Le rapport établi par l’historien Benjamin Stora tente de trouver un équilibre entre les exigences historiques et les susceptibilités politiques. Que retiendra le président Macron des 22 recommandations que contient le document de Stora ? La grande question est celle de savoir comment ce rapport sera accueilli des deux côtés de la Méditerranée.
Six mois après avoir été missionné par le Palais de l’Élysée pour formuler des propositions en mesure de mettre fin à “la paralysie mémorielle” qui empoisonne les relations franco-algériennes, l’historien Benjamin Stora a achevé son rapport et l’a remis hier au président Emmanuel Macron. Le document de 150 pages comporte une trentaine de “préconisations” qui visent, selon son auteur, à mettre fin aux dénis sur la guerre d’Algérie et à réconcilier les mémoires des deux côtés de la Méditerranée.
Benjamin Stora appelle, notamment, à la mise en place d’une commission “Mémoire et Vérité”, qui se chargera par exemple de recueillir la parole des victimes de la guerre et d’organiser des commémorations importantes comme l’anniversaire des massacres du 17 Octobre 1961 ou les accords d’Évian. L’historien qui veut présider lui-même cette instance propose d’y associer différentes personnalités “engagées dans le dialogue franco-algérien”, comme Fadhila Khatabi, présidente du groupe d’amitié franco-algérien à l’Assemblée nationale française, et Karim Amellal, ambassadeur et délégué interministériel à la Méditerranée. Pour Stora, la réconciliation des mémoires exige aussi une plus grande transparence sur les assassinats et les disparitions pendant la guerre d’indépendance. Comme pour Maurice Audin, il estime que l’État français doit reconnaître sa responsabilité dans le meurtre en 1957 de l’avocat Ali Boumendjel.Il préconise, par ailleurs, la création d’un guide des disparus, l’identification des lieux où ont été inhumés les condamnés à mort algériens et l’activation du groupe de travail algéro-français sur les archives en vue de finaliser son travail d’inventaire.
Toujours à propos de la question des archives, l’historien préconise la création d’un fonds commun algéro-français librement accessible et de faciliter la délivrance des visas aux chercheurs algériens inscrits en thèse sur l’histoire de l’Algérien coloniale. Ce genre de démarche devrait contribuer, selon lui, à résoudre le problème de domiciliation des documents sur la période coloniale. Le travail de mémoire implique aussi, selon Stora, une plus grande coopération française concernant l’identification des lieux des essais nucléaires et de pose des mines aux frontières. Il encourage également la poursuite de l’activité du comité mixte chargé d’organiser le rapatriement des restes mortuaires de combattants algériens encore conservés au Museum d’histoire naturelle de Paris.
Sur un autre registre, l’historien demande aux autorités françaises d’examiner avec leurs homologues algériens la possibilité de faciliter les déplacements des harkis et de leurs enfants entre la France et l’Algérie. Il suggère, également, la mise en place d’une commission mixte pour “faire la lumière sur l’enlèvement et l’assassinat d’Européens à Oran en juillet 1962”.
Les violences et les exactions subies par des Algériens sur le territoire français pendant la guerre d’indépendance doivent être également mieux reconnues, estime Stora. Celui-ci propose, par exemple, de transformer en lieux de mémoire quatre camps d’internement (Larzac, Saint-Maurice l’Ardoise, Thol et Vadenay) ou des milliers de compatriotes ont été retenus à partir de 1957.
L’historien suggère, en outre, qu’une stèle soit érigée à l’effigie de l’Émir Abdelkader à Ambroise et que les cendres de l’avocate Gisèle Halimi soient transférées au Panthéon. Commentant le rapport, un conseiller de l’Élysée, cité hier par la presse française, a fait savoir que le président Macron a accédé “à bon nombre des recommandations” de Benjamin Stora.
Il va, notamment, présider une cérémonie d’hommage aux victimes des massacres du 17 Octobre 1961. Le chef de l’État français s’engage également à permettre “un accès plus facile aux archives” de part et d’autre de la Méditerranée.
“Le président de la République veut regarder l’histoire en face car il veut construire en exploitant cette histoire, une mémoire qui soit celle de l’intégration républicaine. Il veut qu’elle soit partagée par tous les citoyens qui composent notre pays, et ce, qu’elle que soit leur culture ou leur origine”, a expliqué le conseiller de l’Élysée, assurant que Macron ne regrette nullement d’avoir qualifié le colonialisme de crime contre l’humanité.
Pour autant, le chef de l’État français n’entend pas s’en repentir. “Il n’est pas question de s’excuser”, affirme son conseiller. À l’Élysée, on estime que “la repentance est vanité, la reconnaissance vérité et que la vérité, ce sont des actes”.
Benjamin Stora aussi n’est pas favorable à une repentance. Dans un des chapitres de son rapport, il évoque les excuses réclamées par les autorités algériennes, en estimant qu’il faut explorer d’autres moyens pour tourner la page. “Dans la lignée des discours présidentiels français précédents, ce geste symbolique peut être accompli par un nouveau discours. Mais cela est-il suffisant ? N’est-il pas nécessaire d’emprunter d’autres chemins, de mettre en œuvre une autre méthode pour parvenir à la réconciliation des mémoires ?” interroge-t-il. L’historien cite l’exemple des excuses formulées par le Japon à la Corée du Sud pour la période de la colonisation, mais qui n’ont jamais suffi, selon lui, “à calmer les mémoires blessées”.
Par : Samia Lokmane-Khelil