Les avocats qui se battent depuis plusieurs mois pour sauvegarder l’immunité que leur confère leur profession viennent d’avoir gain de cause. La Cour constitutionnelle, qui a eu à traiter le premier dossier depuis son installation, a tranché en faveur des robes noires, jugeant conforme à la Constitution l’article 24 de la loi 13-07 portant organisation de la profession d’avocat. Une victoire largement saluée par les avocats, mais qui reste, pour beaucoup d’entre eux, une “victoire d’étape”, puisque la question de la taxation de leur chiffre d’affaires à hauteur de 35%, prévue dans le projet de loi de finances pour 2022, au lieu de la taxe forfaitaire de 12%, jusque-là en vigueur, reste toujours posée.
Sauf qu’un “incident” provoqué par le bâtonnier d’Alger, Abdelmadjid Sellini, et commenté par le président du Syndicat national des magistrats, Issad Mabrouk, place cette nouvelle institution, moins de deux semaines après son installation, au cœur d’une polémique… à tel point que sa “dissolution” est réclamée, au motif que “ses décisions sont connues d’avance”. Explications : la genèse de l’affaire remonte à mars 2021, lorsqu’un magistrat — pour des raisons personnelles, selon l’Unoa — a déposé un recours auprès de la Cour suprême pour la révision du contenu de l’article 24 de la loi 13-07 portant organisation de la profession d’avocat, et qui stipule que ce dernier bénéficie de “la protection absolue du caractère confidentiel des relations entre lui et ses clients, de la garantie du secret de ses dossiers et de ses correspondances, du droit d'accepter ou de refuser un client, sous réserve des dispositions de l'article 11 de la présente loi”. Aussi, “l'avocat ne peut être poursuivi pour ces faits, déclarations et écrits dans le cadre des débats ou de la plaidoirie à l’audience”.
La Cour suprême, qui avait validé le recours, a transmis le dossier au Conseil constitutionnel qui devait se prononcer pour ou contre la constitutionnalité de l’immunité accordée à la défense. L’Union nationale des Ordres des avocats avait aussitôt haussé le ton et menacé de recourir à la grève, estimant que l’article 176 de la Constitution énonce clairement que “l’avocat bénéficie de garanties légales qui lui assurent une protection contre toutes formes de pression et lui permettent le libre exercice de sa profession, dans le cadre de la loi”. La question est donc restée en suspens. Mais voilà qu’avec la mise en place, le 18 novembre dernier, de la Cour constitutionnelle, l’affaire dépendait, désormais, des compétences de cette institution indépendante chargée d’assurer le respect de la Constitution.
Aussitôt donc la date de l’étude du recours fixée, l’Ordre des avocats d’Alger est monté au créneau pour annoncer, mercredi dernier, l’organisation, dans un premier temps, d’un rassemblement le lendemain, jeudi, au tribunal de Sidi M’hamed, à Alger, et, dans un second temps, d’une marche vers la Cour constitutionnelle, hier dimanche, le jour même où cette institution devait se prononcer en faveur ou contre l’immunité des avocats. Surprise : le soir du rassemblement des avocats au tribunal de Sidi M’hamed, le bâtonnier d’Alger, Abdelmadjid Sellini, annonce le gel de toutes les actions de protestation de l’Ordre, affirmant, dans un communiqué, avoir reçu des garanties des plus hautes autorités du pays.
La réaction du président du Syndicat national des magistrats, Issad Mabrouk, ne s’est pas fait attendre, puisqu’il s’est aussitôt exclamé sur son compte facebook, considérant que “si les propos du bâtonnier d’Alger venaient à se confirmer et que les décisions de la Cour constitutionnelle étaient connues d’avance, je demanderais sa dissolution”. Les avocats, qui ont ainsi menacé de recourir à plusieurs actions de protestation, viennent ainsi de remporter une victoire… même si les fuites de Sellini posent bien des interrogations.
Mehdi Mehenni