Dans une lettre adressée au chef de l’État, des historiens et universitaires, dont Mohamed El-Korso, Dahou Djerbal, Amer Mohand-Amar, critiquent sévèrement les dépassements de la direction des Archives nationales et ses prérogatives. Ils demandent à M. Tebboune de mettre fin à “toutes les entraves bureaucratiques qui viennent à bout des chercheurs...”.
Le verrouillage, incompréhensible, de l’accès aux archives nationales, censées pourtant être à la portée des chercheurs et des historiens, ainsi que la gestion bureaucratique imposée par la direction du Centre des archives nationales ont fini par faire réagir plusieurs historiens et chercheurs qui s’en remettent désormais au chef de l’État afin qu’il soit mis un terme à cette situation qui dure depuis plusieurs années. Dans une lettre ouverte, parvenue hier à notre rédaction, une dizaine d’historiens ont appelé le président Abdelmadjid Tebboune à “ordonner” l’application de la loi régissant les archives nationales, à savoir la loi 88-09 du 26 janvier 1988. Une requête, “sans qu’interfèrent des interprétations personnelles qui vont à l’encontre de l’esprit même des archives qui sont un patrimoine de la nation”, écrivent-ils.
Les signataires du document, dont les historiens Mohamed El-Korso, Daho Djerbal, Amer Mohand-Amar, Ahmed Charef Eddine, Ali Tablit, Lazhar Badida, Affaf Zekour, Mustapha Nouissar et Allal Bitour, dénoncent les multiples entraves et contraintes dont beaucoup considèrent qu’elles ont été érigées en mode de gestion par la direction du Centre des archives nationales, à sa tête, Abdelmadjid Chikhi, également conseiller du Président sur la question de la mémoire.
Après plusieurs protestations et appels relayés notamment dans les médias nationaux, ils appellent aujourd’hui le chef d’État à agir et à mettre un terme à cette situation. “Le devoir moral et donc le devoir national nous commandent de vous adresser la présente lettre ouverte dans l’espoir que soit résolue la problématique des dépassements par la direction des archives nationales de ses prérogatives”, écrivent les auteurs du document, en rappelant que cette situation dure déjà “depuis deux décennies”.
Un verrouillage qui n’est pas sans conséquence sur le travail des historiens. “Cette situation, mentionne, à ce propos, le texte, n’a pas été sans impacter négativement les études historiques et le travail sur la mémoire nationale.”
Les signataires s’étonnent outre mesure que malgré l’intérêt que le Président porte à l’Histoire nationale et plus particulièrement à l’Histoire du Mouvement national et à la Révolution algérienne de façon particulière, l’accès aux archives nationales s’apparente à un parcours du combattant, alors que la gestion bureaucratique du Centre des archives nationales “vient à bout des chercheurs les plus opiniâtres”.
“Bien que vous ayez (le chef de l’État, ndlr) décrété le 8 Mai 1945, ‘Journée nationale de la mémoire’ et créé une chaîne d’histoire (Edhakira) ; bien que vous ayez nommé auprès de votre personne, un conseiller chargé des archives et de la mémoire nationale, nous n’arrivons toujours pas à accéder aux fonds d’archives, pourtant légalement communicables, particulièrement ceux portant sur le Mouvement national et la Révolution algérienne”, déplorent encore les rédacteurs de la lettre.
Dans leur document, ils appellent également le président de la République à ordonner “le droit d’accéder au contenu des dossiers communicables en lieu et place des feuillets communiqués un à un aux chercheurs ainsi que le droit de reproduire les fonds communicables sous quelque forme que ce soit comme cela a cours dans les différents centres d’archives à travers le monde”. Ils estiment par ailleurs que l’application de la loi 88-09 du 26 janvier 1988, “permettrait de rendre le Centre national des archives et les services d’archives de wilaya, attractifs aussi bien pour les chercheurs nationaux qu’étrangers. Ladite loi permettrait également de domicilier la recherche historique en Algérie et non pas à l’étranger, tout comme elle hissera la recherche et les études historiques ainsi que les domaines des sciences humaines et sociales, à un rang académique mondial”.
Cette lettre ouverte intervient dans un contexte où le débat sur l’Histoire, et particulièrement la période coloniale, continue d’alimenter les colonnes de la presse nationale. Elle intervient également dans la foulée du rapport de Benjamin Stora dont les recommandations continuent de faire couler beaucoup d’encre en Algérie et en France et de la décision du président Emmanuel Macron de faciliter l’accès aux archives relatives à la guerre d’Algérie, classifiées depuis plus de cinquante ans.
Karim Benamar