En lutte sans relâche contre le coronavirus depuis deux ans, le personnel médical est au bord de l’épuisement. Des psychiatres tirent la sonnette d’alarme et appellent à une prise en charge rapide de ce corps dévoué à sauver des vies humaines.
Contraint de s’adapter dans l’urgence à une crise sanitaire brutale et particulièrement anxiogène, le personnel soignant, en première ligne, court un risque psychologique élevé pouvant aller de l’anxiété jusqu’aux conduites suicidaires, passant par les symptômes de stress post-traumatique. C’est ce qu’ont affirmé les psychiatres qui ont débattu jeudi, lors de la journée d’étude organisée par l’Association des psychiatres du Djurdjura, en collaboration avec le service de psychiatrie du CHU et de l’EHS Fernane-Hanafi de Tizi Ouzou et plusieurs autres services de psychiatrie du pays.
“Le risque psychologique lié au stress et à l’anxiété engendrés par la Covid-19 parmi le personnel soignant, en particulier les intervenants de première ligne, doit pousser à planifier et appliquer des stratégies de prévention et de prise en charge pour y faire face”, a affirmé la Pre Seklaoui, qui a analysé, avec son équipe, l’impact psychologique de la Covid-19 sur le personnel soignant.
Pour motiver son appel, cette équipe de psychiatres a commencé par décortiquer la situation, jugée “compliquée”, que vivent les soignants au quotidien depuis le début de la crise sanitaire. Les travaux menés dans ce sens ont établi que les caractéristiques même de la pandémie sont l’origine principale des troubles psychotiques des personnels exposés.
“La pandémie de Covid-19 est caractérisée par la rapidité de sa diffusion, sa sévérité et des connaissances incertaines. C’est difficile d’assimiler en un temps si court une masse importante d’informations et d’acquérir de nouvelles compétences pour faire face aux situations cliniques graves. Il faut ajouter à cela une prise de décision difficile, qui accroît l’épuisement. Les efforts ne sont pas récompensés par des succès thérapeutiques et la mortalité vient matérialiser cette réalité et renforcer le sentiment d’inefficacité personnelle”, ont relevé ces psychiatres.
Mais pas seulement. “Cette situation génère aussi un déséquilibre familial et relationnel et un sentiment de menace permanent pour soi et ses proches. Une situation aggravée par le confinement, le risque élevé de contamination et la réduction des loisirs”, ont-ils ajouté, soulignant que le manque de maîtrise médicale de la pandémie, l’absence de traitement spécifique de l’infection ainsi que l’insuffisance de moyens matériels et organisationnels renforcent le sentiment d’impuissance du personnel de santé.
“Une situation qui fait que le risque psychologique chez le soignant exposé à la Covid-19 est à craindre, notamment chez les soignants de première ligne”, ont-ils prévenu, expliquant que ce risque peut se manifester à travers des symptômes psychiatriques de natures diverses, à savoir l’anxiété, le stress aigu, les symptômes de stress post-traumatique et les symptômes de dépression.
“L’existence d’un antécédent psychiatrique, ainsi que le jeune âge se sont révélés des facteurs de risque psychologique qui va de l’anxiété au syndrome du stress post-traumatique, à la dépression, à l’addiction et même au suicide”, a affirmé la Pre Seklaoui, expliquant que les troubles psychiques sont plus marqués chez les femmes jeunes que chez les hommes, et davantage chez les infirmiers que chez les médecins.
Les soignants en contact direct avec les patients infectés, dans les services de réanimation et d’hospitalisation des patients Covid, sont plus confrontés au risque d’anxiété, de dépression, voire d’émergence d’épisodes dépressifs caractérisés, ainsi que d’addiction à moyen et à long termes.
“Il y a aussi un risque de suicide élevé chez le personnel soignant. L’accumulation des risques psycho-sociaux en période de pandémie fait redouter une augmentation du taux de conduites suicidaires”, a alerté l’équipe de psychiatres, qui dit que sa crainte est d’autant plus importante que la population des soignants est une population qui, en dehors de cette pandémie, a déjà un risque de suicide supérieur à 50% par rapport à la population normale.
“La Covid a augmenté considérablement ce risque”, ont-ils affirmé, citant au passage que cinq cas de suicide parmi les soignants ont déjà été médiatisés en Europe depuis le début de la pandémie. Les communicants ont également cité deux études, dont la première a été réalisée pendant cette année 2021 au CHU de Nîmes, en France, pour déterminer la prévalence psychologique au sein des équipes de réanimation.
“Cette étude a relevé une augmentation de l’anxiété par rapport à avant le début de la crise sanitaire et aussi des cas de dépression et de syndrome de stress post-traumatique”, ont-ils précisé.
Et d’ajouter que la deuxième étude, faite au Cameroun sur deux populations – la première était exposée quotidiennement au risque de la Covid et la seconde ne l’était pas – a eu des résultats sans appel, puisqu’elle a montré que la première population a été la plus touchée.
Pour prévenir ces situations redoutées, les psychiatres ont indiqué que des stratégies existent. Il est question pour eux de la stratégie préventive primaire à travers la mise en place de cellules d’écoute individuelle pour apporter le soutien psychologique et renforcer les capacités de résilience individuelles ; la stratégie secondaire consiste en le dépistage des troubles, indispensable pour les soignants de première ligne et qui doit être étendu aussi aux autres acteurs du système de soins ainsi qu’aux étudiants en médecine, particulièrement, qui sont mobilisés durant la crise.
“Les enquêtes réalisées auprès des soignants permettent d’identifier des soignants et d’orienter les plus vulnérables vers des interventions thérapeutiques, et l’outil à utiliser dans cette stratégie secondaire, ce sont les questionnaires standardisés. Le dépistage pourra se concevoir de manière étagée selon le temps : dans l’immédiat et tardif. Il y a aussi les débriefings collectifs et l’accès à l’information appropriée qui permettent également de diminuer l’impact de la crise sanitaire sur l’état psychologique”, ont-ils recommandé, estimant qu’au sortir de la crise sanitaire actuelle, il conviendra de suivre les personnels soignants, notamment les plus exposés.
Samir LESLOUS