Le Dr Sid Ahmed Mouzaoui, généraliste omnipraticien installé, revient dans cet entretien sur cette inédite expérience de la lutte contre la crise sanitaire menée par les médecins privés exerçant dans la wilaya de Blida.
Liberté : Comment ont mené les médecins libéraux “la guerre sanitaire” induite par le coronavirus ?
Dr Sid Ahmed Mouzaoui : La guerre sanitaire induite par la Covid-19 n’a pas été de tout repos à Blida au même titre que les autres régions du pays qui ont payé un lourd tribut. Blida fait exception parce que c’est de là que la pandémie est partie. Pour le praticien généraliste que je suis et qui était sur le front, la lutte contre la Covid a été menée en deux temps. Durant la première partie de cette bataille sanitaire qui a duré jusqu’au mois de mai, il faut rappeler que nous étions pratiquement dans l’inconnu.
Au début, on ne connaissait absolument rien de cette maladie qui a mis a genoux la planète entière. On ignorait les rudiments thérapeutiques requis pour cette pathologie virale. La frappe du coronavirus était tellement forte qu’il nous a été, nous les praticiens libéraux, extrêmement difficile de nous y adapter. On ne disposait pas au départ de moyens nécessaires pour tenter de juguler cette pandémie transnationale.Il faut dire qu’on a eu beaucoup de clusters à l’époque, certains étaient plus virulents que d’autres. Il y a eu beaucoup de dégâts au départ au vu du manque de moyens nécessaires à la lutte, ajouté à cela l’impréparation des soignants. On avait affaire à une maladie complètement inconnue et totalement différente par rapport à toutes les autres maladies infectieuses connues jusque-là.
Après un an de lutte contre l’épidémie et malgré la guérison clinique, des médecins évoquent aujourd’hui la résurgence de certains signes de la Covid. Avez-vous eu affaire à des cas présentant des séquelles de la maladie ?
Malgré tout ce qu’on peut dire en termes de moyens, les médecins libéraux ont effectivement fait face. Ils ne peuvent fuir leur devoir vis-à-vis de la population. Beaucoup de cas sont passés devant les médecins privés pour une raison ou une autre. Personnellement, j’ai eu à prendre en charge durant les deux vagues épidémiques près de 3 000 personnes positives. Ces cas ont été soignés dans mon cabinet. Il faut juste rappeler que les gens qui craignaient de se soigner dans les services hospitaliers préféraient se rendre chez leur médecin traitant. À présent, les gens viennent se faire examiner pour n’importe quel syndrome grippal, fatigabilité ou pour une petite fièvre.
Cela expliquerait-il alors le nombre élevé de médecins contaminés et décédés relevant du secteur privé ?
Effectivement, il y a eu beaucoup de médecins du secteur privé qui ont été contaminés et qui ont payé un lourd tribut. Plusieurs soignants ont été touchés par l’épidémie, tout en portant la bavette et la visière. La charge virale était tellement importante qu’elle a fini par tuer. J’ai été contaminé au début de l’apparition de la pandémie, mais les séquelles sont toujours présentes. Ces séquelles sont encore là.
Je signale au passage qu’il y a d’ailleurs eu des publications scientifiques qui ont traité des séquelles ou des formes prolongées de la Covid. Des symptômes sont restés sept à huit mois. Ce sont des signes qui reviennent chaque mois. On ne peut pas respirer, on souffre tout le temps de dyspnée et on ne peut pas marcher. À titre d’illustration, on se plaint tout le temps de diarrhée ou de fièvre.
Personnellement, moi qui ai été contaminé durant la première vague, je souffre au jour d’aujourd’hui de beaucoup de problèmes digestifs. Alors que, lorsque je fais des tests, ils sont tous négatifs. Et sur le plan physique, je suis tout le temps épuisé. Je n’ai pratiquement pas travaillé pendant deux mois durant la période de confinement, parce que j’étais hospitalisé pendant 17 jours et ensuite en convalescence. Ces troubles digestifs sont survenus après avoir été contaminé par le coronavirus. Ce problème a un lien direct avec la prise de médicaments au point où cela finit par déstabiliser la flore intestinale. Autrement dit, certains germes normalement inoffensifs sont devenus pathogènes.
Ne serait-il pas utile, à votre avis, de lancer des études sur l’éventuel lien de causalité entre la Covid et les autres maladies ?
Quand on s’apprête à sortir d’une crise à l’image de celle du coronavirus, les autorités sanitaires doivent impérativement réfléchir à renforcer et améliorer notre système de santé en partant de l’expérience de lutte contre la Covid et de la vaccination qui est lancée. C’est maintenant qu’il faut passer à l’action pour faire face aux retombées de la catastrophe épidémique. Il est temps de mettre en branle des études scientifiques structurées. L’expérience de la Covid nous a bien montré qu’on ne pourra jamais savoir ce qui nous attend dans les prochaines années.
Quel est le dossier prioritaire que l’Association des médecins libéraux doit résoudre avec les autorités sanitaires ?
Les autorités sanitaires sont plus que jamais interpellées pour d’abord faciliter aux médecins libéraux la résolution des problèmes liés à la paperasse administrative. Beaucoup de médecins libéraux qui étaient pendant de long mois sur le front de la lutte avant de tomber malades se heurtent à des problèmes administratifs qui ne devraient pas exister. L’arrêt de travail d’un libéral n’est pas pris en charge par l’administration parce que la Covid-19 n’est pas encore classée comme maladie professionnelle. Il faut accélérer le règlement de ce problème pour espérer que les choses s’améliorent. Un médecin malade qui a perdu ses proches et qui n’a pas travaillé pendant une longue période ouvre droit à un arrêt de travail au même titre que son collègue du secteur public.
Entretien réalisé par : H. H.