Le ministre de la Santé, Abderrahmane Benbouzid, n’a pas hésité hier à qualifier la situation épidémiologique en Algérie de “préoccupante”, affirmant que la vaccination demeurait la seule option pour lutter contre la pandémie.
À profusion sur internet, pénurie dans les hôpitaux, l’oxygène médical est au centre de la polémique en raison d’un problème de disponibilité dans les structures de santé confrontées à un flux record de patients atteints de la Covid. La scène s’est déroulée le jour de l’Aïd à l’hôpital Mustapha-Pacha, la plus grande structure sanitaire de la capitale.
La centrale d’oxygène était presque vide à 16h. Tous les voyants étaient au rouge. “Les alarmes sonnaient sans cesse, les patients désaturaient et nécessitaient une intubation d’urgence”, témoigne un infirmier de garde ce jour-là. La situation était telle qu’elle a motivé une visite d’inspection du ministre de la Santé et de la Population, Abderrahmane Benbouzid, précise notre source.
“Effectivement, nos réservoirs ont atteint un certain seuil de manque ; les patients ont commencé à sentir un manque d’oxygène”, confirme le professeur Belhadj, chef de service de médecine légale et coordinateur médical à l’hôpital Mustapha, qui a dû constituer une cellule de crise.
“La situation est très particulière par rapport aux première et deuxième vagues durant lesquelles, nous avons pu gérer la demande en lits d’hospitalisation et en oxygène. Nous avons actuellement un très grand nombre de malades sous ventilation qui nécessitent jusqu’à 20 à 30 litres d’oxygène par heure. Nos besoins en approvisionnement d’oxygène se sont multipliés par six. Nous consommons 10 000 litres toutes les 16 heures”, confie ce spécialiste.
Et d’avertir : “À l’hôpital Mustapha, nous avons actuellement 265 malades sous oxygénothérapie haut débit pour 320 lits dédiés à la Covid-19. Si le nombre des contaminations poursuit sa progression, nous serons face à une équation dangereuse. Nous ne pouvons pas augmenter nos capacités d’accueil sans lits dotés d’installations en oxygène. Nous exprimons constamment nos besoins, mais l’approvisionnement en oxygène ne dépend pas de nous. Il y a trois sociétés qui le fabriquent. Mais plus le nombre de contaminations augmente, plus nos besoins s’accroissent.”
Selon le professeur Belhadj, c’est le même scénario apocalyptique dans tous les hôpitaux du pays. Certains ne disposent même pas de lits équipés d’une installation d’oxygène. Ils sont alimentés alors par de simples bouteilles d’oxygène pour lesquelles il faut mobiliser des équipes pour les transporter, et qui alimentent, au final, le malade que 6 à 7 heures. Tous les hôpitaux ont besoin, dans cette conjoncture, en même temps, de quantités importantes d’oxygène.
Particulièrement les wilayas endémiques comme Blida, Alger, Constantine, Oran, Mascara, Laghouat, Biskra et Batna qui connaissent une recrudescence des contaminations par la Covid-19. Le Pr Bekkat Berkani, président de l’Ordre des médecins, pense qu’il faut revoir entièrement le circuit d’approvisionnement et de distribution de l’oxygène.
“La situation est sérieuse et grave. Pas seulement en Algérie, mais dans le monde entier, à cause de la rapidité de contamination de ce variant Delta. Nous faisons actuellement face à une augmentation exponentielle des cas. En dépit de l’expérience acquise durant les première et deuxième vagues, nous ne nous sommes pas préparés à affronter une flambée d’une telle ampleur. Actuellement, nous ne manquons pas d’oxygène, mais de vecteurs d’oxygène. Nous ne disposons pas d’assez d’obus et de cuves d’oxygène, c’est-à-dire toute la logistique à mettre à la disposition des malades graves”, affirme-t-il.
Pour ces patients nécessitant une assistance respiratoire, “il fallait, poursuit-il, que le ministère de la Santé et l’Agence de sécurité sanitaire pense à prévoir un plan de catastrophe médicale”. “Prévoir des lits en dehors des hôpitaux, dans des grandes surfaces, à l’exemple de la Safex. Et aussi prévoir de l’oxygénation avec des cuves d’oxygène”, recommande-t-il. Plusieurs couacs sont signalés dans la chaîne de prise en charge. À l’hôpital Birtraria, l’installation d’oxygène au service médecine interne est sujette à des fuites depuis le mois de mars dernier. Ce qui n’a pas permis de l’intégrer dans le plan de prise en charge des malades Covid.
Hier, lors d’une rencontre, par visioconférence, le ministre de la Santé, Abderrahmane Benbouzid, a appelé les directeurs de la Santé publique à “exprimer leur besoins en oxygène à travers la plateforme numérique de la cellule d’oxygène, créée récemment par le Premier ministère, afin de faciliter leur approvisionnement en cette substance vitale en temps opportun et de préserver la vie des malades”, soutenant que le pays allait recevoir des concentrateurs d’oxygène en provenance de la Chine, vendredi ou samedi prochain, en attendant qu’un revendeur privé local se lance prochainement dans la production.
Le ministre de la Santé a également instruit les DSP de “redoubler le nombre des médecins réanimateurs, d’établir un contact direct avec la cellule relevant du Premier ministère et de sécuriser les respirateurs en mobilisant les agents paramédicaux et les surveillants pour rationaliser l’utilisation de ces appareils et préparer un plus grand nombre de lits”. M. Benbouzid qui n’a pas hésité à qualifier la situation épidémiologique en Algérie de “préoccupante”, affirmant que la vaccination demeurerait la seule option pour lutter contre la pandémie, a indiqué que l’Armée nationale met à la disposition du secteur de la santé son hôtel de Ben Aknoun d’une capacité de 120 lits équipés d’un respirateur, tandis qu’un grand hôtel sera réquisitionné dans chaque wilaya endémique pour la prise en charge de malades souffrant de détresse respiratoire.
Des mesures prises dans l’urgence, au gré de l’évolution de la situation. Le Pr Bekkat Berkani estime que les autorités sanitaires n’ont pas su anticiper cette troisième vague de Covid-19 qui “était pourtant prévisible”.
“On a démobilisé les services avec l’inconvénient que cela peut avoir sur les activités médicales hors Covid. Donc finalement, c’est la conjonction de plusieurs éléments qui font craindre le pire, surtout avec l’apparition des clusters familiaux. Nous n’avons pas retenu les leçons des première et deuxième vagues. Il fallait que les autorités mettent en garde la population à travers une campagne médiatique pour lutter contre les fake news autour de la vaccination. C’est toute une action tous azimuts qu’il fallait mettre en place pour faire face à cette troisième vague en attendant d’augmenter la cadence de la vaccination. Bien que les autorités sanitaires aient mis à la disposition de la population toutes sortes de vaccins en quantité, on ne sait pas combien de personnes ont réellement été vaccinées”, déplore-t-il.
Plus de 1 000 contaminations sont enregistrées chaque jour, relançant la peur au sein de la population qui s’est ruée vers les centres de vaccination.
Mais parallèlement au flux incessant des malades vers les hôpitaux, certains Algériens ont décidé de prendre eux-mêmes les choses en main, en sollicitant les services de médecins du secteur privé pour le traitement ou en pratiquant l’oxygénothérapie à domicile. Une aubaine pour certaines plateformes de vente en ligne.
Les prix affichés ne sont pourtant pas à la portée de tout le monde.
Il faut débourser au moins 100 000 DA pour une bouteille de 3 litres et à partir de 150 000 DA pour un concentrateur d’oxygène de 5 litres. Un commerce florissant né dans le sillage d’une conjointure pandémique tragique.
Nissa H.