Par : Nassim Abbas et Abdelhalim Abbas
Lors du congrès de l’UDMA de 1949 tenu à Tlemcen, Ferhat Abbas, avec une éloquence et une maîtrise parfaite de la langue, a fait un réquisitoire aussi implacable et aussi limpide du système colonial. Dans un esprit fédérateur, pluraliste et une communion avec les militants de son parti l’UDMA, il a mis le doigt sur le paradoxe colonial qui avait “assimilé et annexé dans son sol et son sous-sol le pays mais non dans ses habitants”.
Lors de sa mise en résidence en 1976, Ferhat Abbas, toujours de bonne humeur et d’un moral d’acier, ravivait l’ardeur des quelques visiteurs permis par le régime à le rencontrer en les agrémentant de commentaires sur certains épisodes de sa vie. Surtout lorsqu’il se trouvait dans les épreuves, pendant la période coloniale bien sûr, mais aussi dans les années 60 et 70.
Pour ces apprentis dictateurs algériens qu'étaient Ben Bella et Boumediene, il était persuadé qu'en tristes Arlequins, ils quitteraient la scène politique de son vivant. Il se contentait de souffler quelques mots d’esprit pour parler de ces situations. Il aimait plaisamment avertir que dans les années 40, en Espagne, une diseuse de bonne aventure l'accosta dans un café et lui prédit qu’il mourra aux alentours de l’âge de 85 ans. Usant du choix de la tournure et de la formule, il disait qu’il lui restait dix années à vivre.
Le temps social pour voir le changement. À sa mort, Boumediene était âgé de 46 ans, Ferhat Abbas avait 79 ans et décédera à l’âge de 85 ans ! Il savait aussi, en tant que croyant et pratiquant, que seul Dieu et le destin fixaient la durée d'une vie. Il précisait que l’extralucidité que possédaient certaines personnes n’est nullement en porte-à-faux d’avec les religions ou croyances. Ce n’est qu’une lucidité bâtie sur une hyper-réceptivité émotionnelle. Victor Hugo parle, lui, d’intuition la qualifiant de “surhumaine qu’il faut la croire, mystérieuse qu’il faut l’écouter et si obscure qu’elle en est lumineuse”.
Cette translucidité existe-t-elle en politique ? Laquelle relève à la fois de l’art et des sciences sociales. Peut-être que la portion d’art dans la politique et du politique pourrait contenir une “extralucidité” qu’on appelle communément “Vision” ou “Sens”. Ferhat Abbas ne prophétisait pas et ne bâtissait pas ses plans et actions politiques sur une comète.
À la lecture des événements qui ont émaillé sa vie politique, l’historienne Leila Benmansour l’a rappelé à Sétif le 24 décembre 2011, au colloque organisé par la fondation du lycée Kerouani : “Ferhat Abbas est le seul homme politique à avoir mené un long combat de 1919 à 1962 contre l’oppression coloniale. Au grand homme la reconnaissance.”
Ce qui retient l’attention, c’est sa propension à devancer les phénomènes politiques et en prévoir non seulement l'apparition mais aussi les solutions. Surtout en ce qui concerne l'étiologie de l'évolution inévitable du système, de la mal-gouvernance et de ses malformations et scories, débordant sur les questions de civilisation, d'inculture de pratiques de gouvernement, de dérives de la société et du mal-être de l'individu.
En tant que leader, autrement dit d’homme d'État cultivé, peut-être savait-il que la société doit évoluer sous la contrainte de l’environnement du temps, mais aussi en étant un collectif autonome et quels sont les moments particuliers qui ont besoin de nouveaux consensus pacifiques. Pour cela, il a fait partie du cercle très restreint des élites sages, écouté mais incompris. Ses analyses ne sont pas partisanes, il entretenait avec ses adversaires, musulmans ou européens, des relations soit cordiales, soit empreintes d’amitié.
Décryptons le politique et assimilons sa politique
Durant ces années 20 particulièrement denses, il s’est consacré à la formation intellectuelle et à une activité intense aussi bien dans les cercles estudiantins, il fonda Ettelmidh, une revue estudiantine illustrée. N’a-t-il pas, une première pour l’époque, fait admettre, au conseil d’administration de l’association des étudiants, une femme inscrite en droit, Houria Ameur ! L’émancipation des femmes a été une de ses préoccupations majeures. Il affirmera avec force : “Instruire et éduquer les filles est une condition absolue de notre libération politique, économique et sociale. Voilà la vérité majeure que tout monde comprend, que tout le monde doit comprendre. Nous ne prêcherons jamais assez.” Son engagement estudiantin le propulse à la tête des mythiques Unef (en tant que vice-président) et l’AEMNAN (en qualité de président), jusqu’aux laboratoires de pharmacie où il suivit une solide formation, en passant par sa fréquentation, comme auditeur libre, des cours d’histoire et de philosophie de la faculté d’Alger. Ce qui l'armera et l’épanouira pour la vie. Sa vocation et passion est désormais toute
tracée : c’est la politique.
Dans ces années de “carabin”, il consignera: “Ces jeunes gens, pour lesquels l’université n’a encore que condescendance hautaine, ne sont pas seulement les enfants de leur famille mais ceux du peuple algérien au service duquel ils consacreront leur existence et emploieront leur talent.”
Esprit libre et éveillé, il avait les yeux grands ouverts sur les réalités et était surtout à l'écoute des cris du cœur à hauteur d’homme et une empathie comme borne avec les souffrances et les espoirs de tout un peuple. Il y a lieu d’ajouter que Ferhat Abbas s’est identifié au mieux aux Algériens pour les “exprimer”. Ceux-là constituant un peuple naïf dont cependant les colères sont des éruptions de volcan qui changent le relief des paysages.
Enfant, il eut pour percepteur la vie simple, rude et austère des paysans de Hjar Misse ou son père était agha des Béni Affers, tribu fière, rebelle et généreuse. Cette montagne verdoyante, au panorama à couper le souffle, nourrissait son imaginaire, il lui arrive de la traverser à pied avec ses camarades pour aller étudier à Philippeville (Skikda). Autre ville où il fit ses études au lycée Dominique-Luciani (aujourd’hui Larbi-Tebessi).
Cette ville du Nord-Constantinois conserve des traits typiques de la domination européenne. Aussi bien par la quasi-majorité de sa population française que par le style de ses habitations et monuments.
La rencontre, cependant avec le peuple, se confond dans un rendez-vous avec une ville, une cité antique : Sétif.
Ce sont les élections aux délégations financières. La fièvre électorale s’empare du département de Constantine. Les Sétifiens venus en grand nombre solliciter la candidature du notable de Sétif, le docteur Maiza, ce dernier leur parla d’une illustre personnalité avant l’heure et qu’il faille convaincre son père de Djidjelli et le faire venir s’installer dans une officine de pharmacie à Sétif. Chose faite, une délégation comptant parmi eux le père du regretté Mahmoud Hakimi se rend à Taher (Djidjelli) ; aussitôt on voyait sur les berges de l’oued Boussalem arriver le pharmacien à l’astrakan, s’installant à l’angle du vieux quartier de Bab Biskra, ainsi la politique accentue son emprise à laquelle il allait consacrer sa vie.
Les élections gagnées, Ferhat Abbas apparaît vite comme la coqueluche de la nouvelle génération. Jeunes loups qui encadraient la Fédération des élus, présidée par Dr Bendjelloul. Fondée le 29 juin 1930 à Constantine, elle est le véritable contrepoids aux élus européens. Elle revendique l’héritage du mouvement Jeune Algérien, seule opposition musulmane dans les années 20. Et a joué un rôle déterminant à la politisation des populations algériennes, comme le mentionne l'historien Fromage qui arrive, dira-t-il, à populariser le “Malaise algérien”.
Ferhat Abbas est alors, avec Dr Bendjelloul, le principal animateur de la Fédération des élus du Constantinois (FEMDC) qui est l’émanation de la Fédération des élus indigènes d’Algérie née à Alger le 11 septembre 1927. La FEMDC contribua de façon décisive à la réalisation du premier front commun algérien lors du Congrès musulman algérien (CMA) réuni à Alger le 7 juin 1936. Le cheikh Benbadis déclare le 11 juin 1936 dans L’Entente que “la Fédération des élus des musulmans du département de Constantine a appris aux Algériens à se servir du bulletin de vote et à penser politiquement”.
Si Sétif n’avait pas cru que Ferhat Abbas pouvait être digne d’elle, il n’aurait pas eu le front de prétendre à ses suffrages, et ce, jusqu’à sa démission de l’assemblée constituante législative de 1963 en tant que président-député de Sétif. Dans cette ville, il affronta le puissant président des maires du Nord-Constantinois, Gratien Talabot, et le “chassa”, il fit front aux grandes notabilités qui régnaient sans partage sur la ville et se bâtit pour abroger la dîme soutirée aux indigènes pour abreuver leur bétail à Aïn Fouara et l’obtint.
Il créa “la cité des gosses” pour faire éviter aux enfants les rigueurs de l’hiver. Elle a pour objet principal la protection par tous les moyens de l’enfance musulmane malheureuse.
Il présida la mythique pépinière du football l’USFMS. Il organisa le “peuple de Sétif” sans distinction de race et de religion. Incapable de se résigner à la paupérisation et à la misère des gens, il aperçut très tôt que seule l’abolition du statut colonial, l’éducation, l’alphabétisation et la scolarisation massive des indigènes pouvaient affranchir et épanouir les populations.
Le 25 décembre 1935, il déposa l’agrément du Cercle de l’éducation à la sous-préfecture de Sétif. Ce cercle qu’il présida est créé pour des conférences privées et d’ordre religieux. Officieusement, c’est une tribune syndicale et politique.
La débordante activité du Cercle est dénommée en outre “Nadi Abbas”, le siège fait face au prestigieux lycée Eugène-Albertini devenu Mohammed-Kerouani.
Ferhat Abbas a lié son destin à Marcelle Stœtzel, de parents d’origine alsacienne, née en 1909 à Bouinan.
C’est dans l’appartement de cette dernière, rue Silégue à Sétif, que Ferhat Abbas rédigea le Manifeste du peuple algérien. Cette grande et remarquable dame s’est illustrée par son courage et son tempérament ; elle a partagé les joies, les peines et les déboires du président. Arrêtée le 8 mai 1945, Marcelle Stœtzel fut emprisonnée, successivement, à El Harrach, au camp d’Akbou et à Relizane. À sa libération, en mars 1946, elle convola avec Ferhat Abbas, au cours d’une cérémonie religieuse présidée par Cheikh Mohammed Bachir El-Ibrahimi, à Kouba, en présence d’Ahmed Francis.
Juste après l’indépendance, avant l’assassinat de Khemisti en 1963, sa villa fut mitraillée par des inconnus. Ben Bella, président du Conseil, Boumediene, ministre de la Défense, et Madeghri, ministre de l’Intérieurm se sont précités chez lui pour apporter leur soutien et dénoncer l’acte. Au cours de cette rencontre, Ferhat Abbas leur demanda : “Qu’allons-nous faire ?” “Pour ma part, dira-t-il, si les fondements de la démocratie seront assis dans notre pays, mon ambition et mon honneur, c’est d’être élu maire de Sétif.” “Et aux trois convives, il requit leur désir. Ben Bella répondit qu’il ne se consacrera qu’à la politique, Boumediene restera dans l’armée et Madeghri continuera ses études.”
Journaliste à L’Entente (1935 à 1942), il publia aussi en 1926-1927 dans l’hebdomadaire Ettakaddoum du Dr Bentami une série d’articles sous le pseudonyme de Kamel Abencerage. Dans le même sillage, il crée Égalite en septembre 1944, devenu La République algérienne, qui comprend des plumes prestigieuses telles que Malek Bennabi, Ahmed Boumendjel, Kessous, Ali El-Hammami, Abdelkader Hadj Ali, Francis Jeanson et Serge Michel.
La ligne éditoriale de ces journaux, c’est “être des hommes et rien que des hommes, mais pas moins que des hommes. Et nous revendiquons pour nous tout ce que les autres hommes revendiquent pour eux-mêmes”. Son ardeur infatigable pour la démocratie et la liberté lui fit rejeter à jamais la paupérisation et l’analphabétisme, la fraude et la terreur.
Tour à tour, il crée en 1938 l’Union populaire algérienne pour la conquête des droits de l’homme et du citoyen (UPA), dont les principaux axes programmatiques étaient l’égalité des races, la fraternité humaine et la liberté politique, et la devise était “Par le peuple et pour le peuple”.
Il revendiqua une intégration collective avec le maintien du statut musulman et le respect de la langue arabe.
Le 20 décembre 1942, il remet aux Alliés débarqués à Alger un mémoire connu sous le titre Message aux autorités alliées, dans lequel il revendique l’affranchissement politique des Algériens musulmans, un nouveau statut abolissant le système colonial. En février 1943, il rédige à Sétif Le Manifeste du peuple algérien, aidé par son ami et brillant pharmacien du Djidjelli El-Hadi Djemame, qui lui succéda à la tête de l’AEMNAN et le remit aux alliés.
Il fut assigné à résidence surveillée à Tabelbala (Béchar) du 25 septembre au 2 décembre 1943. Le 14 mars 1944, Ferhat Abbas donna naissance à Sétif à un vaste rassemblement, les Amis du manifeste et de la liberté (AML), regroupant les Oulémas, à leur tête Cheikh El-Ibrahimi et le PPA de Messali Hadj.
Le 8 mai 1945, il est mis au secret suite au massacre. Il écrivit Mon testament politique en prison en 1946 suite aux événements de 1945. Des chapitres du Manuscrit s’intitulaient Un dernier mot à la jeunesse musulmane et Et toi jeunesse française algérienne où vas-tu ?
Dès sa sortie de prison, Ferhat Abbas annonce la couleur. “De la prison au palais Bourbon, ni caïd ni colon”, clamera-t-il ! En 1946, création de l’UDMA. Encadrée par des militants volontaires, chevronnés et désintéressés(3), l’UDMA porta haut le drapeau de l’émir Abdelkader et en fit son emblème et prit comme hymne Min Djibalina – de nos montagnes – mis en musique par un militant UDMA et figure du scoutisme musulman de Sétif, le chahid Hacene Belkirad. Elle présente des candidats aux élections législatives du 11 juin et remportent 11 des 13 sièges du 2e collège. Ces élections du 2 juin 1946 sont importantes car elles mettent aux premières loges pour la première fois l’opinion musulmane dans une assemblée en France et les parlementaires UDMA ont eu le courage et l’honnêteté de démissionner face à la supercherie du statut retenu. En cela ils méritent d’avoir un hommage appuyé et d’être tous cités : Ferhat Abbas, Mohamed Cherif Benkeddache, Abdesselam Benkhelil, Haoues Bey Lagoun, Kadda Boutarène, Ahmed Francis, Chérif Hadj Saïd, Abdelkader Mahdad, El Hadi Mostefaï, Ahmed Saadane, Kaddour Sator. Le 20 septembre 1947 les élus UDMA démissionnent de l’Assemblée nationale française, en réponse au statut de l’Algérie. En février 1948 il publia un ouvrage intitulé Du Manifeste à la République algérienne dans De quoi demain sera-t-il fait ? Ferhat Abbas pose les fondements de cette construction. En septembre 1955, l’UDMA initie la mention célèbre dite des “61” réclamant les négociations directes avec le FLN. Tout le programme de Ferhat Abbas se résume en une conquête pacifique de l’indépendance. Il s’intéresse également à l’entrée dans la culture algérienne du parti politique comme moyen de lutte démocratique. Bien qu’en 1953 il déclare : “Il n’y a plus d’autre solution que les mitraillettes. Que le nationalisme algérien a cessé d’être un chef d’accusation pour devenir un titre de gloire”, Ferhat Abbas continua son combat au FLN dès février 1955 et sa rencontre avec le grand martyr Abane Ramdane et ce, après la dissolution de son parti l’UDMA. Il rejoignit la direction extérieure au Caire avec son ami Ahmed Francis. Il sera désigné au CNRA puis au second CCE pour être appelé à diriger le GPRA de 1958 à 1961.
Après l’indépendance, député de Sétif, il dirigea l’Assemblée constituante jusqu’à sa démission en septembre 1963, qui a vu la consécration du pouvoir personnel. Il fut assigné à résidence à Adrar puis élargi. En 1976, devant le renforcement du pouvoir personnel, il se lèvera contre l’autocratie naissante et pour la consécration de la démocratie et la défense des droits humains et en faveur de l’exercice de la justice et de la morale en politique.
Il fut une nouvelle fois placé en résidence surveillée et ses biens confisqués jusqu’à son élargissement en 1978. Décoré par le président Chadli Bendjedid de la plus haute distinction, il décédera paisiblement parmi les siens à Alger en ce jour de Noël 1985 et fut enterré au carré des Martyrs d’El-Alia.
Quoi de plus beau qu’une vie qui débute dans l’empathie de l’autre et s’achève par la moisson de son idéal ! La tâche terminée, ses affaires en ordre, sa famille bénie et sa conscience en paix, satisfait de l’œuvre accomplie mais inquiet pour l’avenir de l’Algérie.
Cependant, nous ne verserons pas dans le panégyrique, restons dans la reconnaissance et la gratitude, même si cela s’apparente à de l’éloge car, pour reprendre Marguerite Yourcenar, “un éloge ne sied bien qu’aux morts… les morts ont droit à cette sorte d’intronisation dans la tombe, avant les siècles de gloire et les millénaires d’oubli”.
Le peuple algérien est aujourd’hui confronté aux dysfonctionnements de la régulation au niveau de la globalisation, de l’apparition de la pandémie de Covid 19 et de la nouvelle situation sécuritaire ; n’oublions pas de noter dans une rétrospective lacunaire que le système de gouvernance algérien est demeuré inchangé malgré des faits positifs de taille. Dépeindre et reconstituer avec une mise en scène la tragédie algérienne des années 1990 et ettre en relief la férocité et l’inhumanité des protagonistes, les méfaits de l’école afghane, ses gourous et ses financiers, c’est aussi rappeler que les masses et les élites sont empêtrées jusqu’au sommet de la tête dans une problématique de crise de mutation et en même temps interpellées, voire ballottées et malmenées par le mouvement du monde. Impuissants qu’elles sont aussi face aux défis et enjeux de la modernité.
Lors du congrès de l’UDMA de 1949 tenu à Tlemcen, Ferhat Abbas, avec une éloquence et une maîtrise parfaite de la langue, a fait un réquisitoire aussi implacable et aussi limpide du système colonial. Dans un esprit fédérateur, pluraliste et une communion avec les militants de son parti l’UDMA, il a mis le doigt sur le paradoxe colonial qui avait “assimilé et annexé dans son sol et son sous-sol le pays mais non dans ses habitants”.
C’est là où il affirma que l’appui des masses populaires ne doit jamais faire défaut et surtout “s’interdire le subterfuge et la démagogie”. Car “convaincre nos populations, les instruire, les guider tout en leur faisant toucher du doigt les pièges, les manœuvres de diversion dont elles sont victimes est le rôle essentiel du parti en tant qu’animateur et éducateur”.
“Ne pas flatter les instincts populaires ni abuser nos masses laborieuses pour recueillir leurs suffrages”, là est notre mission, poursuivit-il. Il rappela admirablement que “servir le peuple ne consiste pas à le tromper, ni à le suivre dans des erreurs possibles. Servir le peuple, c’est avoir assez de courage pour rester au milieu de lui, payer avec lui des fautes que l’on n’a pas commises, souffrir sa souffrance, jusqu’au jour où le malade et son médecin vaincront ensemble le fléau pour sortir de l’abîme où le malheur les a précipités”.
Puis il conclut admirablement en évoquant le bon mot de Roosevelt, “la mort et l’impôt !”, qui sont réservés à l’ouvrier et au paysan. Il revisitera les siècles allant en 1595 piocher chez Henri IV, cette image, le monarque “voulait que tout paysan put chaque dimanche mettre la poule au pot. Comme nous sommes à l’ère nucléaire, nous voulons que nos paysans couchent dans une maison salubre, mangent à leur faim et lisent le journal. Cette entreprise, le colonialisme ne peut ni ne veut l’entreprendre, c’est pourquoi il doit disparaître. Le mandarinat est incompatible avec la démocratie. La culture – la véritable – devant conserver son caractère d’universalité”. Quelle clairvoyance que l’on pourrait assimiler à de la translucidité ? On aurait aimé dire avec Fontenelle quelle vie ! Une vie de celles “qui mériteraient d’être recommencées”.