Le parlementaire espère que le chef de l’État français accomplira un nouveau pas en reconnaissant l’impact des expériences nucléaires. “J’espère vraiment que la France va franchir un nouveau pas”, dit-il.
Liberté : Vous avez signé avec d’autres députés une tribune pour demander au président Macron de publier les cartes des zones contenant les déchets des essais nucléaires français dans le Sahara algérien. Avez-vous obtenu une réponse ?
Cédric Villani : Non, pas de réponse. Mais ces dossiers-là prennent du temps. En soi, je ne suis pas étonné qu’il n’y ait pas encore de réaction. Mais nous serons très attentifs à ce qu’il y ait une réponse.
L’identification des zones contaminées implique la déclassification des archives sur les armes de destruction massive. Pensez-vous que le président Macron ira jusque-là ?
Je l’espère bien. J’ai eu l’occasion de travailler auparavant avec le chef de l’État sur une autre affaire tristement célèbre, celle de Maurice Audin, cela a permis de voir que quand un Président prend une affaire à cœur, il peut aller au bout. Associé au Prix Maurice-Audin via l’Institut Henri-Poincaré, j'ai assisté à toute l’évolution du dossier. Cela a été un long déni pendant des décennies, puis il y a eu une avancée réalisée par le président François Hollande, enfin le progrès considérable effectué par Emmanuel Macron avec sa déclaration du 13 septembre 2018 sur la mort de Maurice Audin et sur le rôle de l’État français dans la torture en Algérie. On voit bien à la lumière de cette affaire que quand la volonté est là, il est possible d’aller jusqu’au bout. Dans le dossier des essais nucléaires, c’est un peu la même chose. Il y a eu d’abord un silence. Un pas a ensuite été accompli par François Hollande avec la reconnaissance de l’impact de ces expériences en Polynésie. Le dossier des essais en Algérie est maintenant sur la table du président Macron. Comme ce sujet est beaucoup plus instruit et documenté aujourd’hui avec plusieurs études comme le rapport de Patrice Bouveret et Jean-Michel Collin, j’espère vraiment que la France va franchir un nouveau pas. Nous demandons à la fois la reconnaissance de ce qui s’est passé, la rectification des décrets d’indemnisation qui sont actuellement très restrictifs et l’identification des sites radioactifs à nettoyer. Il y a donc un travail à faire sur le passé pour reconnaître les faits et un autre sur le présent afin d’agir pour décontaminer les zones.
L’État algérien pense que la France doit également prendre part aux opérations de décontamination. Êtes-vous d’accord ?
J’en suis persuadé. Je pense que c’est un travail qui doit être accompli conjointement par la France et l’Algérie. Notez bien que la réaction du gouvernent algérien sur les essais nucléaires français est tardive. Le rapport de Bouveret et Collin insiste d’ailleurs sur le fait que l’État algérien a très peu bougé sur ce dossier, sans doute parce que ces essais, pour une bonne partie d’entre eux, ont eu lieu après l’indépendance. Il y a là quelque chose de singulier, d’étrange. Les opérations doivent être accomplies ensemble par les deux États.
Dans l’affaire Audin, vous vous êtes entretenu personnellement avec le président Macron. Vous faites d’ailleurs partie de ceux qui l’ont sensibilisé sur ce dossier. Avez-vous essayé de le rencontrer pour lui parler directement de la question des essais nucléaires français en Algérie ?
Je n’ai pas eu l’occasion de discuter en direct du dossier de l’irradiation saharienne. La complexité de la situation sanitaire actuelle n’aide pas. Mais dès que l’occasion se présentera, je le ferai, de même que les autres signataires de l'appel. Il faut bien noter que le sujet des essais au Sahara est explicitement évoqué, en termes pressants, dans le rapport que l’historien Benjamin Stora a remis au président Macron.
Qu’est-ce qui explique, selon vous, le silence de la France qui a entouré l’affaire des essais nucléaires en Algérie, les ministères des Armées et des Affaires étrangères n’ayant jamais donné d’explications claires à ce sujet ?
Ce silence n’est pas surprenant. D’abord parce que la France n’a pas de quoi être fière. Aucune protection digne de ce nom n’a été prise lors de la conduite des essais. Ce qui a induit des retombées importantes sur les populations civiles et sur les militaires qui ont été envoyés près des points d’explosion, à des fins d’expérience, ou plus tard pour enfouir les déchets et installations.
Quand on consulte les détails, il y a de quoi être scandalisé par une telle désinvolture, et on peut imaginer par conséquent que les ministres sont très gênés de s’exprimer sur ce dossier. L’affaire des irradiations dans le Sahara est également très peu connue par la population française. J’ai personnellement appris son existence il y a seulement 7 ou 8 ans dans un roman, L’expérience, où les essais nucléaires à Reggane jouent un rôle important. L’auteur, Christophe Bataille, m’avait demandé quelques conseils en rapport avec les aspects scientifiques du livre.
En lisant le manuscrit, qui s’appuie sur des faits réels, j’ai halluciné devant la façon dont les militaires français sur place avaient été traités. Je ne comprenais pas comment cela avait pu se faire. Le sujet est revenu dans l’actualité avec le rapport de Benjamin Stora, et tout récemment avec les vents du Sud qui ont transporté en France des nuages rouges chargés de sable et d’une légère radioactivité résiduelle, nous rappelant le passé de ces essais nucléaires.
Pourquoi la France a-t-elle reconnu les dommages causés par les essais en Polynésie et pas en Algérie ?
Ce n’est pas la même chose. La Polynésie, c’est la France, alors qu’une partie des essais a été réalisée dans le Sahara au moment où l’Algérie était indépendante. La situation était singulière et peut-être plus embarrassante pour les deux pays.
Le président Macron a pris d’autres mesures pour le règlement du contentieux mémoriel avec l’Algérie. Comment les qualifiez-vous ?
Même si je n’appartiens plus à la majorité présidentielle, je tiens à saluer ce travail qui est remarquable, par exemple la reconnaissance de l’assassinat d’Ali Boumendjel et la mise en valeur du parcours de cet homme remarquable. Dans l’affaire Audin, en 2017-2018, le travail a été accompli en profondeur et beaucoup plus vite que je le pensais. Les conclusions de la mission confiée à Benjamin Stora sont également excellentes malgré les critiques exprimées çà et là. J’espère que je parviendrai avec mes collègues députés à faire avancer aussi la question sur les essais nucléaires. Ce dossier nous interpelle encore plus aujourd’hui avec toutes les discussions à l’échelle internationale sur le nucléaire, civil comme militaire.
Derrière l’affaire des essais en Algérie, il y a des drames humains, des personnes dont la vie a été ravagée par les effets de la radioactivité, mais il y a aussi les effets sur l’environnement dans le Sahara, un territoire particulièrement cher à mon cœur. Le Sahara m’a beaucoup fait rêver quand j’étais enfant, je me souviens très bien de ce petit ouvrage, Désert vivant, qui comportait des images de la faune et de la flore du désert, avec leur fantastique beauté. Guêpe, araignée, gerboise, la vraie, la belle gerboise vivante, pas la bombe du même nom ! J’ai découvert plus tard avec éblouissement le Sahara, lors d’un colloque à Ouargla. Dans mon bureau, je garde une petite fiole de sable ramenée de ce voyage.
Entretien réalisé par : Samia Lokmane-Khelil