Comme une malédiction, chaque intempérie fait son lot de victimes. En l’espace de 48h, six personnes ont perdu la vie à Bologhine et à Raïs Hamidou après les fortes averses qui se sont abattues sur la capitale.
Alors que Bologhine n’est pas encore remise du décès, mardi, de trois personnes - une femme et deux hommes - membres d’une même famille, dans l’effondrement d’un vieil immeuble, voilà un autre drame qui vient endeuiller le quartier de Raïs Hamidou : trois autres personnes d’une même famille ont été extraites, jeudi, des décombres de leur habitation de fortune.
Sur les hauteurs de la Pointe-Pescade, dans un ravin creusé par un perpétuel glissement de terrain, un bidonville abritant environ quarante familles est implanté, loin des radars, sur une forêt en dépérissement et traversée par un oued imprévisible. Difficile de croire qu’un tableau aussi sinistre, nommé “hay El-Âassafir”, (cité des Oiseaux), dans la commune de Raïs Hamidou, assombrit depuis vingt ans la carte postale d’Alger.
C’est ici, dans la nuit de mercredi à jeudi, à 3h du matin, que Youssef et Nadir, deux frères âgés respectivement de 17 et 18 ans, et leur oncle maternel, âgé de 30 ans, ont été ensevelis sous la boue et la roche, dans un glissement de terrain qui a brisé le mur extérieur de leur baraque. Ils ont été enterrés vivants, dans leur sommeil, alors que des pluies torrentielles s’abattaient sur le centre du pays. Leur frère aîné, Assem, 21 ans, est un miraculé. Il a été extrait vivant de la boue. Hier matin, alors que la famille et les voisins des trois défunts s’affairaient toujours à débarrasser la chambre de la boue, de la roche et des branchages d’arbres qui la jonchaient, Assem erre de lieu en lieu, donnant l’impression de ne pas trop réaliser ce qui vient de se produire. “Le médecin lui a prescrit des comprimés et il est revenu parmi nous”, se montre rassurant, Moussa, un voisin et membre de la famille.
Au bidonville de hay El-Âassafir, les habitants, pour la plupart, de la même famille, sont venus de la région de Jijel s’installer à Alger vers la fin des années 1990. Tous n’ont pas forcément fui le terrorisme, comme le souligne Sebti Boudia, le père des deux jeunes frères défunts, qui a acheté cette baraque en 1999, 30 000 DA. L’homme participant au rafistolage de ses trois pièces de fortune, fait montre d’un courage et d’une dignité exemplaires face à l’acharnement du sort. La chambre éventrée par le glissement de terrain devra retrouver son état initial pour abriter un autre membre de la famille. Ils sont neuf à vivre la même misère.
“La menace d’un câble électrique de haute tension”
Sur le même axe, d’autres baraquements menacent de glisser vers l’oued dit “Aouinet Bouâamar”, (la source du Faucon), dévalant des hauteurs de Bouzaréah et qui débouche sur les rivages de la plage “Franco”, à Pointe-Pescade. C’est d’ici, d’ailleurs, que les quarante familles s’approvisionnent en eau potable. Moussa, voisin et membre de la famille des trois victimes, désigne aux visiteurs les arbres tombés dans la rivière à la suite du glissement de terrain. Il se rappelle d’ailleurs les inondations du 10 novembre 2001, lorsque des personnes et des engins ont été emportés par la rivière en furie un peu plus haut, vers la carrière de ciment pour être jetés, plus bas, dans la mer. “Il y a des victimes qu’on a jamais retrouvées”, révèle-t-il amèrement. Aujourd’hui, il redoute le pire, surtout que le câble électrique de haute tension qui alimente la carrière depuis l’usine de ciment, est à même le sol, au milieu du bidonville, et donc à proximité de la rivière. “Le moindre court-circuit, et ce sont 40 familles qui seront carbonisées !”, alerte-t-il.
Mohamed, 45 ans, a, lui aussi, échappé avec sa femme et ses cinq enfants. Le soir de la nuit fatidique, son père les a invités à passer la nuit dans la maison familiale, les intempéries se montrant persistantes. Plus tard, le mur externe de leur seule chambre s’est écroulé. De gros débris de briques et de parpaings écrasent toujours les lits du couple et des enfants. C’est un autre drame qui a été évité de justesse. “Le bilan aurait pu être plus lourd, et il le sera inévitablement si les intempéries persistent. À moins que les autorités se rendent immédiatement compte du péril qui nous guette et qui ne manquera pas de tous nous emporter, cette fois-ci”, s’emporte Abdelghani, un autre habitant qui s’active, à côté, à bricoler sa bâtisse dévastée.
Un peu plus bas, Fatima Lalouni, la soixantaine, vivant seule avec son jeune garçon de 20 ans, se tient à l’extérieur, impuissante face au sol qui semble se dérober sous ses pieds. “Il y a deux semaines, notre seule chambre s’est écroulée sous le poids des branches d’arbres, et nous avons miraculeusement survécu. Des voisins m’ont aidée à reconstruire la pièce, mais j’ai le pressentiment que la prochaine fois, je ne sortirai pas vivante…”, lâche-t-elle, désespérément.
Mehdi Mehenni