Liberté : La reprise de l’activité virale durant tout le mois d’avril et les premiers jours du mois en cours s’explique-t-elle uniquement par l’arrivée des variants dans le pays ?
Pr Kamel Djenouhat : Il est très difficile de répondre avec certitude en l’absence de données que je juge nécessaires et primordiales. En effet, nous aurions aimé avoir le pourcentage des nouveaux variants par rapport à l’ancien pour avoir une meilleure visibilité et une meilleure interprétation de la situation épidémiologique.
Même si le nombre d’échantillons qui bénéficient du séquençage génique reste faible, cela ne constitue pas un préjudice si on se compare à quelques pays développés. Je pense que l’Institut Pasteur d’Algérie a franchi un grand pas positif dans le développement de ces outils diagnostiques, il doit néanmoins, nous communiquer le nombre de cas de nouveaux variants par rapport au nombre total des échantillons séquencés.
Qu’est-ce que vous inspire la progression des variants dans pas moins de 24 wilayas ?
La situation épidémiologique a connu une accalmie pendant quelques mois, cela était dû certainement à un taux qui tourne aux alentours de 50% d’immunité acquise lors des vagues précédentes. Mais c’est l’arrivée des nouveaux variants qui est certainement à l’origine d’un léger rebond de la pandémie.
Nous avons constaté dans une enquête préliminaire, que nous sommes en train de mener dans notre hôpital (EPH de Rouiba), que parmi les patients hospitalisés, le taux de réinfection reste très faible, cela nous rassure et corrobore l’hypothèse que l’immunité acquise naturellement par l’infection reste toujours efficace chez la plupart des patients
Parmi ces trois de variants détectés en Algérie, quel est le plus menaçant ?
Malheureusement, les trois types de variants détectés chez nous sont à craindre pour les raisons suivantes : le variant britannique est très contagieux et provoque jusqu’à 30% de plus de mortalité par rapport aux anciens variants.
On doit se souvenir qu’on est en face d’un variant qui est à l’origine de l’explosion de la pandémie de Covid-19 dans le monde. Le variant qui m’inquiétait le plus était le nigérian du fait que des experts britanniques ont constaté dans une étude comparative, avec effectif relativement réduit (600 malades) que ce variant serait deux fois plus mortel que les autres. Mais ce que je n’arrive pas à comprendre chez nous, et d’ailleurs je me pose toujours la question par rapport à ce variant qui prédominait chez nous il y a deux ou trois semaines, il n’y a subitement plus de cas, c’est comme s’il avait
disparu.
Et le variant indien ?
Pour ce qui est du variant indien, les scientifiques n’avaient pas de recul ou de données scientifiques solides et fiables. Néanmoins jusque-là, le variant indien est considéré comme étant “préoccupant” par l’OMS du fait que les experts ont pu montrer qu’il est plus contagieux et pourrait présenter un certain degré de résistance aux vaccins.
D’après vous, comment ont été importés ces variants alors que les frontières sont toujours fermées notamment après la suspension des vols spéciaux de rapatriement ?
Vous savez que le nouveau variant indien a été mis en évidence le 5 octobre 2020, et la ville de Maharashtra n’a connu une flambée qu’en avril 2021.
Même analyse pour le variant anglais, diagnostiqué pour la première fois durant le mois de septembre 2020 et la Grande-Bretagne a vécu sa vague durant le mois de décembre de la même année.
Donc, les variants mettent un peu de temps pour passer de cas sporadiques à des clusters puis à la généralisation. Nous avons vécu la même situation en Algérie mais, Dieu merci de façon beaucoup moins intense.
Nous avons importé ces variants durant les mois de janvier et de février et la montée des nouveaux cas a commencé trois mois après, c’est-à-dire en avril. Et lorsqu’on parle de frontières, cela sous-entend les frontières aériennes et terrestres à la fois.
Qu’est-ce qui empêche les hôpitaux dotés de séquenceurs d’amorcer le séquençage des PCR, puisque jusque-là, c’est l'Institut Pasteur qui assure cette activité...
L’investissement pour le laboratoire de biologie moléculaire nécessite des budgets conséquents et qu’il faut du coup rentabiliser. D’ailleurs, c’est à cause de ce problème de rentabilité que les pays développés ont opté pour ce qu’on appelle des pôles de compétence répartis par régions.
C’est la raison pour laquelle la réalisation du séquençage ne peut être généralisée dans tous les hôpitaux. En outre, cela ne nous empêche pas d’interpeller la direction de la recherche scientifique qui a investi pour quelques séquenceurs très coûteux pour les utiliser pour le Covid, en puisant dans le budget alloué à la recherche scientifique.
Malgré les assurances des pouvoirs publics, la campagne de vaccination est toujours au point de départ. Qu’est-ce qui la fait traîner ?
On a abordé ce sujet à maintes reprises, et nous avons dit que ce marché mondial sous haute pression obéit à la loi de l’offre et de la demande “premiers arrivés, premiers servis”.
Il faut rester positif et optimiste et on souhaite que de grandes quantités soient acquises prochainement et je réitère mon appel au citoyen algérien de ne plus demander après la marque ou la provenance des vaccins, parce que tous ces vaccins ont montré leur efficacité.
Les résultats de l’enquête menée par l’EPH de Rouiba qui ont conclu une immunité naturelle qui dépasse les 50% de la population ciblée ont fait objet de vive critique parmi les scientifiques ?
Il faut savoir que nous acceptons les critiques et les lectures opposées de notre travail, mais ce que je souhaite c’est qu’il faille avancer des critiques fondées sur les résultats des études menées, non pas sur de simples avis personnels.
Il faut savoir aussi que l’évolution de cette pandémie chez nous dépendra du taux de cette immunité acquise qui sera certainement différente d’une région à une autre, et les régions qui ont les taux de séroconversion les plus faibles seront les régions les plus vulnérables et les plus exposées aux flambées de l’infection par le Sars-CoV-2.
Entretien réalisé par : HANAFI H.