Le premier responsable du secteur de la santé livre, pour nous, le bilan de la lutte contre le coronavirus, une année après le recensement du premier cas de contamination en Algérie. Dans cet entretien, M. Benbouzid aborde également l’opération d’acquisition et de distribution du vaccin anti-Covid, le déroulement de la vaccination, mais également la question de l’arrivée du variant britannique et les mesures prises pour faire face à l’évolution de la situation sanitaire.
Liberté : Malgré les différentes démarches entreprises par votre département, les doses de vaccin ne sont pas encore disponibles en quantités suffisantes. Pourquoi ?
Abderrahmane Benbouzid : Le problème du vaccin est posé parce que l’antidote est né quelques mois seulement après l’apparition de l’épidémie. Par contre, nous avons commencé dès le mois d’août nos démarches, et ce, à travers deux dispositifs, dans le cadre de Covax qui nous permet d’acquérir une quantité appréciable de vaccin subventionné, à l’instar de 200 autres pays. Aussi faut-il rappeler que nous avons engagé des négociations directement avec un certain nombre de pays producteurs de vaccin. Nous sommes entrés en contact avec les ambassadeurs de Russie, de Chine et de Grande-Bretagne. Nous avons également engagé des négociations avec des représentants de tous les laboratoires avec lesquels nous avons signé des engagements et des mémorandums d’entente. Il y a lieu de savoir qu’aucun vaccin n’a été mis sur le marché jusqu’à la fin du mois de novembre. Et que les premières vaccinations n’avaient réellement commencé qu’en décembre. Dans une situation d’urgence, certains pays comme la Grande-Bretagne ou la France ont commencé à enregistrer l’antidote avec leur propre agence, faisant l’impasse sur les recommandations de l’OMS, parce qu’il y avait la flambée de l’épidémie.
Quelles sont les conditions imposées à l’Algérie ?
Au début, les fournisseurs de vaccin nous imposaient des conditions qui étaient intenables. Autrement dit, nous achetons le vaccin, et nous nous soumettons à leurs conditions, notamment en matière d’indemnisation. En raison de l’urgence, les producteurs ont produit un vaccin en bousculant les règles des essais cliniques qui demandent des années pour que le traitement soit prouvé comme étant inoffensif. Les fournisseurs disent qu’ils ne peuvent pas garantir les suites. Il faut alors accepter ces vaccins et accepter aussi les travers des vaccins. Il n’y aura aucune indemnisation de la part des fournisseurs. C’était difficile à accepter, mais nous avons été, à l’instar de tous les pays, contraints d’accepter.
Comment gérer et distribuer ces petits quotas à travers les 8 000 centres de vaccination ?
Nous avons réceptionné 50 000 doses et 50 000 autres pour ne vacciner qu’un total de 50 000 personnes. Il fallait dégager des lots pour les structures de santé militaire. On a réservé 5 000 doses pour les hôpitaux de l’armée et de la DGSN. C’est tout à fait normal, et les 20 000 premières doses ont été données à 20 wilayas qui ont le taux d’incidence le plus élevé. Trois jours plus tard, nous avons réceptionné une autre cargaison d’AstraZeneca que nous avons livrée aux 28 autres wilayas, soit approximativement 1 000 doses par wilaya. Par contre, Alger a eu plus de 1 000 doses. Il y a des régions qui ont recu moins de 1 000 doses. D’autres doses vont encore arriver d’ici à la fin du mois, en plus des 200 000 que nous avons reçues mercredi dernier de Chine. Nous sommes absolument dans la sérénité totale, et ce, grâce à la bonne conscience de la population et des collègues. Franchement, je ne me fatiguerai jamais de faire l’éloge de la population, en général, en particulier ceux qui étaient au front, quoi qu’on dise, le résultat est là et il faut le partager.
À ce rythme, parviendrons-nous à vacciner les 20 millions d’Algériens d’ici au 31 décembre 2021 ?
Nous sommes dans une démarche où les épidémiologistes disent que si vous vaccinez 70% d’une population, la propagation du virus sera freinée et finie, alors que l’OMS a recommandé de vacciner 50% de la population. Et nous avons donc décidé d’immuniser 70% d’Algériens, soit ceux qui sont âgés de plus de 18 ans. Par conséquent, la vaccination de 20 millions suppose un approvisionnement de 40 millions de doses. Sur ces 20 millions, il faut considérer ceux qui ont déjà été contaminés — ils représentent peut-être 10% — que nous n’allons pas vacciner. Nous serons donc 18 millions, mais les lectures scientifiques récentes disent que celui qui a été contaminé peut-être vacciné 3 ou 6 mois après la guérison, avec une seule dose seulement. Il y a lieu aussi de relever les réticences volontaires ou involontaires, c’est au moins 10% de la population concernée, et il y a aussi les populations des 20 wilayas qui enregistrent depuis longtemps 0 cas, et elles se demandent pourquoi elles devraient se faire vacciner. Il faudra enlever 10 à 20%, nous serons au total 16 millions. Ce chiffre national exige 32 millions de doses. Je parie qu’ils seront 15 millions à devoir être vaccinés, donc il faut 30 millions de doses. Partant de là, on déduira que 60% de la population sera vaccinée, si bien que nous avons fait des précommandes pour 40 et 44 millions de doses de façon à vacciner 20 millions et même plus. Il s’agit là de finaliser un travail qui a été fait depuis des mois. Il ne faut pas perdre aussi de vue un autre élément, celui de savoir comment sera cette épidémie dans deux mois, puisque nous avons enregistré une baisse de 11% de contamination dans le monde et une baisse de la mortalité de 20%
La vaccination du personnel soignant relevant du libéral n’avance pas, puisque nombreux sont ceux qui n’ont pas encore été vaccinés ?
Le libéral est d’abord un médecin, autrement dit, quand il a besoin d’un scanner, il se présente à l’hôpital et parvient à obtenir un RDV et passe en priorité. Il est servi à l’hôpital parce qu’il est médecin, ce sont les règles d’éthique. Pourquoi disent-ils qu’ils sont écartés ? Je ne peux pas croire qu’un médecin rencontre une difficulté quelconque auprès d’un autre médecin à l’hôpital. Peut-on imaginer un instant qu’un médecin du public refuse à son collègue du libéral de se faire vacciner ? Le libéral peut s’inscrire au même titre que les autres. À l’hôpital, un calendrier a été établi. Vu qu’ils font partie des prioritaires, ils passent et se font vacciner. Dès lors que les quantités sont restreintes, il y aura un mécontent qui devra comprendre qu’on a apporté une petite quantité, et que priorité est donnée au corps médical. Il est écrit qu’il n’y a aucune différence le public et le privé et les corps constitués. Par conséquent, je ne cesserai de répéter toute la considération que j’ai pour les collègues du privé, car quand il y a des catastrophes naturelles, à savoir des séismes, des inondations, ce sont les collègues du privé qui viennent prêter main-forte à leurs confrères du public.
Le versement de la prime Covid connaît toujours des retards alors qu’un décret présidentiel a été publié à cet effet, mais le problème demeure entier. Pourquoi ?
La prime Covid n’est pas versée de manière régulière, parce que c’est un droit dûment décrété. Certains l’ont perçue, d’autres non. Ce problème ne relève pas du ministère de la Santé mais de celui des Finances. Nous écrivons au ministère des Finances pour qu’il débloque à chaque fois le budget de la prime qui est allouée trimestriellement. Elle sera renouvelable tous les trimestres jusqu’à la fin de l’épidémie.
L’activité du Comité scientifique a nettement baissé, au point que certains se sont même permis de signer l’acte de décès de cette instance…
Au début de la crise pandémique, le Comité scientifique se réunissait tous les jours, y compris les jours fériés. Mais avec la baisse des contagions, nous nous réunissons trois fois par semaine : les dimanches, mardis et jeudis. Parfois, nous ne nous réunissons pas à cause de la survenue d’un événement. Ainsi, la réunion Covid est décalée de quelques jours. Pour cette semaine, nous l’avons avancée à mercredi, au lieu de jeudi, en raison d’une conférence internationale sur le projet solidaire européen Covid-19 en Algérie. Alors, ceux qui disent qu’ils ne se réunissent pas mentent. Je dois rappeler que le Comité a fait tous les protocoles sanitaires utilisés dans tous les secteurs. Nous avons élaboré pas moins de 132 recommandations que nous avons adressées à l’ensemble des médecins. Vu qu’il n’y avait pas d’activité, nous avons même organisé des séances de travail sur le post-Covid. La semaine dernière, nous avons étudié la venue ou non de l’équipe sud-africaine en Algérie pour affronter le CRB à Alger dans le cadre de la Champions ligue africaine. On a donné notre avis. Le comité qui compte 15 membres est toujours présent et est dirigé par un président. On se réunira mardi 2 mars.
Malgré la crise sanitaire, les grèves se répètent dans le secteur de la santé. La dernière a été enclenchée par les auxiliaires anesthésistes pendant trois jours. Dans ce cas, où se situe la responsabilité du ministre de la Santé ?
Ces derniers temps, les grèves sont fréquentes dans le secteur de la santé ou ailleurs. Les années précédentes, il y avait tout le temps des grèves, mais la Covid-19 a un peu calmé la situation. Nous sommes conscients de la situation, et c’est pour cela que nous avons engagé des rencontres avec le front social, avec les partenaires. Nous sommes toujours à l’écoute, les revendications datent des années précédentes, dont certaines n’ont pas été réglées lorsqu’il y avait de l’argent. Il y a aussi d’autres revendications qui sont liées au statut, par conséquent, elles ne relèvent pas directement du ministère de la Santé, mais de la fonction publique. Pour les adjoints médicaux en anesthésie réanimation, j’accorde certaines prescriptions qui peuvent être faites par ces anesthésistes. Tout cela se discute uniquement dans le calme.
Y a-t-il des mesures spécifiques à prendre pour faire face au variant britannique qui a fait son entrée dans le pays ?
Il faut savoir qu’il y a des dizaines de pays avec des centaines de variants. Lorsqu’un virus mute, il devient plus résistant. Plus il y a de virus, plus il y a des variants et plus la pandémie dure. En outre, les variants ne sont pas obligatoirement de chez nous car il ne faut pas oublier que parmi les 1 000 Algériens, qui viennent d’Europe, figurent parmi eux ceux venant d’Angleterre, via Paris. Je citerai un autre exemple : avant le match CRB contre une équipe sud-africaine qui devait se jouer à Alger, deux représentants du club africain sont venus deux semaines auparavant pour préparer le séjour d’une délégation de 50 personnes qui devait être logée dans un hôtel qui continuait à accueillir des clients. Ces deux représentants sud-africains sont venus depuis Doha. Ils sont rentrés comme tout le monde. Le variant provient par définition du séquençage du virus. Nous avons détecté deux cas de variants en Algérie, il n’y a pas lieu de s’alarmer. Ce variant finira par être éradiqué par la vaccination.
Entretien réalisé par : Hanafi Hattou