L’Actualité L’AUTRE ALGÉRIE

Voter en France, espérer en Algérie relire un jour “LIBERTÉ”

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Kamel DAOUD Publié 14 Avril 2022 à 12:00

Marine Le Pen, la candidate de l’extrême-droite en France, risque d’être le futur président de la République française. En quoi cela nous importe en Algérie ? En tout ou presque. Répétons ce que chacun sait : nous avons, en France, des millions de binationaux, des Français d’origine algérienne, des émigrés, des sympathisants. La France nous est liée par l’histoire et ses amertumes et aussi par le présent et sa Méditerranée et par l’avenir et nos descendants, ici et de l’autre côté. La France n’est pas un pays étranger, quoi qu’on se dise ou quoi qu’on se répète, pour se croire nouveau décolonisateur imaginaire. Une élection présidentielle y est importante pour nous, nos futurs et nos poids. L’extrême droite au pouvoir nous impacte directement : pour un visa, une coopération, un avenir ou un lien de sang ou d’argent, la réparation de l’histoire ou l’apaisement de l’intime.
Bien sûr, se positionner, ouvertement, personnellement, sur ces élections est un tabou et depuis trop longtemps. D’ailleurs, un affect puissant y fait barrage et condamne le premier qui ose rappeler le lien à la traîtrise et au procès en loyauté.
Pourtant, le désir de peser, la nécessité de surveiller des élections importantes dans un pays voisin sont chose normale et naturelle de par le monde. Des intérêts bien pensés, au-delà de l’affect, auraient pu nous imposer, depuis des décennies, l’engagement direct, d’une manière ou d’une autre, dans les élections et les transitions politiques en France, mais aussi au Maroc, en Tunisie, en Espagne ou au Mali et en Libye. Cela a un nom : la politique régionale. Elle n’est pas la seule affaire de la diplomatie, mais aussi de la culture, des médias, des élites et des opinions. Et on en est loin, enfermés dans le jeu de rôle solitaire du libérateur perpétuel. Ce qu’on peut qualifier d’isolationnisme, de culture ou de mépris pour son environnement est une vieille habitude mentale des élites, chez nous, et surtout des élites médiatiques. En vingt ans de journalisme, en Algérie, l’auteur de ces lignes ne se souvient presque pas (car chose rare) d’envoyés spéciaux de médias algériens pour surveiller des élections au Maroc ou en Tunisie ou en Espagne. Manque d’intérêt, illettrisme politique ou impuissance intellectuelle à sortir du huis clos régime-opposition, avec cette stérilisation du métier par un militantisme devenu un piège politicien.
Pour le cas de la France, le désintérêt algérien (apparent) et l’interdit d’afficher un choix électoral se compliquent par le jeu de l’affect ; on ne peut pas nier que l’histoire pèse encore et que les blessures d’autrefois marquent encore la chair des âmes. “La souffrance, tant qu’elle n’est pas validée par le vis-à-vis, reste une souffrance”, me répéta une proche à propos du souvenir de la colonisation. Et la colère est très vite là pour aveugler, habiller et maintenir vive la douleur.
Mais il y a aussi, au-delà de ceux qui portent la revendication d’une réparation, ceux qui se complaisent dans la rente du victimaire (très réelle) et la fabrication de l’ennemi le plus accommodant pour le fantasme du remake. Rappeler le lien avec la France, la nécessité d’y peser, l’urgence d’y faire de la politique et pas seulement du mémoriel d’évitement et d’inculpation, rappeler le désastre du poids du lobby algérien manquant n’est pas de mise dans cette guerre des tranchées. C’est même le déclencheur de la lapidation et de la haine car comme on le sait tous, aucun Algérien ne vit en France et la France est située au Japon et la guerre de libération n’aura jamais de fin et ce qui se passe dans ce pays n’impacte que la Bolivie, pas la Méditerranée. Et pourtant c’est une réalité à vivre à et accepter, aujourd’hui encore plus que demain. L’Algérie a besoin d’une France qui avance, qui ne se radicalise pas, qui poursuit le chemin de la réparation et du souvenir juste, d’une France partenaire et dégagée du casting du mémoriel et de la passion stérile. C’est ainsi. On aura beau chercher du sens et des partenaires ailleurs, avec des torticolis identitaires, l’histoire nous condamne à regarder dans cette direction et à nous réparer l’un l’autre mutuellement. On pourra le nier mais jamais l’effacer des réalités, ni le fuir éternellement.
D’ailleurs, il y a même un trait d’humour sec à distinguer dans ce rite, habitude des médias algériens, de crier que “l’Algérie est au centre des campagnes électorales en France” tout en refusant que la France soit objet et sujet de débats, de choix, de vote, d’élection, en Algérie.

Mais l’essentiel est ailleurs encore une fois : le temps de “l’amicale” est fini. Celui de la Fédération de France du temps du vieux FLN est finie. Celui de la mosquée de Paris comme instrument de lobbying décisif, est fini. C’est aujourd’hui le temps des binationaux, des Algériens, de leurs enfants en France, des Français algériens, des Français d’origine algérienne, de peser, de voter, d’agir et de dépasser l’abstention communautaire érigée comme vertu de résistance. Voter, choisir, élire, appuyer ou aider un candidat français n’est pas une honte, une trahison, mais signe d’intelligence collective, une nécessité pour l’avenir. Ici et là-bas.
En dernier ? C’est la dernière chronique du dernier numéro de Liberté. L’Algérie perd une voie, une voix. C’est une victoire pour la famille qui recule, pour les intégrismes, les radicalités, la paresse, l’illettrisme, le désengagement et l’esprit national démissionnaire et rentier. C’est une victoire pour la non-pensée unique et la débandade, le basculement vers le passé ou l’au-delà. Nous avons perdu beaucoup depuis des décennies et le pays s’appauvrit de son âme et de sa pluralité et de fougue. Avec la mort d’un journal comme Liberté, je regarde mes propres enfants et j’ai le cœur qui se serre. Mais “être un ancêtre, cela se mérite”, comme je le répète souvent. Et c’est alors que je cherche une autre voie, une autre voix, pour continuer. Je veux le mériter ou au moins le croire. L’âme de Liberté trouvera une autre plateforme et ce journal reviendra.

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