Loin des fanfares et des feux des projecteurs, Ighil Imoula célèbre aujourd’hui, à sa manière, dans la sobriété, le 67e anniversaire du déclenchement de la Révolution. Une commémoration aussi discrète que la nuit qui a vu naître l’Appel de Novembre 1954 qui allait embraser le pays et sonner le début de la fin de la longue nuit coloniale. Dans ce village révolutionnaire, on garde jalousement l’attachement à cette “nuit de la Toussaint”. Il fut la première page du roman algérien.
C'est un rituel quasi religieux. Comme chaque veille du 1er Novembre, à Ighil Imoula on ne parle que de la guerre et de cette nuit où le destin de l’Algérie et de son peuple se jouait dans une de ses maisons. Des vieilles maisons qui résistent au temps comme pour témoigner de la grande Histoire. C’est dans ce village, devenu haut lieu de l’épopée de l’indépendance nationale, que la déclaration du 1er Novembre 1954 fut rédigée et tirée à la ronéo. Soixante-sept ans plus tard, ses habitants se rappellent fièrement ce moment de rupture historique.
À l’entrée de ce village martyr de la daïra des Ouadhias où furent imprimés les exemplaires de la déclaration du 1er Novembre, nous rencontrons Abdelaoui Hamid, président du comité de village, qui nous fait visiter, en premier lieu, la maison de Benramdani Omar où, peu avant la déclaration de guerre à la France coloniale, le regretté Ali Zamoum avait veillé à l’impression de l’Appel du 1er Novembre dont la rédaction a été confiée au journaliste Mohamed Laichaoui sur ordre de Krim Belkacem.
“Cette habitation traditionnelle accueille chaque année de nombreux visiteurs dont les hauts responsables de l’État. C’est, en quelque sorte, la pierre angulaire de notre village qui a connu la préparation de la guerre de Libération avant l’impression de ce document appelant le peuple algérien à déclencher la guerre contre l’occupant parce que l’heure a sonné pour se battre et arracher l’indépendance confisquée”, nous dit notre hôte en s’enfonçant dans les ruelles du village pavoisées aux couleurs nationales à la veille de ce 67e anniversaire du déclenchement de la guerre de Libération nationale. Il faut dire que cette maison témoin d'un événement important dans la conquête de l'indépendance. Une maison-musée restaurée pour mieux perpétuer l’Histoire et entretenir la mémoire qui est parfois trahie.
Tout en empruntant ces chemins sinueux bordés de part et d’autre d’habitations, toutes modernes, des fresques de moudjahidine peintes sur les murs rappellent à tout visiteur que le village d’Ighil Imoula a été le berceau de la Révolution avec, en prime, plusieurs martyrs tombés au champ d’honneur, dont le colonel Mohamed Zamoum, dit Si Salah. C’est au Centre culturel historique, inauguré le 1er novembre 2000, que toutes les activités sont concentrées pour célébrer comme il se doit ce lundi le 67e anniversaire de la guerre de Libération nationale pour lequel un programme riche et varié est concocté par le comité de village. “Depuis des années, notre village connaît une effervescence à chaque célébration du 1er Novembre. C’est notre devoir de rappeler le sacrifice de nos vaillants chouhada aux jeunes générations. C’est justement dans cet établissement que notre histoire est centrée. Outre la salle d’expositions où est sauvegardée toute l'histoire de notre Révolution, nous avons un musée, une salle de lecture et une grande salle de conférences. Chaque année, nous enrichissons ce patrimoine”, poursuit M. Abdelaoui, avant de détailler le programme établi pour cette célébration. Il s’agit, dit-il, d’inaugurer la stèle réalisée en face de ce centre en hommage à tous les combattants tombés au champ d’honneur qui n’ont pas de sépulture. “C’est une œuvre que le comité a adoptée pour rendre hommage à ces martyrs inconnus. Pour ce faire, nous avons engagé une enveloppe financière.
D’ailleurs, son réalisateur active pour qu’elle soit prête le 1er Novembre parce que nous attendons la visite du wali et de nombreux invités”, a confié M. Abdelaoui. Ce dernier a ajouté que, désormais, le lycée de Tizi n’Tléta portera le nom du moudjahid, capitaine de l’ALN, Ahmed Dris, dit Ahmed Nath Ramdane. “Ce capitaine est un novembriste. Il était le compagnon du regretté Ali Zamoum. Il fallait lui rendre cet hommage comme nous le faisons chaque année en baptisant des édifices publics au nom de nos valeureux martyrs”, poursuit le président du comité de village. Le buste représentant un combattant en treillis militaire tenant un fusil qui trône au centre du village, en face du Centre culturel historique, est achevé et il ne reste que quelques petites retouches pour, enfin, être dévoilé au public en cet anniversaire révolutionnaire. “Nous avons travaillé jour et nuit pour terminer cette stèle car elle doit être prête pour le 1er Novembre. C’est un chef-d’œuvre. Ceux qui la découvriront vont indubitablement l’apprécier. Vraiment, nous sommes contents d’avoir eu cette idée. C’est comme le soldat inconnu. C’est un véritable symbole pour nos jeunes en guise de connaissance de notre Histoire”, estime M. Abdelaoui, qui ajoute qu’une autre idée est en gestation. Il s’agit, confiera-t-il, d’une fresque dédiée aux deux colonels de l’ALN, Mohamed Zamoum, dit Si Salah, et Ali Azzi, au commandant de l’ALN, Slimane Hocine et au capitaine Hocine Halliche. “C’est une autre œuvre qui enrichira la mémoire collective de notre village. Elle sera inaugurée le 11 décembre prochain”, a-t-il enchaîné.
Il faut dire que dans ce village révolutionnaire qui a vu les meilleurs de ses enfants tomber au champ d’honneur, les récits sont intarissables. Les mythes aussi. “On raconte que lorsque le journaliste Mohamed Laïchaoui a terminé l’écriture du texte de la Déclaration du 1er Novembre sous le regard bienveillant d’Ali Zamoum, il a été demandé aux personnes qui étaient dans la boutique en train de jouer aux dominos de faire du bruit, afin que le grincement de la ronéo ne soit pas entendu et ainsi ne pas éveiller des soupçons sur ce qu’il se passait à l’intérieur”, a rapporté un jeune très sensible à la page glorieuse de l’histoire de son village. D’autres assurent que leur village a été parmi les premiers à avoir fourni à la future Armée de libération nationale un groupe de militants formés dans le mouvement national.
De retour au Centre culturel historique, nous découvrons un long texte intitulé “La ronéo d’Ighil Imoula, un texte, un peuple, une aspiration” qui relate avec force détails la préparation de la guerre de Libération nationale en septembre 1954 par le Crua en passant par la structuration et la division du territoire en zones, les étapes et la stratégie à entreprendre jusqu’à la décision de la date du déclenchement de la guerre de Libération nationale arrêtée pour la nuit du 31 octobre au 1er Novembre 1954 avec des extraits, justement, de cette déclaration née à Ighil Imoula. Cela étant, selon M. Abdelaoui, d’autres actions sont en phase de réflexion pour écrire l’histoire complète de ces vaillants martyrs qui se sont sacrifiés pour l’indépendance du pays. “Chaque année, notre village complète son histoire”, a conclu M. Abdelaoui sans oublier de dire qu’une gerbe de fleurs sera déposée aujourd’hui au pied de la stèle du village et au carré des martyrs.
Reportage de : O. Ghilès