Tenter d'accéder, hier, au bidonville “Dubaï”, à Sidi Chahmi était une gageure, tant les fortes précipitations de ces dernières 48 heures rendaient impraticables toutes les venelles et passages totalement inondés. Entre la boue et les amas noirâtres des rejets d’eaux usées à ciel ouvert, l'atmosphère était délétère, les visages crispés tant par la fatigue que par ce vécu intenable. La misère sociale domine le décor de cette “favela” qui se dresse à l’entrée de la capitale de l’ouest du pays. Il y a un mois, nous sommes allés à la rencontre des habitants de ce bidonville, l'un des plus importants de la wilaya d'Oran, suite au report sine die d'une opération de relogement qui avait provoqué la colère de ses habitants qui protestaient et dénonçaient ce qu'ils qualifiaient de “summum du mépris”. Hier, jour de vote pour élire les nouveaux maires, cet épisode est remonté à la surface. Les pères de famille, étaient debout devant leurs mansardes de fortune. Le froid envahit les baraques, la pluie pénètre entre les tôles servant de toiture, s’infiltrant dans les murs de parpaing que les petites résistances ne parviennent pas à sécher...
“Je suis fatigué, je ne vous le cache pas, mes enfants sont malades, ils ont froid, c'est mouillé et humide partout ! Et le vote... Que voulez-vous que j'en fasse, moi, ce n'est pas mon problème ! Je veux vivre dans un vrai logement, partir d'ici, élever ma famille à l'abri.” Le ton nous est donné par ce père de famille, qui se trouve pourtant dans la zone du bidonville la moins inondée et envahie par la boue. Son sentiment vis-à-vis des élections est clair, comme la plupart de ceux et celles que nous avons rencontrés et qui ont accepté de nous parler. Notre premier interlocuteur, d'ailleurs, nous suggère d'accéder aux baraques se trouvant à proximité de la sebkha, dont le niveau monte dangereusement. “Allez les voir, vous verrez leur état, leur situation, c'est inhumain de nous laisser dans ces conditions !” Nous avons bien tenté de nous rapprocher de ces baraques les plus exposées, où l'eau de pluie n'est plus absorbée par la terre, transformée en un magma boueux, jonchée d’ordures drainées par le ruissellement de l'eau de pluie.
En vain. Une femme, sur le pas de sa porte, nous interpelle : “Regardez comment c'est… tout est mouillé, je sortais justement pour voir s'il y avait encore des nuages et voir s'il allait encore pleuvoir cet après-midi.” Et d’ajouter, en ajustant son écharpe sur la tête et les oreilles : “Ils avaient dit : on vous relogera le 17 octobre, et on est encore là. Ensuite, ils ont dit : vous aurez vos logements après le vote. Quel vote, dites-moi, comment aller voter avec la vie que j'ai ici ? J'ai un enfant handicapé, je ne le laisserai pas seul pour aller voter ! Je vais surtout essayer de faire sécher mes couvertures !”
De tous ceux que nous avons pu approcher, les mêmes impressions, le même ressentiment, la même colère décuplée par la dégradation de leurs conditions de vie, comme chaque hiver, outre l'épisode du report du relogement après les élections. Cela fait dire à un autre chef de famille : “Ils n'ont pensé qu'au vote, et nous, nous pensons à nos enfants, à nous sortir de ce bidonville !” Et de revendiquer son refus du vote : “Je ne voterai pas ! On s'est trop moqué de nous, on nous a trop menti depuis 20 ans.” Pourtant, au bidonville Dubaï, certains sont bien allés au centre de vote situé “au village”... Il semblerait que des promesses d'une rémunération pour le vote ont été faites par certains partis...
D. Loukil