Par : MYASSA MESSAOUDI
ÉCRIVAINE
Il n’est pas sans conséquence d’enfermer l’énergie reconstituante et régénérante d’une nation. Si un pays n’est pas capable d’absorber la différence d’opinion et les débats contradictoires, ses jours seront comptés.
Quand une enfant de cinq ans est égorgée par son père dans la rue et que la banalisation de l’horreur l’emporte sur l’indignation. Quand des petites filles sont mariées à l’âge de la corde à sauter et que les pédophiles et les législateurs de viols sont célébrés comme les guides spirituels des croyants. Quand une femme est violentée dans la rue sous l’œil indifférent des passants qui psalmodient leur lâcheté en crachant des glaviots. Elles meurent les nations et de leur plus belle mort quand la famille, premier atome d’une patrie, est confiée aux inaptes qui oublient de cocher les rendez-vous des luttes mondiales contre les violences faites aux mères et aux enfants. On ne construit pas l’avenir en marginalisant la moitié du pays et en piétinant les futures générations.
Mais qu’est-ce qui ne va pas chez nous ? Tout ! Rien ne va !
Une partie des gens ressemble de plus en plus à ses dirigeants décriés. L’école de la corruption et du laisser-aller a gangrené la nation. La violence a fini par se banaliser dans le pays comme s’est banalisée la vue des déchets jonchant les trottoirs et les prairies. On ne les voit plus ! On y ajoute même notre courante contribution d’un paquet de cigarettes vide ou d’un sachet en plastique qui mettra près d’un demi-millénaire à se dégrader.
Une gifle assénée à une femme ou à un enfant font partie des us et comportements. Un détritus ou un amas d’ordures, c’est pareil aussi. C’est une histoire d’habitude. L’œil s’est accommodé de la saleté, et de la société de violence qui régit nos agissements. Et elle démarre tôt, la brutalité. D’un enfant à qui on assène des coups avant d’étayer. On s’adresse à son corps pour le marquer en oubliant que c’est un esprit en devenir à guider. Aux femmes qui, d’emblée, sont coupables, parce qu’elles traversent l’espace commun que les hommes se sont appropriés. Ils la punissent en l’agressant de mots ou de coups. Et comme si cela ne suffisait pas, les gourous de la foi légitiment l’obscénité. Comme le pouvoir, ils ont compris que, pour esquiver les vrais sujets, il faut occuper la plèbe d’abus sur autrui. De préférence, celles plus maltraitées que soi par la loi. Ou bien des petits corps frêles qui ne sauraient rendre les coups.
On peut traverser les anciennes dictatures du monde dit arabe d’Est en Ouest, c’est le même spectacle. Des rues sales, une condition humaine et surtout féminine exécrable, des enfants errants, des caisses vides et de l’improbité dans chaque administration. Toutes ces autocraties maquillées en simulacres républicains voulaient changer le monde et libérer la Palestine. À l’arrivée, c’est leur imposture qui s’est révélée. Ils n’ont laissé derrière eux que des États gonflés d’air comme des ballons. Le tout a fait un immense boom à la première salve reçue. Indéfendables qu’ils étaient d’abord aux yeux de leurs propres peuples qui les ont laissés se faire assassiner sans broncher.
Ils se voulaient irremplaçables et ce fut exaucé ! Leur modèle de gestion est mort avec eux. Le drame, c’est qu’avant de disparaître de manière tragique, ils avaient laminé tout esprit patriote contestataire. Les opposants qui auraient au moins pu éviter à leur pays de tomber dans l’abjection des extrêmes et les viles manipulations avaient été chassés, assassinés ou abîmés dans leur santé par la torture et les prisons de ces despotes mégalomaniaques. Le pouvoir échoua donc aux pires corrompus. La majorité d’entre eux ayant servi les dictateurs assassinés en même temps que leurs assaillants. Des intermédiaires sans envergure, qui disposaient d’une calculette à la place du cerveau. Il n’est pas sans conséquence d’enfermer l’énergie reconstituante et régénérante d’une nation. Si un pays n’est pas capable d’absorber la différence d’opinion et les débats contradictoires, ses jours seront comptés. Car, en l’absence de remises en question, de restructurations vitales pour rester dans son temps et le jeu stratégique des nations, toutes les décisions seront soit décalées, soit “hors jeux”.
L’homme au pouvoir a une aptitude à la lucidité temporaire et conditionnée aux contre-pouvoirs qui lui sont dressés. Sans quoi, il n’échappe pas à l’illusion pathologique du règne absolu et finit par traîner dans le sillage de sa folie toute une nation. De Bouteflika à Saddam Hussein, en passant par Maamar Kadhafi ou Moubarak. Tous ont été incapables de diriger leur pays en tenant compte des avis opposés. L’oppression et l’anéantissement de l’opposition déclenchent le compte à rebours de leur propre extinction. Généralement dans le sang et l’opprobre populaire.
L’histoire évolue. Il arrive qu’on ne puisse pas tenir le même récit sans fin. Les lectures sont souvent effectuées à l’aune des circonstances politiques correspondant à une conjoncture propre à son temps. D’où l’intérêt des relectures constantes et des débats. Chaque période est reconsidérée en adéquation avec les avancées morales et intellectuelles acquises entre-temps. Aujourd’hui et à travers le monde la colonisation est unanimement condamnée. Sauf chez nous, on continue de mal nommer le passé et on continue d’affubler les invasions et colonisations qu’on a subies d’actes de foi, de foutouhat, littéralement ouvertures, alors qu’elles n’étaient que colonisations. C’est une lecture béate et naïve de l’histoire qui sévit à nos jours et qui sert à légitimer des actes de pure barbarie et de trahison à sa propre patrie. Vu que les foutouhat dans le langage des djihadistes sont l’abolition des frontières et des souverainetés nationales au profit d’un unique centre de pouvoir étranger. Une vassalisation hallal !
Il en va de même pour cette insupportable apologie de la colonisation dont on se rend coupables lorsqu’ il s’agit des territoires anciennement soumis par les musulmans. Notez qu’entre-temps on est inconsolables, et jusqu’à la haine, quand il s’agit de la colonisation française, mais celles qu’on a infligées à d’autres contrées passent pour des temps de gloire amèrement regrettés. Le tout de lecture, sans avoir accès aux archives de notre histoire pour en débattre objectivement. Nous faisons de l’histoire à la manière des diseuses de bonne aventure.
Meurent aussi les nations quand elles ne comprennent pas l’importance de faire UN dans le respect des spécificités de ses régions. Qu’elles empêchent ceux qui se réclament d’une différence confessionnelle, culturelle ou linguistique de s’exprimer. Elles déchirent par leur rigidité le tissu qui les enveloppe. Et par ces déchirures s’infiltrent les maux qu’elles prétendent combattre. Faire UN n’est pas synonyme de pulvérisation et de maltraitance des minorités. Saddam l’avait-il compris après l’invasion des Américains ? Les Kurdes, les Chiites ont tous triomphé de lui. C’est de la colère que se remplissent les prisons. Et plus l’injustice sévit, plus le dénuement extrême s’en nourrira. S’éteignent les nations quand les dirigeants ne savent pas identifier les signes noirs qui se profilent à l’horizon. Quand doucement les pièges sont introduits, mais couverts de l’intensité d’un baiser qui s’avérera mortel. Tous les dictateurs ont reçu les honneurs de ceux qui les ont anéantis. Tous ont eu droit aux fanfares et à l’impunité avant de finir pendus, lynchés ou empoisonnés.
Lorsqu’ils pensent qu’ils sont riches en matières premières, les dictateurs oublient qu’ils n’en fixent pas les prix. Lorsqu’ils se pensent forts en armes qu’ils n’ont pas fabriquées. Lorsque les étals des marchés regorgent de marchandises importées. Lorsqu’ils oublient que la création suppose la liberté et que les poètes ne sont pas des ennemis, mais des messagers.
Les nations qui se voient grandes parfois négligent le danger que des plus petits qu’eux constituent. L’invasion du Koweït a entraîné la chute et la dislocation de l’Irak. Les malheurs de la Syrie ont commencé après son occupation du Liban. L’assassinat du Premier ministre Rafik Hariri a sonné le glas de Bilad Ech-Cham. La décadence de la Libye s’est amorcée quand le colonel Kadhafi menaçait d’un Tiananmen libyen et d’une Falloudja irakienne les rebelles d’une autre région de son pays. L’ancien président soudanais et sa guerre au Darfour ont fait 300 000 morts. De plus, cela n’a pas empêché le Darfour de devenir indépendant.
La mauvaise appréciation des faits, la fabrique d’une opposition artificielle et d’une société civile uniquement destinée à mobiliser des voix lors des élections, ainsi que la manipulation de la religion à des fins de règne absolu ne créent pas des nations, mais seulement des pays. Des pays, qui plus est faibles, vulnérables et voués au chaos.