Acte fondateur posé par des pères fondateurs. Le 1er Novembre 1954, qui scelle la fin de l’ère coloniale, était inscrit dans la longue marche des Algériens vers l’émancipation...
Voulant en finir, coûte que coûte, avec le système colonial qui a asservi un peuple à l’histoire millénaire et permettre à l’Algérie d’arracher une petite place au soleil dans le concert des nations, de jeunes Algériens (Mostefa Ben Boulaïd, le plus âgé d’entre eux, avait alors à peine 37 ans), ont pris la lourde responsabilité de déclarer la guerre contre la 4e puissance mondiale de l’époque. Animés de leur courage et surtout de leur foi inébranlable en la justesse de leur cause, ils avaient donc pris sur eux de forcer le destin et d’arracher l’indépendance quel qu’en soit le prix à payer. Et il a été très lourd (des centaines de milliers de maquisards tombés au champ d’honneur, des millions de veuves et d’orphelins, des villages et des mechtas décimés, etc), mais leur audace et leur sacrifice n’ont pas été vains puisque, après une guerre asymétrique et sanglante de 7 ans et demi, les Algériens ont pu enfin reconquérir leur pays et mettre, ainsi, fin à la longue nuit coloniale. “La proclamation du 1er Novembre 1954 a été un affront pour une France orgueilleuse et méprisante, et une véritable rébellion contre l’ordre colonial. En s’adressant directement au peuple algérien, elle a élevé celui-ci au rang d’acteur majeur sur qui reposait non seulement le sort de la Révolution, mais aussi l’avenir de l’Algérie au présent et au futur”, a affirmé l’historien Mohamed El-Korso dans un entretien accordé fin octobre 2020 à l’APS. Pour sa part, l’historien et un des acteurs de la Révolution algérienne, Mohamed Harbi, a eu à qualifier le 1er Novembre d’“événement fondateur”.
Inoxydable
Mais que reste-t-il aujourd’hui de l’“esprit de Novembre”, 67 ans après le déclenchement de la guerre de Libération nationale ?
À voir des jeunes arborer avec grande fierté, lors des marches organisées dans le sillage de la formidable révolution populaire de Février 2019 et plus d’un demi-siècle après l’indépendance du pays, le drapeau national et les portraits de certaines figures de la Révolution algérienne (Abane, Amirouche, Hassiba Ben Bouali, Ben Boulaïd, Ben M’hidi, Krim...), il n’est pas du tout exagéré de dire que l’“esprit de Novembre” n’a pas pris une seule ride. Et malgré les ratés et les espérances “trahies” de l’indépendance, le sentiment national ne s’est pas du tout émoussé chez les Algériens, jeunes et moins jeunes, qui ont quasiment mythifié ces hommes hors pairs, artisans d’une des plus belles épopées de l’Algérie moderne, en les élevant au rang de grands héros. Voire des figures fondatrices du roman national.
Mieux, tous les courants politiques, en allant des démocrates jusqu’aux islamistes, se réclament de la Déclaration du 1er Novembre 1954 qui avait défini les principes de la lutte du peuple algérien pour son indépendance avant que le Congrès de la Soummam n’en posât, en 1956, les fondements et les orientations. Cette proclamation est devenue une sorte d’extrait de naissance de l’État algérien moderne, mais aussi un référent, un repère révolutionnaire légitimant dans la vie politique nationale.
L’escroquerien “Badissia-Novembria”
Pourtant, malgré ce consensus national autour de la Révolution et la proclamation du 1er Novembre 1954, les énoncés de celle-ci n’ont pas échappé à une certaine interprétation au gré des appartenances idéologiques des acteurs politiques. Pour ne prendre que les islamistes, ils n’ont retenu que le passage “dans le cadre des principes islamiques” pour réaliser une sorte de hold-up sur l’histoire, en décrétant, au mépris des faits, une filiation douteuse entre leur courant idéologique et la Révolution algérienne. Or, les auteurs du texte, tous des francophones et des modernistes, ont explicitement posé comme but final de leur lutte “la restauration de l’État algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques” et “le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de race et de confession”. Mieux, leurs “ancêtres idéologiques”, les ulémas, n’avaient pas été de chauds partisans de la guerre de Libération nationale qu’ils ont rejointe tardivement grâce… à Abane Ramdane. Et ce révisionnisme à l’algérienne a atteint son paroxysme lors des marches du Hirak avec l’irruption du fameux slogan “Badissia-Novembria”.
De nombreuses voix sont montées au créneau pour dénoncer cette entreprise de détournement de l’Histoire et, récemment, c’est au tour du grand moudjahid et 2e homme de l’État, Salah Goudjil, président du Conseil de la nation, de mettre le holà, en donnant le coup de grâce à cette supercherie. “En tant que moudjahid, j’estime qu’une telle chose ne devrait pas être dite. Quand on dit que Novembre est badissi, on ment à l’Histoire. Novembre c’est Novembre, il n’appartient à personne. Les gens sont libres de dire ce qu’ils veulent, mais on ne doit pas enseigner cela à nos enfants. Ce n’est pas la vérité”, a-t-il soutenu, lors d’un colloque sur l’Histoire organisé par l’institution qu’il préside. “La Révolution du 1er Novembre 1954 n’était ni badissienne, ni messaliste et encore moins UDMiste (en référence à l’Union démocratique du manifeste algérien de Ferhat Abbas) ou communiste”, a explicité le président du Conseil de la nation, dans un communiqué rendu public hier, maintenant ainsi les propos de son président. Il faut dire que cette escroquerie mémorielle a offusqué beaucoup d’Algériens qui, depuis longtemps, n’ont cessé de réclamer l’écriture de la vraie histoire du pays, en la mettant à l’abri de toute instrumentalisation politicienne.
Arab Chih