Comme souvent en pareille période, à quelques jours du début du mois sacré de Ramadhan, les Algériens, de crainte probablement d’une éventuelle flambée des prix et de l’éventuelle indisponibilité de certains produits, se ruent sur les produits de large consommation, particulièrement les plus prisés pendant ce mois, tels que la semoule, le frik, les raisins secs, la farine, le beurre, etc. Une frénésie risque de profiter aux spéculateurs et de provoquer des pénuries.
Oran, l’indice des prix en feu
Alors qu’ils subissent déjà les effets de la hausse des prix des produits de large consommation, les Oranais observent avec appréhension l’approche du mois sacré de Ramadhan, période traditionnellement propice aux hausses brutales, et souvent inexplicables, des prix. Une crainte également alimentée par une tension récurrente sur l’huile de table, la semoule et le lait, qui conduit beaucoup de consommateurs à stocker tout ce qui peut l’être en prévision d’un futur incertain.
“J’ai pu ‘assurer’ la première semaine de Ramadhan en espérant qu’aucune pénurie ne vienne compromettre la suite et qu’il n’y ait pas des augmentations supplémentaires”, confie un père de famille croisé dans un marché de fruits et légumes à Oran. Pour la grande majorité des produits de large consommation, la tendance haussière des prix du début d’année s’est maintenue même si certains articles ont enregistré un léger recul (qui n’altère en rien leur inaccessibilité pour de larges couches de la population), à l’instar de la tomate qui est aujourd’hui proposée à 90-100 DA le kilogramme contre 240 DA en janvier, les petits pois qui sont cédés de 100-350 DA ou encore les fèves également vendues à 100 DA, alors qu’elles coûtaient 150 DA.
Quant aux autres légumes, ils continuent d’alimenter le désarroi des Oranais et la crainte des semaines à venir : la pomme de terre ne descend plus, ou très rarement, sous la barre des 100 DA le kilogramme (actuellement entre 110 et 125 DA), l’oignon vert est cédé à 100 DA, alors qu’il valait 50 DA, il y a quelques jours, et le poivron est désormais proposé entre 150 et 160 DA. Rangés aux rayons des produits de luxe, les fruits, eux, sont définitivement interdits aux petites bourses : les bananes affichent 430 DA le kilogramme, les pommes oscillent entre 300 et 800 DA et les oranges sont cédées à 150 DA. Depuis longtemps hors de portée du consommateur, les viandes, rouge et blanche, ont enregistré de nouvelles envolées qui les maintiennent dans le gotha des produits de consommation les plus chers. Ainsi, selon les quartiers et les boucheries, le prix de la viande rouge oscille entre 1 700 et 2 000 DA le kilogramme, l’escalope de dinde affiche 850-900 DA et le poulet est proposé à 300 DA. La sardine, jadis consommée par les foyers les plus modestes, culmine aujourd’hui à environ 1 000 DA le kilo. L’accablement des consommateurs est également nourri par l’augmentation des prix des légumes secs. Les lentilles et les pois chiches, qui permettaient de remplacer les légumes, ont aussi été touchés par les augmentations de prix et sont désormais proposés respectivement à 300 et 200 DA. Même cas pour les pâtes qui affichent 120 DA.
“Il m’arrive d’avoir honte lorsque j’annonce les nouveaux prix aux clients, mais je n’y peux rien, je suis aussi l’otage des grossistes, des distributeurs…”, juge un petit épicier du quartier de Belgaïd. Et ce ne sont pas les assurances officielles sur la “disponibilité des fruits et légumes et des prix intéressants” pour le Ramadhan qui rassureront des Algériens habitués à payer le prix de la spéculation et l’absence de régulation.
Sétif, peu d’huile sur la table
“Cela fait des années qu’en dépit de la cherté de la vie, l’on n’a pas assisté à une pénurie qui s’est installée dans le temps et qui intervient la veille du mois sacré au point que plusieurs produits sont absents des étals durant la même période”, s’inquiète Salim, un retraité qui se faufile entre les rayons dans une supérette de Sétif.
“On ne peut pas se passer du pain (matloû) et de la galette (kesra) faits maison durant tout le mois de carême. Je ne sais pas comment on fera cette année si l’huile et la semoule se font rares”, se demande-t-il. Les gérants de grandes surfaces tentent de rassurer. Pour un gérant d’une grande supérette de la ville des Hauts-Plateaux, “l’approvisionnement est presque normal, cependant toutes les quantités sorties du stock disparaissent très vite dans l’heure qui suit”, peste-t-il, non sans rejeter une partie de la responsabilité sur le comportement des consommateurs. “Je pense que le citoyen a mis son grain de sel pour que cette pénurie persiste. On peut comprendre son inquiétude, cependant, cela ne fera qu’accentuer la situation et, du coup, déséquilibrer le principe de l’offre et de la demande”, renchérit-il. Sur un autre volet, plusieurs consommateurs s’interrogent sur les grandes quantités de blé fournies aux minotiers privés et qui ne sont pas visibles sur le marché. “Je pense qu’une rigoureuse opération de contrôle et une organisation de la distribution, voire de la traçabilité des produits de cette matière essentielle subventionnée par l’État ne feront que du bien au consommateur.
Pis encore, si vous arrivez à trouver le sac de semoule de 25 kilogrammes de certains minotiers privés, vous le payerez entre 1 400 et 1 450 DA l’unité. C’est on ne peut plus exagéré !”, nous dira Abdelkarim, un fonctionnaire qui nous rappelle que cela fait plusieurs mois que l’huile aussi est absente des étals. Les producteurs affirment que la production est la même, cependant, la demande ne cesse de s’accroître sans pour autant trouver le produit. “Je peux vous assurer que la plupart de nos clients ont un stock important d’huile de table et de semoule. Je les vois ici, à la supérette, s’approvisionner à chaque fois qu’on nous livre ces produits”, accuse Abderrahmane, caissier dans une supérette du nord de la ville de Sétif. Et d’ajouter : “Une fois, je me suis permis de dire à l’un de nos clients qu’il vient acheter de l’huile à chaque fois qu’on met en vente ce produit. Il m’a répondu que c’est pour son voisin handicapé qui ne sort pas de la maison.” Pour le lait, au moment où les responsables de la laiterie Tell, la plus grande de la région, soutiennent mordicus qu’ils produisent les mêmes quantités, ce produit très demandé pendant le mois sacré se fait désirer. Le lait subventionné est presque introuvable. “Si vous tombez sur un sachet de lait subventionné, il est vendu avec un sachet de lait dit de vache dont le prix est passé à 80 DA, voire plus par endroits. Aux produits de base qui ont disparu des rayons, s’ajoutent les prix - qui prennent des ailes - de plusieurs autres produits très demandés durant le Ramadhan, comme les boissons gazeuses dont les prix ont augmenté de 20 à 25%, le café, etc.
Tizi Ouzou, raisins secs et régime sec
À deux semaines du Ramadhan, les ménagères et les chefs de famille ont déjà les yeux rivés sur le marché, dont ils redoutent à la fois la flambée des prix et la persistance de l’indisponibilité des produits de large consommation, qui connaissent une tension depuis plusieurs semaines déjà. La fièvre monte. Malgré les assurances données par la direction du commerce quant à la disponibilité des produits de large consommation, la ruée sur certains articles très prisés durant le Ramadhan, tels que la semoule, la farine, le frik, le beurre, les raisins secs, les vermicelles, les pruneaux et autres, est déjà visible dans les commerces du chef-lieu de Tizi Ouzou et autres agglomérations.
Devant un commerce connu pour ses prix cléments au chef-lieu de wilaya, c’est carrément une file de ménagères qui se forme à longueur de journée. “De peur d’éventuelles pénuries, les ménagères ont commencé à préparer les produits ‘spécial Ramadhan’. Mais, en réalité, à l’exception de la semoule, tous les autres produits prisés durant le mois sacré sont disponibles, pour le moment du moins. Les prix n’ont pas augmenté ces jours-ci mais, avec la dégradation du pouvoir d’achat, ils restent toujours élevés”, nous a expliqué M. Mesbahi, commerçant au centre-ville de Tizi Ouzou. En effet la cherté est sur toutes les lèvres, même si les prix restent stables. “C’est trop cher. Qui peut s’offrir un kilo de raisins secs à 850 ou 1 000 DA ? Les pruneaux et les haricots sont également inaccessibles. Le beurre, les pois chiches... tout est cher, c’est trop, nous n’en pouvons plus”, regrette une dame qui vient de faire quelques emplettes.
Le prix des raisins secs, très demandés en cette période de Ramadhan, dépasse l’entendement. Il oscille entre 550 DA et 850 DA selon la qualité et le calibre. Les pruneaux sont proposés entre 900 et 1300 DA. Le frik pour la chorba avoisine les 400 DA. Les vermicelles se vendent en moyenne à 65 DA le paquet d’une livre. Les pois chiches sont cédés à partir de 300 DA le kg, Le riz, un autre produit qu’utilisent les ménagères pour varier leurs menus, est affiché entre 130 et 250 DA le kg. Le beurre culmine entre 1 700 et 2 000 DA. L’huile de table, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, continue d’enregistrer des perturbations dues plus à la ruée qu’à son indisponibilité.
“Notre stock est écoulé et le livreur est en route pour nous réapprovisionner. Nous allons la vendre à 590 DA le bidon de 5 litres”, nous affirme un commerçant de la ville. Toujours introuvable sur les étalages, la semoule est désormais le produit de base qui connaît la plus grosse tension. “L’huile de table et la semoule brillent par leur indisponibilité”, nous a confirmé Mourad, un détaillant des Ouadhias.
“Nous attendons beaucoup des services de la Direction du commerce pour éviter la flambée des prix à l’approche du Ramadhan. Ils doivent non seulement garantir un approvisionnement régulier du marché, mais aussi mettre les mécanismes efficients pour déjouer les pratiques malsaines des spéculateurs. Le consommateur doit aussi faire preuve d’intelligence et ne pas tomber dans le piège de la fièvre acheteuse”, martèle, pour sa part, un chef de famille apostrophé devant un magasin à Tizi Ouzou.
Face à ces inquiétudes, la Direction du commerce de la wilaya assure avoir mis en place “un important dispositif pour surveiller en permanence la disponibilité et l’évolution des stocks des produits de large consommation, tels que les produits agricoles frais et les produits d’épicerie”.
S. Ould Ali / FAOUZI S. / Hocine T.