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KRIM BELKACEM le héros tragique

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Karim BENAMAR Publié 19 Mars 2022 à 00:45

© D. R.
© D. R.

Son nom incarne l’incroyable épopée révolutionnaire, le génie d’une génération fondatrice.  Héros libérateur, la vie de Krim Belkacem fut cruellement  écourtée  un jour d’automne, loin du pays qu’il a libéré. Son assassinat signe l’échec de l’idéal algérien.

Pendant  que  le  mouvement  nationaliste se fourvoyait dans des conflits politiques et idéologiques, lui anticipe l’Histoire. Il force le destin les armes de la libération à la main. Dès 1947, Krim Belkacem sonne la lutte armée contre l’ordre colonial et fonde le premier maquis révolutionnaire en Kabylie, avec la force de la conviction que le destin devait forcément mettre le pays sur le chemin d’une libération future. Révolutionnaire de la première heure donc, celui qu’on surnommait le Lion des djebels a eu, durant la séquence historique de l’affranchissement, un parcours exceptionnel, hors du commun. 

Maquisard infatigable, Krim Belkacem, fils d’un caïd qui le prédestinait à une carrière militaire dans les rangs de l’armée française, mènera une guerre sans répit contre la puissance impériale, avant de signer, de sa propre main, les Accords d’évian, actant ainsi l'indépendance de l'Algérie, le 19 Mars 1962. Une consécration naturelle pour un homme dont toute la vie sera intimement associée à la révolte permanente. Forgé à l’idéal de justice, Krim, qui naquit en Kabylie, à Ait Yahia Moussa, le 15 décembre 1922, se révèlera, dès sa jeunesse, un redoutable stratège et chef militaire.

Dans le massif forestier de son village natal, dans la commune de Draâ El-Mizan, il dirige, clandestinement, un groupe de 500 éléments entraînés et armés. Sa qualité de meneur d’hommes, il la tient d’abord de son parcours de militant sous la direction du chef historique, Messali Hadj. Il devient responsable du PPA-MTLD pour toute la région de la Kabylie. Et s’il ne prend pas part à la réunion historique et déterminante du cours de la Révolution du Groupe des 22, le 24 juin 1954, au domicile du militant Elias Derriche à El-Madania (Clos Salembier) à Alger, le rôle futur de Krim Belkacem dans la structuration de la Révolution sera central, comme en témoigne sa participation active dans le lancement de l’historique Front de libération nationale (FLN), après la réunion des Six, en août 1954, première direction du parti naissant. 

En pleine crise du Mouvement national, Krim Belkacem, Mohamed Boudiaf, Ben Boulaïd, Didouche Mourad, Larbi Ben M’hidi et Rabah Bitat, tous recherchés par la police coloniale, donneront le signal de la lutte armée. Lors de cette réunion, Krim Belkacem aura, en particulier, négocié et obtenu l’érection de la Grande Kabylie en zone – elle devait être rattachée au Centre algérois – dont il allait devenir le chef historique, selon Amar Hammada, auteur du livre Krim Belkacem, le Lion des djebels.

Après avoir fixé la date de l’insurrection, Krim Belkacem se rend, courant octobre 1954, en Kabylie, au village d’Ighil Imoula, siège du Comité de Kabylie, une structure du MTLD. Il y rencontre l’un de ses membres, Ali Zamoum, 21 ans, futur officier de l’Armée de libération nationale (ALN), à qui il remet la Proclamation du 1er Novembre, et le charge de la faire tirer en plusieurs milliers d’exemplaires. Le 31 octobre, il leur fait parvenir une lettre : “Début des opérations : cette nuit, à partir d’une heure du matin. Respecter scrupuleusement les consignes, ne tirer sur aucun civil européen et musulman. Tout dépassement sera sévèrement réprimé. Bonne chance et que Dieu vous aide.” 

Le 1er novembre 1954, les premières actions armées sont lancées dans plusieurs régions du pays. Elles prennent de court l’administration coloniale, mais aussi tous les partis algériens, dont le MTLD, lequel avait d’ailleurs implosé en juillet 1954. L’organisation mise en place, la guerre désormais actée, Krim Belkacem s’emploiera à diriger minutieusement, et avec brio, les opérations militaires. C’est ainsi qu’en 1956, il réussira, avec ses camarades, à berner l’armée française en faisant tourner à son avantage la fameuse opération “Oiseau bleu” ou “Force K”, mise en œuvre par le Service secret français dans le but de parasiter la lutte armée en Kabylie, pensant profiter des rivalités FLN-MNA.

Le projet de l’armée coloniale, qui consistait à mettre en place un contre-maquis visant à détacher de l’insurrection du FLN plusieurs centaines de Kabyles puis de les transformer en commandos clandestins, s’est soldé par un cuisant échec. Mieux, par un total retournement puisque les hommes armés recrutés par la puissance coloniale étaient en fait de braves patriotes coiffés par le FLN. Cette opération approvisionna d’ailleurs le parti révolutionnaire en armes, en hommes et en fonds. 

Après ce coup d’éclat, Krim Belkacem écrit une lettre au gouverneur général : “Monsieur le Ministre, vous avez cru introduire, avec la ‘Force K’, un cheval de Troie au sein de la résistance algérienne. Vous vous êtes trompé. Ceux que vous avez pris pour des traîtres à la patrie algérienne étaient de purs patriotes qui n'ont jamais cessé de lutter pour l'indépendance de leur pays et contre le colonialisme. Nous vous remercions de nous avoir procuré des armes qui nous serviront à libérer notre pays.” 

Dès lors, le fils d’Aït Yahia Moussa apparaît comme l’une des figures majeures de la lutte armée. Et c’est tout naturellement, en décembre 1956, que le FLN lui confie la mission de créer la Zone autonome d'Alger (ZAA). Avec ses compagnons du CCE (Abane Ramdane, Larbi Ben M'hidi et Benyoucef Benkhedda) il supervisera la guérilla urbaine dans Alger. Il s'attribuera les liaisons avec toutes les wilayas, ce qui faisait de lui le chef d'état-major de la zone algéroise et le stratège de la lutte armée. Ce n’est qu’après la capture de son collègue Ben M'hidi, puis son assassinat (en mars 1957), durant la fameuse Bataille d'Alger, qu’il quitte précipitamment la capitale. Nous sommes alors le 5 mars 1957. 

Un maquisard à Évian
Accompagné de Benkhedda puis de Bentobbal, il rejoint la Tunisie. Loin du maquis, son espace naturel, Krim Belkacem doit s’adapter à une nouvelle situation. Il n’allait pas tarder à montrer ses compétences en politique. Et c’est quasiment en posture de leader qu’il marquera de son empreinte la réunion du Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA), organe suprême du FLN, tenue dans la capitale égyptienne, le 27 août 1957.

À l’issue de cette réunion, en qualité de chef charismatique, c’est lui qui accordera un entretien à un journaliste de le radio française dans lequel il relève notamment : “La presse colonialiste, inspirée par les services psychologiques de gouvernement général, a tenté, en vain, de jeter le discrédit sur notre révolution. À maintes reprises, les organes de propagande du colonialisme français, dont le cynisme n’a d’égal que le mépris qu’ils affichent à l’égard de l’opinion en général, ont fait état de prétendues dissensions qui opposeraient les dirigeants de la révolution en ce qu’ils appellent le clan militaire et le clan politique.”

L’auteur Amar Hamadani raconte, dans son livre, que Krim avait joué un rôle de premier plan dans la reconfiguration des rapports de force au sein de la direction de FLN : “Outre l’abandon des énoncés de primat du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur, c’est la mise en minorité politique d’Abane Ramdane et l’élimination de ses proches du CCE (Benyoucef Benkhedda, Saâd Dahlab) qui devaient caractériser le tournant validé par le CNRA du Caire. Abane Ramdane, accusé de se livrer à un travail fractionnel, sera d’ailleurs exécuté le 27 décembre 1957 au Maroc et, pour beaucoup d’observateurs, cela ne pouvait se faire sans l’accord de Krim.” La controverse se poursuit de nos jours. 

Près d’une année plus tard, avec Lakhdar Bentobal et Abdelhafid Boussouf, Krim fait partie du noyau dur de la Révolution. À la création, en septembre 1958, du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) présidé par Ferhat Abbas, le Lion des djebels est au sommet de sa puissance : il est vice-président et ministre des Forces armées. La France coloniale, qui prétendait ne pas avoir d'interlocuteur pour négocier, est désormais devant le fait accompli. 

Dans le deuxième GPRA (janvier 1960 - août 1961), Krim conserve la vice-présidence mais passe aux Affaires étrangères. C'est lui qui conduit, tout naturellement, la délégation aux négociations d’Évian, en mars 1961, et c'est à lui, côté algérien, que revient le privilège de signer, le 18 du même mois, les Accords qui concrétisent désormais les objectifs du 1er Novembre 1954. 

À l’indépendance, celui dont le nom est intimement lié au combat libérateur, symbolisant l’un des plus fabuleux combats anticoloniaux, reprend la lutte, cette fois en opposant contre la confiscation de l’indépendance.  Après le coup d'État du 19 juin 1965, il repasse dans la “clandestinité” politique et quitte le pays pour le Maroc, en 1967. Il fonde, la même année, le Mouvement pour la défense de la Révolution algérienne (Mdra).

Deux ans plus tard, le 18 octobre 1970, il est assassiné – étranglé – dans une chambre d'hôtel à Francfort. Les Services secrets algériens seront vite désignés comme les commanditaires de la liquidation physique de l’“homme d’évian”. Une tragédie algérienne.
 

Par : KARIM BENAMAR

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