Accélérateurs linéaires en panne, rendez-vous de radiothérapie sur 8 mois à une année, manque de consommables, rupture des traitements, absence de soins palliatifs…, les coordinateurs de l’Alliance nationale de lutte contre le cancer dressent un bien sombre tableau.
D’une voix saccadée, Hamida Kettab, secrétaire générale de l’association El-Amel, répercute, dans une conférence de presse, la souffrance et l’errance de patients atteints de cancers, toutes formes confondues. “Le point noir de la situation est encore et toujours la radiothérapie. En 2012, le pays disposait de 7 accélérateurs linéaires.
En 2021, il en compte 50. Pourtant les délais d’attente d’un RDV sont toujours aussi longs : huit mois à une année, car uniquement 13 appareils sont fonctionnels”, dénonce-t-elle, ulcérée. “80% des femmes subissent des mastectomies (ablation totale du sein) à tort, à cause des retards dans les rendez-vous de radiothérapie. La plupart n’ont pas les moyens de se soigner dans les centres privés”, poursuit-elle.
Le protocole (25 séances) coûte 250 000 DA, non remboursables par la Caisse nationale des assurés sociaux. La plateforme numérique, mise en œuvre au mois de janvier de l’année en cours pour centraliser les rendez-vous de radiothérapie, est inopérante. “Elle n’a pas été vraiment utilisée car la plupart des centres n’ont pas d’intranet ni de bases de données”, explique-t-elle.
La présidente de l’association El-Amel énumère les contraintes, parfois insurmontables, auxquelles sont confrontés les malades : vagabondage d’un centre anticancer à un autre sur de longues distances (jusqu’à 800 km), frais de déplacements, des bilans de l’immuno-histologie, des IRM… assurés sur fonds propres, rupture de consommables et de traitements de base, absence de soins palliatifs… “Beaucoup de centres sont saturés, ou carrément à l’arrêt”, indique la conférencière. Elle cite des accélérateurs hors service à Sétif, à Batna, au CHU d’Oran, d’Adrar…, depuis des années.
“Nous réclamions l’immunothérapie.Aujourd’hui, nous manquons de la chimiothérapie de base. 10 femmes décèdent des complications du cancer du sein par jour alors qu’elles auraient pu être sauvées”, s’insurge-t-elle. Le Dr Fouzia Chebaani (Batna) tire la sonnette d’alarme : “Les malades sont en danger. Répéter, plusieurs fois, le protocole de radiothérapie à cause de la rupture des traitements augmente les risques d’exposition à la radioactivité et donc la toxicité.”
Elle mentionne l’indisponibilité de l’irathérapie (technique utilisée dans le cancer de la thyroïde). “La dose dans le secteur privé est facturée 20 000 DA. Qui peut se le permettre ?” Le centre anticancer d’Adrar est présenté, par les autorités compétentes, comme une référence. “À quel titre ? Un accélérateur a fonctionné 10 mois, puis s’est arrêté. Les deux autres sont encore sous emballage.
Le service de l’anapath n’est pas doté ne serait-ce que d’un microscope. Nous n’avons pas les moyens de dépistage”, témoigne Abderrahmane Toumi, driver d’une association locale. Les patients, en fin de vie, sont livrés aux proches, sans aucun accompagnement. “Un citoyen a déposé sa sœur à l’association, car la famille ne pouvait plus la prendre en charge. Une patiente a enregistré un appel de détresse poignant au ministre de tutelle. Elle est décédée”, rapporte Mme Kettab.
“Le malade est devenu un simple numéro de dossier. Nous avons épuisé toutes les voies à même de porter ces doléances jusqu’aux autorités sanitaires. Nous n’avons eu aucune réaction. Il est inadmissible de gérer une crise sanitaire (épidémie de Covid-19, ndlr) au détriment des autres malades. Ils sont les victimes d’une mauvaise gestion du secteur”, conclut-elle.
Souhila H.