À l’approche de l’Aïd, les vêtements d’enfants sont proposés à des prix défiant un pouvoir d’achat érodé. Les Algériens cherchent les bons plans dans les ventes en ligne, les marchés et même des magasins proposant leur marchandise… au kilo.
Jour de la dernière semaine du mois d’avril, l’affluence est importante dans les trois centres commerciaux de la proche banlieue est de la capitale. Sur plusieurs vitrines, sont annoncées des promotions atteignant les 50% (le ministère du Commerce a autorisé exceptionnellement les soldes durant le mois de Ramadhan). La perspective de bonnes affaires capte immédiatement l’intérêt de la clientèle-cible : couples avec enfants.
À l’intérieur des magasins, c’est la désillusion. Malgré les réductions consenties, les prix restent élevés, notamment chez les franchises de sportwears et habillement. Les paires de baskets pour garçonnets et fillettes sont proposées entre 4 000 et 5 000 DA. Les prix des pointures plus grandes (à partir du 38) démarrent à 7 800 DA. Ils caracolent à plus de 30 000 DA à certains endroits et pour des marques particulières.
Des robes froufrous, en satin et dentelle (très prisées par les mamans à cette occasion) ou des tenues de gamins relativement classiques sont affichées entre 4 000 et 5 200 DA. “C’est hallucinant. Pour mes enfants, j’investissais, d’habitude, dans les chaussures et des habits de bonne qualité. Cette année, je ne pourrai pas me le permettre à ces prix”, peste une jeune femme. Elle fait un tour dans la boutique, puis sort sans avoir rien pris. “Nous recevons plus de clients en soirée. Mais les ventes sont faibles comparativement aux autres années à la même période”, relève une commerciale, qui tente d’obtenir des adhésions aux cartes de fidélité, en vain.
À Alger-Centre, à Dély Ibrahim, à Chéraga, à Draria… un phénomène identique est constaté : beaucoup de chalands, peu de ventes conclues. “La hausse des prix est légère. Les commerçants veulent écouler les stocks de l’année dernière, même avec des marges bénéficiaires minimes”, affirme El-Hadj Tahar Boulenouar, président de l’Association nationale des commerçants et des artisans (Anca). “Cette période des achats de l’Aïd est une opportunité. Les Algériens majorent leurs dépenses dans l’habillement de 60%. Après le Ramadhan, on s’attend à un repli de l’activité, considérant que les familles n’investiront probablement pas dans les vêtements pour l’Aïd El-Adha et la rentrée scolaire”, pronostique-t-il.
“Les prix de l’habillement et des chaussures sont plus élevés. Il y a une volonté de certains commerçants à rattraper les pertes induites par le confinement. C’est un raisonnement faux, car le volume des achats baisse”, contredit Mustapha Zebdi, président de l’Apoce (Association de protection et orientation du consommateur et son environnement). Il soutient que les Algériens, majoritairement, ne peuvent plus investir de grosses sommes dans les acquisitions de l’Aïd, en raison de l’érosion du pouvoir d’achat à hauteur de 20%, au début de l’année 2021. Il faut désormais un revenu de 75 000 DA par mois rien que pour les dépenses incompressibles (alimentation, transport, frais du téléphone, de l’internet, de l’eau, du gaz, de l’électricité et… de la location ou du crédit immobilier). “Nous avons fait cette estimation sur la base de la dévaluation du dinar”, précise notre interlocuteur.
“J’ai remis 20 000 DA à ma femme – ce qui représente la moitié de mon salaire du mois d’avril – pour les achats de l’Aïd. Cette enveloppe doit lui suffire pour habiller nos trois filles et notre garçon”, témoigne Boualem, fonctionnaire. Comment honorer les traditions des fêtes de la fin du Ramadhan (gâteaux et habits neufs) sans se ruiner ou devoir contracter des emprunts ? Il suffit de connaître les endroits où il est possible d’acheter moins cher.
Les bonnes adresses sont échangées de bouche à oreille, entre copines, voisines, cousines ou collègues. “Je n’avais pas besoin d’opération marketing pour faire connaître notre nouveau magasin, ouvert le 3 avril dernier. Les clients l’ont fait pour nous”, reconnaît Tarek Benamor, gérant d’Europe Stock. “Nous sommes au mois d’essai. Le personnel n’est pas encore stabilisé car nous n’avons pas encore une estimation de la moyenne de fréquentation. Elle semble, a priori, importante”, poursuit-il.
Dans ce commerce localisé à l’entrée de Dergana, les articles ne sont pas vendus à l’unité… mais au kilogramme. La formule originale attise la curiosité autant que la convoitise de clients avides de bons plans, afin d’optimiser leurs budgets.
Des vêtements s’empilent sur des étagères ou s’alignent sur les présentoirs, dans un immense hangar. Sur chaque étal, une balance électronique est mise à la disposition de la clientèle. Dans ce négoce, les pièces sont vendues au poids à raison de 4 000 DA le kilogramme. Un couple pèse un ensemble pour bébé. 180 g, 690 DA : mentionne l’afficheur du pèse-poids. “C’est raisonnable, nous le prenons.
La formule est intéressante quand il s’agit de tenues d’été car elles sont légères”, nous confie la maman. “Une étude économique du marché du textile nous a permis de fixer le prix du kilo à 4 000 DA. Nous ciblons une clientèle aux revenus faibles, voire moyens”, explique Tarek Benamor. La marchandise, des marques de prêt-à-porter branchées et pas chères, est régulièrement renouvelée dans les rayons durant les heures d’ouverture.
“Il y a eu régression de l’activité pendant les mois de fermeture à cause de l’épidémie de coronavirus. Il nous a fallu réfléchir à de nouvelles formes de commerce pour amortir les pertes, que nous sommes encore en train d’évaluer. Nous avons pensé à ce concept de vente au kilo”, explique notre interlocuteur.
Il refuse, toutefois, de donner la moindre information sur les filières qui rendent ce business rentable. D’où vient la marchandise si bon marché ? “Je prends en charge l’activité vente. Je n’ai pas d’idée sur les conditions d’approvisionnement. Je sais seulement que nous ramenons des articles de qualité et que ce ne sont pas des invendus”, affirme-t-il.
Il est admis, pourtant, que de nombreuses échoppes, ouvertes à Dély Ibrahim, à Bab El-Oued, à Baïnem et à Baraki, se sont spécialisées dans la vente des produits de déstockage, de fins de séries et d’invendus d’enseignes connues de prêt-à-porter. Elles ont du succès car elles proposent un rapport qualité/prix intéressant.
Aux marchés de Baraki, de Rouiba et de Bachdjarrah, des pantalons, des tee-shirts, des robes et aussi des tennis et des sandales de marque sont vendus à la criée. Les articles, neufs mais non triés par âge ou sexe, s’entassent sur des planches supportées par des tréteaux.
Les clients farfouillent dans les lots à la recherche de la “petite perle”, qu’ils finissent souvent par dénicher. “On achète des ballots de vêtements chez des grossistes, sans savoir ce qu’ils contiennent réellement. Je ne saurais vous dire d’où vient la marchandise. L’essentiel est que je fais des bénéfices, même si je vends les pièces unitaires à un prix très bas”, lance un trentenaire, au marché de Baraki, tout en mettant un pantalon dans un sac en plastique noir. Sur son étal, les tops sont proposés à 400 DA, les pantalons à 1 000 DA et les robes entre 800 et 1 500 DA. Zakia s’est investie récemment, avec son époux, dans la vente en ligne de vêtements pour enfants.
À l’approche des fêtes, son activité marche très bien. Sans rien cacher, elle indique que le couple achète des lots chez l’importateur, sans intermédiaires. “Les prix sont relativement bas, par rapport aux mêmes articles vendus en magasin. Notre fournisseur importe la marchandise directement des ateliers de confection en Inde, en Chine et au Bengladesh. C’est du textile de premier choix”, poursuit-elle. Pendant le confinement sanitaire, le e-shopping a explosé en Algérie, comme partout dans le monde. La tendance s’est consolidée, y compris après la réouverture des centres d’achat traditionnel.
Par : SOUHILA HAMMADI