La mémoire est un piège ! Elle est aussi une prison rose ! Il faut savoir se libérer de la mémoire sélective ! Regarder derrière, dans un seul sens, ne signifie pas avancer. Avancer en regardant derrière, dans un seul sens, est un acte négatif. Il ne faut pas être prisonnier de son passé trié, épuré. Le passé est pluriel ! Le passé ne doit pas remplacer le présent. Il ne doit pas non plus prendre la place du futur.
Celui qui va à la recherche de son avenir dans son passé perdra son passé et ratera son futur.
La nation qui voit son passé dans son avenir est une nation condamnée à l’extermination. La marginalisation. La vieillesse.
Il faut être fier de son présent pour être en fusion avec son passé pluriel. Il ne faut jamais être captif d’un passé assaini. Nos aïeux ne sont pas nos enfants de demain. On ne construit pas une génération pour l’installer dans le passé. On ne cherche pas la victoire et la gloire dans les cimetières. Avec tout le respect dû aux morts. Aux sépultures. Le triomphe se trouve dans le présent bien réfléchi et dans le futur bien tracé. Toute nation attachée maladivement à son passé blanchi est une nation qui n’arrive pas à trouver son chemin vers son meilleur futur. Elle n’arrive pas, non plus, à se réconcilier avec son présent. Un passé épuré est le producteur d’un présent dévoyé. On se cherche dans le passé quand le futur nous fuit, nous joue un tour. Nous sommes trop attachés à notre passé, un passé politiquement purifié. Le passé est le havre des fainéants. Sacraliser la mémoire, idéologiquement construite selon le désir d’un pouvoir politique ou religieux, c’est bâtir des murs qui aveuglent le regard vers le futur multiple. Notre société est en proie à cette vision uniforme et obscurantiste du passé.
Tout pouvoir politique qui échoue dans la réalisation d’une vie saine pour ses citoyens creuse dans le passé pour les envoyer dans son fossé mortifère. Tout pouvoir politique ou religieux dépendant d’un passé chauvin est un croque-mort. On se réfugie dans le passé quand on a du mal à avancer. Le passé est une habitation sans toit. Et pour faire du passé une bonne tombe, le pouvoir politique ou religieux choisit des moments de gloire pour une forte excitation idéologique de la nouvelle génération en panne.
Les martyrs ne sont pas faits pour nous construire notre futur ni celui de nos enfants. Ils sont faits pour ce qu’ils ont fait et ils l’ont réalisé avec brio : la Révolution et le bannissement du colonialisme. Les martyrs ont tout le respect pour ce qu’ils ont réalisé : la patrie libre. Mais en aucun cas, ils ne peuvent nous remplacer ni nous sauver de notre paresse. Leur combat n’est pas le nôtre. Le nôtre n’est pas le leur. Dans l’Histoire, il ne faut jamais mélanger les rôles. En regardant, de temps en temps, une chaîne de télévision algérienne appelée Adhakira (La mémoire), je trouve que notre passé est résumé, limité à la Révolution algérienne. Certes, la Révolution algérienne fut une grande partie de notre Histoire moderne. L’Algérie est plus grande que sa révolution. La mémoire, dans Adhakira, n’est qu’une échappatoire pour détourner le regard de la nouvelle génération de son destin incertain. La Révolution est une mémoire au pluriel. En regardant cette chaîne, on se dit que cette révolution n’a pas de futur. Elle est encerclée dans ses clichés populistes ou paradisiaques.
Respecter le passé n’est pas une propagande religieuse ni idéologique. Respecter le passé, c’est savoir comment le dépasser. Le prendre et en même temps le critiquer. Le passé n’est pas le paradis et n’est pas l’enfer non plus. Tout passé a été une fois le présent d’une génération, le futur d’une autre. Un présent avec tous ses aléas et un futur avec des sourires et des pleurs !
Pour mieux avancer et afin de ne pas handicaper notre regard vers l’avenir, il faut prendre le passé comme un rétroviseur pour notre parcours et non pas notre parcours en lui-même. Une équation qui n’est pas facile, surtout dans un pays où le politique et le religieux se mêlent à l’Histoire.
Pourquoi sommes-nous une nation trop attachée à son passé glorieux ? Tout simplement parce que nous n’avons pas su comment construire un futur meilleur que ce passé ; nous le consommons comme une drogue qui nous fait oublier nos peines et les calme momentanément. Dès que nous devenons accros à notre passé, la mémoire sélective collective se transforme en un boulet de forçat dans la tête de toute une génération ! La dépendance prend le dessus. L’assassinat du futur est déclenché !
AMIN ZAOUI