En décidant d’ouvrir “avec 15 ans d’avance” les archives judiciaires en rapport avec la guerre d’Algérie, la France fournit ainsi du matériau aux historiens pour la connaissance de certains faits et vérités sur une période dont le poids continue à rythmer les rapports entre Paris et Alger.
En Algérie, l’annonce de la décision du gouvernement français de l’ouverture des archives “judiciaires entre 1954 et 1962” sur la guerre d’Algérie est accueillie comme une bonne nouvelle par les chercheurs et historiens. Ils appellent, dans ce sillage, les autorités algériennes à ouvrir les archives nationales. La France a décidé l’ouverture d’une partie de ses archives sur la guerre d’Algérie avec 15 ans d’avance, alors qu’elles devaient rester classifiées jusqu’en 1937. L’annonce a été faite, hier, vendredi, par la ministre française de la Culture, Roselyne Bachelot, deux jours seulement après la visite, en Algérie, du ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, après deux mois de crise diplomatique grave.
“On a des choses à reconstruire avec l'Algérie, elles ne pourront se reconstruire que sur la vérité”, a expliqué, sur le plateau de BFMTV, Roselyne Bachelot, après avoir annoncé l’ouverture des “archives sur les enquêtes judiciaires de gendarmerie et de police” en rapport avec la guerre d'Algérie (1954-1962). Cette décision qui ne manque pas de symbolique se veut un geste “fort” de Paris à l’adresse de la partie algérienne, irritée par les déclarations du président français, fin septembre, remettant en cause l’existence de la nation algérienne avant la colonisation et qualifiant le régime algérien de régime “politico-militaire”. C’est une décision aussi qui correspond à la démarche initiée par le président français portant sur la “réconciliation mémorielle” et dont les travaux ont été confiés à l’historien français Benjamin Stora. “Sur cette question (archives, ndlr) — qui est troublante, irritante, où il y a des falsificateurs de l'Histoire à l'œuvre — je veux qu'on puisse la regarder en face. On ne construit pas un roman national sur un mensonge”, a argué encore la ministre de la Culture française, responsable des archives.
Pour elle, le devoir de vérité revêt une importance majeure, nécessaire à apaiser les tensions et construire une histoire à partir des faits et non de mensonges. Comment cette décision est-elle perçue en Algérie ? L’historien Amar Mohand Amer ne manque pas de relever d’emblée le caractère “fondamentalement politique” de cette décision, intervenant au lendemain d’une brouille diplomatique sans précédent entre les deux pays. “C’est avant tout un acte fondamentalement politique. Les dernières déclarations d’Emmanuel Macron qui ont offusqué beaucoup de nos compatriotes, sinon la grande majorité, la promotion d’une ‘fausse Histoire’ de l’Algérie en France, notamment par le polémiste Éric Zemmour, ont accentué un climat qui était déjà délétère entre les deux pays. La conséquence de ces tensions mémorielles et politiques est que l’Histoire est prise en otage, encore une fois, par les porteurs de mémoire et des politiques”, explique-t-il à Liberté.
Et dans ce sens, observe-t-il, l’ouverture par anticipation de ces archives est une initiative du gouvernement français “destinée à rectifier le tir sur le plan politique”. Sur le plan académique, note-t-il par ailleurs, cette décision est une réponse aux demandes récurrentes des historiens d’“affranchir la discipline de toutes les pesanteurs, qu’elles soient politiques mémorielles ou idéologiques”, affirme-t-il. Ce qui permettra, poursuit l’historien, l’ouverture de nouveaux terrains à l’exploration des chercheurs. “Sur le plan académique, des thèses plus documentées seront réalisées”. Amar Mohand Amer espère que les jeunes historiens algériens pourront bénéficier de cette ouverture. Pour lui, “l’État algérien devrait profiter de cette occasion pour financer des séjours scientifiques en France qui seraient destinés aux jeunes historiens, les plus méritants”.
À l’instar d’Amar Mohand Amer, l’historien Fouad Soufi, également ancien archiviste, pense, lui aussi, que l’ouverture des archives “permettra aux historiens et autres universitaires d’accéder à de précieuses sources d’information dont ils sauront faire l’analyse critique”. Et de ce point de vue, dit-il, une archive constitue toujours un matériau important pour les historiens. Cependant, relève l’ancien archiviste, il ne s’agit pas des archives judiciaires, comme cela a été annoncé par la ministre française de la Culture. “Je voudrais préciser qu’il ne s’agit pas d’archives judiciaires. Ces archives ont été produites par les services de police et par la gendarmerie.
Les services de police relevaient et relèvent encore globalement du ministère de l’Intérieur et la gendarmerie était encore un corps de l’armée. Si les premières (mais pas toutes) sont depuis toujours versées aux Archives de France, les archives de la gendarmerie relèvent du Service historique de la Défense, mais versées dans les dépôts d’archives de la Gendarmerie nationale. On peut se demander si cette décision concerne les enquêtes de la DST, celles du SDECE et autres services ?”, s’interroge Fouad Soufi, ajoutant, d’un autre côté, que cette annonce “nous concerne tout autant”. Mme la ministre nous dit finalement : “Voilà donc notre décision en France et vous en Algérie ? Faut-il que notre pas en avant soit unilatéral ?” Chez nous, les historiens et autres chercheurs continueront-ils à se demander : “Jusqu’à quand allons-nous devoir écrire notre histoire à partir des archives françaises proprement dites ?”
Karim Benamar