créneaux qui ne trouvent pas toujours preneurs. “J’appelle les gens qui se sont inscrits sur la plateforme numérique du ministère de la Santé ou au niveau des polycliniques pour leur proposer un rendez-vous.
Quand je leur dis qu’il s’agit de l’AstraZeneca, certains refusent”, soutient le médecin-chef de l’établissement sanitaire de proximité de Notre-Dame d’Afrique. “Pourtant, précise-t-elle, depuis qu’on a commencé à vacciner avec l’AstraZeneca, nous n’avons enregistré aucune complication.”
Dans la plupart des centres sanitaires d’Alger, c’est le même constat : la vaccination peine à décoller. “Au début, on avait noté une réticence envers tous les types de vaccins : Sputnik V, Pfizer/Biontech, le chinois Sinopharm, ainsi que l’AstraZeneca. Puis soudainement, il y a eu une très grande demande sur le Sputnik.
Actuellement, on vaccine seulement avec l’AstraZeneca pour les plus de 55 ans. Il y a peu de postulants. On n’a pas eu de soucis particuliers avec ce vaccin, mais les gens sont connectés maintenant et suivent ce qui se passe ailleurs”, relate docteur Daoud Boudiba, médecin coordinateur des établissements de proximité de Bab El-Oued.
Les six points de vaccination de cette localité disposent, selon lui, chacun de 10 doses de vaccins par jour, en attendant que la campagne de vaccination se dynamise avec la réception dans une dizaine de jours d’un lot de Spoutnik. Même avec ce nombre réduit, les volontaires ne se bousculent pas au portillon. “On enregistre chaque jour deux à quatre refus sur dix personnes contactées pour une vaccination avec l’AstraZeneca.”
Le vaccin AstraZeneca se conserve six heures à température ambiante et quarante-huit heures après ouverture entre 2 et 8 degrés. Il est conseillé de planifier minutieusement les rendez-vous du jour, puisqu’un flacon contient dix doses qu’il faut utiliser impérativement dans ces délais.
Cette réticence des Algériens vis-à-vis du sérum anglo-suédois va-t-elle ralentir davantage la campagne de vaccination avec le risque de se retrouver avec des lots inutilisés, périmés ? En tout cas, au rythme actuel, l’immunité collective ne sera pas atteinte avant plusieurs mois et peut-être même pas avant 2022.
Pour Lyès Merabet, président du Syndicat national des praticiens de la santé publique, “la polémique chez nous a commencé avant même l’entame de la campagne de vaccination, du fait de l’accès à l’information et les échanges via l’outil informatique, les réseaux sociaux et les médias. Il subsiste des réticences par rapport à l’acte vaccinal, même chez les professionnels de la santé, et ça concerne tous les types de vaccins proposés par les structures sanitaires, bien que beaucoup se sont fait vacciner ou se sont inscrits en attendant de pouvoir le faire”.
Pourtant, insiste-t-il, “la plupart des pays européens, notamment ceux qui avaient suspendu l’utilisation de l’AstraZeneca suite aux cas d’accidents thrombo-emboliques signalés, ont décidé de reprendre l’utilisation de ce vaccin après les conclusions des comités d’experts dans ces pays et l’aval donné par la haute autorité de santé européenne et l’OMS”.
Lyès Merabet pense que le déroulement de la campagne de vaccination est plutôt entravé par l’insuffisance des quantités de vaccins distribuées à ce jour. “Il est toutefois difficile de faire une évaluation objective en l’absence de chiffres et de données statistiques officiellement communiqués par le ministère de la Santé, mais le constat sur le terrain fait état d’un retard considérable par rapport à l’objectif de vacciner pas moins de 60 à 70% de la population.
Alors que depuis le mois de janvier, on est à peine sur 350 000 personnes (deux doses/personne). Une situation qui a fait réagir le chef de l’État lors de sa dernière réunion avec le comité d’experts et au cours de laquelle, des instructions fermes ont été données pour accélérer la cadence de vaccination, y compris avec la fabrication du Sputnik V localement.”
Cette méfiance envers AstraZeneca, le pneumologue Nourredine Zidouni l’a notée tous les jours dans le cadre de ses contacts avec les malades. “Effectivement, en Algérie, cette réticence à se faire vacciner par l’AstraZeneca a été largement constatée.
Pour pallier cette réticence, une très large campagne de sensibilisation doit être menée par les autorités sanitaires en utilisant divers médias en faveur du bénéfice apporté par le vaccin AstraZeneca qui permet de réduire la transmission du virus et d’éviter les formes sévères pouvant conduire au décès.”
Et d’expliquer : “Le vaccin AstraZeneca est un vaccin à vecteur viral. Il a suscité et continue de susciter une polémique dans de nombreux pays, à cause du phénomène de thromboses (formation de caillots) survenus chez des sujets jeunes et d’âge moyen. C’est pourquoi la recommandation générale admise est de proposer ce vaccin aux personnes âgées de plus de 55 ans.”
Cependant, ces accidents, argumente-t-il, “sont très rares”. “D’après les dernières données rendues publiques, ces accidents surviendraient chez un cas sur deux cent cinquante mille personnes vaccinées. L’exemple de la campagne de vaccination menée en Grande-Bretagne par ce vaccin chez plusieurs millions de personnes a montré son innocuité, car il n’a pas été souligné de complications majeures”, assure-t-il.
Nissa H.