L’Algérie a vécu une semaine infernale faite de feux et de flammes. Une épreuve qui a révélé une capacité citoyenne solidaire à faire bloc face aux périls. Il appartient maintenant à tout un chacun, à l’État en premier lieu, d’en tirer les conséquences.
Les pires incendies dans l’histoire du pays. L’Algérie a vécu un été particulièrement enflammé, avec des feux de forêt gigantesques ravageant des milliers d’hectares dans tout le pays. De Khenchela à El-Tarf, à l’Est, d’Aïn Defla à Chlef, à l’Ouest, les flammes ont tout dévasté sur leur passage. En Kabylie, particulièrement touchée par ces incendies, le désastre est immense. Un citoyen de cette région, rencontré lors de notre tournée dans les villages sinistrés, a eu cette phrase qui, peut-être, résume, à elle seule, l’ampleur de ce désastre écologique, économique et humain.
“C’est une plaie béante dont on ne parviendra pas à guérir de sitôt.” Parole d’un médecin ! Lorsque les premiers foyers de feu ont été signalés dans la wilaya de Tizi Ouzou, nous étions sans doute nombreux à être loin de penser qu’en quelques jours, des milliers d’hectares d’oliveraies, de couvert végétal, d’arbres fruitiers allaient partir en fumée. Sans doute encore très peu nombreux à penser que des dizaines de personnes — on attend toujours le bilan officiel des autorités — allaient périr, la majorité dévorée par les flammes, alors qu’elles tentaient de sauver, qui sa maison, qui son cheptel, qui ses oliviers.
Partout où nous nous sommes rendus, de Larbâa Nath Irathen à Beni Douala, en passant par Bouzeguène, Azazga ou encore Ath Yenni, les mêmes témoignages de l’horreur des villageois abattus et livrés à eux-mêmes. Plusieurs villages, à l’instar d’Igrev, sur les hauteurs de Bouzeguène, ou encore d’Ath Yenni, des populations ont affronté les feux de forêt dans l’isolement le plus total, coupées du monde, sans eau dans les robinets ni électricité pendant plusieurs jours.
Le traumatisme
“La Kabylie a été réduite en cendres en quatre jours seulement”, a affirmé un villageois d’Illoula Oumalou, où les corps de cinq personnes ont été retrouvés totalement carbonisés. “Au moment où nous nous apprêtions à inhumer les corps, nous avons remarqué du sang couler des cercueils”, témoigne Djamel, membre du comité de village d’Igrev.
“Il a fallu retirer les corps et les envelopper dans des bâches en plastique pour les enterrer”, a-t-il ajouté. Insoutenable.
Sans doute qu’il faudra beaucoup de temps pour panser les plaies de la mémoire des populations locales et apaiser, un tant soit peu, les esprits encore tourmentés et sous le choc. Des psychologues sont aujourd’hui sur le terrain. Nous les avons rencontrés, dans plusieurs villages, ces psychologues, femmes et hommes, volontaires, au chevet des populations. C’est un soulagement certain pour les rescapés et les dizaines de familles endeuillées par les incendies ravageurs. À cet élan spontané de solidarité, il faut impérativement que l’État engage aujourd’hui tous les moyens dont il dispose pour porter une assistance psychologique dont les populations sinistrées ont cruellement besoin. C’est un travail de longue haleine. “Les populations dans les villages sinistrés sont encore sous le choc des feux de forêt. Les séquelles psychologiques seront profondes et les panser nécessitera un long travail, coordonné et mené par des équipes compétentes”, estime Mahmoud Boudarène, psychiatre à Tizi Ouzou.
“L’impact du désastre provoqué par les feux de forêt sur le plan psychologique des populations ne sera véritablement visible qu’une fois la situation traumatique surmontée. Les premières séquelles se manifesteront après le choc”, dit le psychiatre, qui appelle les autorités à veiller sur la coordination des actions d’aide psychologique en direction des populations sinistrées. “Il y a beaucoup de volonté dans la prise en charge de l’aspect psychologique des populations traumatisées. Plusieurs équipes de psychologues volontaires sillonnent la Kabylie, ce qui est salutaire. Mais il faut que tout cela soit coordonné par la Direction de la santé. Il y a des procédures à suivre dans l’assistance portée aux populations”, recommande encore le Dr Boudarène qui, par ailleurs, interpelle l’État à prendre ses responsabilités dans la prise en charge psychologique des populations sinistrées.
L’ombre de Djamel Bensmaïl
Au désastre écologique, matériel et surtout humain, causé par les feux de forêt en Kabylie les plus spectaculaires que le pays n’a jamais connus, s’ajoute le poids du funeste et abominable meurtre du jeune Djamel Bensmaïl, venu de Miliana, apporter de l’aide à ces concitoyens luttant, souvent à mains nues, contre des flammes qui ont atteint, par endroit, une vingtaine de mètres de hauteur, selon plusieurs témoignages.
Quand le héros Jimmy a été lynché à mort, ce maudit mercredi 10 août, et brûlé vif à Larbâa Nath Irathen, la Kabylie s’en est retrouvée choquée et le cœur en miettes. Il n’est pas un seul village de la région où l’ombre du jeune artiste de Miliana n’a pas plané. “C’est l’horreur dans l’horreur”, a dit, à juste titre, un villageois à Igrev, commune d’illoula, qui venait d’enterrer son frère, dévoré par les flammes. “Nous n’avions pas besoin de ce crime abominable. Ce qui est arrivé à ce jeune artiste venu aider ces concitoyens à éteindre les feux de forêt est inhumain”, a-t-il ajouté.
Près d’une semaine à sillonner les villages endeuillés de la Kabylie, nous les avons vues ces populations abattues par l’acte inqualifiable perpétré à Larbâa Nath Irathen. Partout, nous avons croisé ces visages doublement peinés par la catastrophe des feux de forêt et le meurtre odieux de Djamel Bensmaïl. Les populations en Kabylie, comme partout dans le pays, exigent que toute la lumière soit faite sur ce drame d’une ampleur inédite. Elles réclament également que les responsabilités soient situées quant au rôle des autorités qui n’ont pas vu venir ces feux qui ont défiguré la Kabylie et d’autres régions du pays.
Par : KARIM BENAMAR