L’Actualité LES PSYCHIATRES L’ONT POINTÉE DU DOIGT

“Inflation du nombre d’hospitalisations sous contrainte”

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Samir LESLOUS Publié 18 Décembre 2021 à 00:09

© D. R.
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Avec la loi de 2018 sur la santé, l’Algérie est revenue sur ce que les spécialistes en psychiatrie qualifient de “volonté sécuritaire” et de “stigmatisation de la maladie”, avec le recours quasi systématique à “l’hospitalisation sous contrainte” des malades.

La Journée nationale de psychiatrie organisée, jeudi, par l’Association des psychiatres du Djurdjura en collaboration avec plusieurs services et EHS spécialisés du pays, à l’hôtel “Relais vert” de Tizi Ouzou, a montré, à travers les quatre thématiques abordées, que l’exercice de la psychiatrie en Algérie est confronté à tellement de difficultés que c’est désormais un véritable casse-tête, et que la psychiatrie est aussi tourmentée que le suggère l’intitulé choisi pour cette journée d’étude.

Parmi les volets de la psychiatrie confrontés aux difficultés, figure notamment la psychiatrie légale qui constitue, de l’avis du président du comité d’organisation, le Pr Abbès Ziri, un aspect très sensible, du fait de la responsabilité qu’impose son lien direct avec la justice. Parmi les questions épineuses soulevées en la matière, figure en bonne part celle de l’enfermement sous contrainte des patients.

À ce titre, le Dr Chenaoui du service de psychiatrie légale de l’EHS Frantz-Fanon de Blida a, d’emblée, relevé le retour, dans de nombreux pays, de ce qu’il a qualifié de “volonté sécuritaire” et de “stigmatisation de la maladie”.

C’est le cas en Algérie, dit-il, avec la loi de 2018 sur la santé. “Cette loi prévoit, entre autres, que les mises en observation soient dorénavant effectuées dans les unités où en soins fermés. Avant, l’hospitalisation était subordonnée à l’accord du psychiatre, maintenant, ce n’est plus dit de façon aussi claire.

Par conséquent, l’hospitalisation est considérée carrément comme une véritable garde à vue, et le psychiatre est considéré comme une espèce d’expert de la dangerosité parce qu’au bout de 15 jours, on doit décider si le patient doit rester ou sortir”, a analysé le Dr Chenaoui, estimant que cette recherche du tout-sécuritaire conduit à la restriction de sortie d’hospitalisation et leur prolongement pour, dit-il, des raisons autres que médicales. 

Une gestion bureaucratique
Pour étayer son propos, ce psychiatre cite le cas de l’hôpital de Blida où, affirme-t-il, les sorties sont actuellement subordonnées à la commission de santé mentale de la wilaya qui, souvent, ne se déplace pas et, souvent, statue en des termes de présence ou d’absence de dangerosité.

“Pour eux, ou c’est noir ou c’est blanc. À chaque fois qu’on leur dit qu’un cas nécessite une prise de traitement régulière, on considère qu’il est toujours malade, et donc, on retarde sa sortie”, explique-t-il, non sans mettre en relief les conséquences de ce genre de situation.

“Avec une telle situation, on assiste à un autre phénomène qui est l’inflation du nombre des hospitalisations sous contrainte, qu’elles soient judiciaires ou bien administratives, et qui sont appliquées de manière indistincte à toute personne qu’on peut estimer redevable d’un traitement”, a-t-il déploré.

Autre conséquence, a-t-il ajouté, les places disponibles en cure libre sont devenues actuellement de plus en plus limitées pour cause de Covid-19 ou par absence de chambre de confinement. Plus que cela, le même psychiatre relève également des confusions dans la démarche des autorités.

“On instaure une hospitalisation sous contrainte pour prévenir un éventuel délit, seulement, le flou le plus complet règne sur ce que peut recouvrir le terme de traitement et de pathologie auxquels s’adressent ces contraintes”, dit-il en soulignant que ces mesures se fondent seulement sur le constat de grave trouble mental ou sur l’hypothèse que l’hospitalisation imposée va détourner cet auteur de nouvelles infractions.

“La manière avec laquelle le trouble mental grave est compris par les autorités conduit à des hospitalisations contraintes pour pathologie de démence, d’insuffisance mentale et surtout et souvent de trouble de la personnalité, essentiellement des personnalités antisociales ou psychopathiques, mais qui ne tirent, en réalité, aucun bénéfice escompté de cette hospitalisation, alors que notre but est qu’ils en tirent bénéfice et de prévenir un nouveau délit en rapport avec le trouble”, a-t-il décortiqué non sans prévenir que dans certains troubles comme les démences et les insuffisances, ces hospitalisations vont même être beaucoup plus néfastes. 

Des séjours plus longs à l’hôpital
L’autre problème soulevé a trait aux prolongations des séjours d’hospitalisation des patients. Sur ce point, le Dr Chenaoui cite les cas d’appel en cassation où le patient reste toujours hospitalisé, les cas d’instruction judiciaire qui s’éternisent, de jugement d’internement, de placement pour expertise ou, tout simplement, de refus de sortie, souvent sans motif...

“Tout cela nous éclaire sur cette volonté sécuritaire qui se dessine et nous oblige à garder les patients au-delà de la raison médicale dans des conditions de surpopulation intenables”, a-t-il développé, affirmant que face à cette situation, les psychiatres se retrouvent confrontés à bien des dilemmes.

“Dans un contexte de soins sous contrainte, le psychiatre est-il guidé par les principes éthiques et déontologiques ou bien par sa mission d’agent de l’État, soucieux de la sécurité publique ? Ce souci de sécurité publique l’emporte-t-il sur tout autre considération ?” s’est-il interrogé, lui pour qui il doit rester d’évidence que le médecin psychiatre doit avant tout garantir au patient que son intervention obéit aux mêmes règles déontologiques comme pour tous les autres patients non soumis à des contraintes ou injonctions.

“Il faut garder à l’esprit que le thérapeute n’est pas l’expert pour se prononcer sur les questions de dangerosité. Dans le même temps, le soignant ne doit pas refuser de dialoguer lorsque la justice le saisit. C’est en clarifiant les attentes et les missions des uns et des autres, à savoir l’autorité, le soignant et l’expert, que l’on pourra garder l’indépendance, et cette indépendance reste la seule garante contre une instrumentalisation de la psychiatrie à des fins autres que le soin”, a-t-il préconisé soutenant que la multiplication actuelle des commandes sociales qui visent à enjoindre un soin pour protéger la sécurité publique, voire protéger le patient contre lui-même, n’élude en aucun cas la question essentielle.

“Quel que soit le statut du patient, aucune contrainte ne saurait être justifiée par des considérations sécuritaires autres que ponctuelles. Il ne faut jamais perdre de vue que l’objectif final est de permettre au patient de s’inscrire dans un soin dont il reconnaît le bien-fondé”, a-t-il recommandé. 

Nécessaire commission d’éthique
Sur la même lancée, le Dr Otmane Telba de l’EHS de psychiatrie Si El-Houas de Biskra a soulevé la question non moins épineuse de l’évaluation de la dangerosité qui est demandée depuis quelque temps aux psychiatres par les magistrats.

“Dans ce genre de demande, plusieurs limites se dressent devant les instruments utilisés, autant sur le plan méthodologique qu’éthique”, a-t-il fait observer, expliquant que l’utilisation des échelles doit logiquement être motivée par le désir de proposer les meilleurs soins aux sujets et de gérer les risques, et non pour trancher une décision d’enfermement.

“Ce sont, en fait, des outils qui ne peuvent être utilisés seuls, ils doivent s’inscrire dans une démarche globale au risque de nuire au patient et à la société”, a-t-il avisé.

Or, a-t-il affirmé, “il y a, depuis quelque temps, une forme d’évaluation maquillée par les magistrats algériens qui tentent dans la pratique d’évaluer la dangerosité des patients internés avant leur sortie de l’hôpital par le biais d’une commission d’experts”.

“Dans le reste du monde, l’évaluation de la dangerosité suscite au moins un débat, nous voyons, par contre, que l’Algérie fait office de mauvais élève dans ce domaine, car en Algérie, cette évaluation est instaurée uniquement pour le sujet souffrant de troubles psychiques, stigmatisant davantage la maladie mentale déjà en proie aux idées reçues négatives”, a-t-il enchaîné, insistant qu’en matière d’évaluation de la dangerosité, il n’y a aucune démarche qui peut être considérée comme fiable.

“Il est impératif d’appeler à une circonspection quant à l’usage qui peut être fait de ces instruments. Il est même urgent que des commissions d’éthique puissent baliser l’usage, autant médical que juridique, des échelles en Algérie pour qu’elles ne soient pas utilisées à tort et à travers”, a-t-il recommandé, avant que d’autres problèmes posés en matière de psychiatrie ne soient abordés. 

 

Samir LESLOUS

 

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