L’Actualité LOUISA HANOUNE ADRESSE UNE LETTRE OUVERTE À ISSAD REBRAB

“Ne brisez pas cet espoir”

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LOUISA HANOUNE Publié 05 Avril 2022 à 12:00

© D. R.
© D. R.

La nouvelle est tombée tel un couperet.
Le conseil d’administration du journal Liberté, dont vous êtes propriétaire, va se réunir mercredi 6 avril courant pour décréter la disparition de ce journal. L’incompréhension et la stupeur mêlées d’émotion ont vite cédé la place à l’indignation et à la colère. Mais une telle nouvelle est si invraisemblable par sa violence que nous avons du mal à y croire.

Envisagez-vous réellement la mise à mort du journal Liberté ? Depuis la publication de cette sinistre information, nous sommes assaillis d’appels, y compris de l’étranger, notamment des pays francophones, de journalistes et de militants amis pour qui le quotidien Liberté est une source d’information fiable sur la situation de notre pays. En effet, le quotidien Liberté est une référence sérieuse et crédible sur le plan tant national qu’international. Mais pourquoi ? Quels motifs gravissimes pourraient dicter une telle mesure irrémédiable ? Certes, vous êtes fondé à prendre les décisions qui concernent le sort du journal en votre qualité de propriétaire. Problème de financement ?

Il est vrai que Liberté compte parmi les journaux qui, ayant conservé, malgré les pressions diverses, une indépendance bien que relative, considérant les menaces qui pèsent sur la presse en général, ont été sanctionnés par la privation de toute publicité publique distribuée généreusement à des médias quasi inexistants, qui ont accepté de se soumettre pour devenir des instruments au service de la propagande gouvernementale. Mais pardonnez notre doute. Nous avons du mal à admettre que le manque de financement puisse être à l’origine d’une décision extrême que le conseil d’administration s’apprête à entériner. Cela parce que, comme toutes les Algériennes et tous les Algériens, nous connaissons l’histoire du journal Liberté. Et si c’était le cas, ne serait-il pas possible de faire appel à souscription pour sauver le quotidien Liberté ? N’est-il pas envisageable de permettre aux journalistes de le reprendre ?
Nous en sommes convaincus, les Algériennes et les Algériens, lecteurs de quotidien Liberté, malgré la situation sociale dramatique dans laquelle ils se débattent majoritairement, consentiraient des efforts douloureux pour assurer la survie de leur journal.

Monsieur Issad Rebrab,
Faut-il vous rappeler qu’un journal n’est pas la propriété exclusive de ses actionnaires ou de son propriétaire, qu’il est aussi la propriété de ses lecteurs qui lui ont donné la place qu’il occupe ? Ce qui en fait un patrimoine national. Et le quotidien Liberté occupe une place centrale dans le spectre des médias nationaux, une place qu’il a arrachée dans un combat qui dure depuis 30 ans, traversant et accompagnant les dures épreuves que notre pays a subies et grâce à la qualité de son contenu, du professionnalisme de ses journalistes, à leur éthique, leur persévérance. Oui, le journal Liberté appartient aussi à toutes celles et à tous ceux qui, comme nous, cherchent l’information crédible, le journalisme honnête qui leur permet d’être au fait des développements, afin de pouvoir se faire une opinion et éventuellement agir. Par conséquent, la liquidation annoncée du quotidien Liberté est une attaque insupportable contre chacun d’entre nous.

Monsieur Issad Rebrab,
Nous avons le droit, tous les lecteurs du journal Liberté ont le droit de savoir quelles sont les vraies raisons qui sont à l’origine de la menace de disparition du quotidien Liberté. Car ce journal compte parmi les très rares survivants – en tant que journal sérieux et non clientéliste ou courtisan – de la régression sur le terrain des libertés. Oui, par-delà sa ligne éditoriale, le quotidien Liberté n’a pas succombé au chant des sirènes de la contre-révolution et de la réaction. Il est resté le journal progressiste de la résistance, le porte-voix des sans-voix, des victimes de l’injustice et d’arbitraire, mettant à nu les régressions… Mais aussi celui des luttes et donc de l’espoir. Il est resté le porte-voix des travailleurs et des retraités, des couches vulnérables, des harraga, relatant la détresse des familles sans nouvelles de leurs enfants disparus… Le porte-voix de la douleur des familles de détenus politiques… Journal d’investigation et d’analyse, tribune libre pour le débat large, Liberté a toujours été un défenseur acharné des causes justes dans le monde. Et Liberté est un journal patriotique, car poser les problèmes, c’est aider dans leur résolution et donc éviter au pays le délitement de son tissu social national qui mène au chaos dislocateur. En effet, seuls ceux qui ont intérêt à voir notre pays sombrer se taisent face aux problèmes pour entretenir les processus de somalisation qui ont fait des ravages
notamment sur notre continent.
C’est pourquoi nous pensons que sa disparition est une affaire nationale et que les autorités ne sauraient rester indifférentes.

Monsieur Issad Rebrab,
Vous n’êtes pas sans ignorer les conséquences qu’engendrerait la décision de liquider le quotidien Liberté, dans un contexte marqué par une crise politique, économique et sociale majeure.
Ce pays, déjà exsangue, peut-il supporter un autre acte volontaire qui s’apparenterait à une provocation supplémentaire ? Mais qui y a donc intérêt ? Liberté est une des dernières lucarnes par lesquelles passe encore un peu de lumière, un peu d’air dans le climat étouffant qui prend à la gorge la majorité épuisée par tant de privations. En revanche, sa liquidation encouragerait la mise à mort du très peu de journaux véritables qui résistent encore à la désertification totale de la presse libre. De ce fait, sa disparition est un facteur supplémentaire de désespoir. A contrario, Liberté est un des derniers remparts qui nous permettent de garder l’espoir de recouvrer nos libertés confisquées. Ne brisez pas cet espoir. N’emmurez pas la lucarne. N’oubliez pas que nos enfants, les générations montantes jugeront toutes celles et tous ceux qui, volontairement ou pas, auront contribué à l’avènement du pire, car fermer le quotidien Liberté pourrait constituer l’atteinte de trop.
Alors, reconsidérez votre décision. Veuillez croire, Monsieur Issad Rebrab, en notre attachement indéfectible aux acquis démocratiques.

LA Secrétaire générale du PT



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