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Khalti Zoulikha une héroïne méconnue

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IBAOUNI HAMOUD Publié 07 Mars 2022 à 21:51

Par : IBAOUNI HAMOUD
        Journaliste

 

Durant  la Guerre  de Libération, les  femmes ont  été  nombreuses à lutter aux côtés des  hommes. Certaines  font  partie  de la mémoire collective, d’autres sont méconnues.  C’est  le cas  de  la moudjahida Benabidi née Habib Zoulikha, une paysanne native de Zemmouri (wilaya de Boumerdès), qui avait côtoyé, dans les prisons françaises, Djamila Bouhired, Djamila Boupacha, Zohra Drif, Annie Fiorio-Steiner et bien d’autres moudjahidate.

Le destin de cette héroïne, âgée de 50 ans (elle est née le 8 octobre 1906 à Zemmouri) et dont les trois fils sont des combattants de l’ALN, commence le 30 août 1956, soit quelques jours après la fin du Congrès de la Soummam, lorsqu’un groupe de moudjahidine sont venus trouver refuge chez la famille Benabidi qui habitait dans une ferme au douar Hadj-Ahmed, dans la commune de Zemmouri. Le hangar destiné au séchage du tabac a été mis à leur disposition pour passer la nuit. Ce lieu était connu pour être un centre de transit pour tous les combattants de l’ALN. Le groupe sera vite rejoint par deux autres moudjahidine, dont le fils de khalti Zoulikha, Larbi Benabidi, et son compagnon Soummani Rabah. 
Le lendemain matin, alors que son mari Ameur Benabidi se préparait à aller au marché des Issers pour vendre ses melons qu’il venait de récolter non loin de la maison familiale, il fut surpris par les bruits de bottes et de moteurs. En effet, des dizaines de soldats français venaient d’encercler la ferme où s’étaient abrités les moudjahidine, qui venaient juste de prendre leur café préparé par khalti Zoulikha. Un officier se rapproche de cette dernière et lui demande les papiers de la maison, pendant que d’autres militaires se préparaient à fouiller la ferme. Mais un des moudjahidine a fait feu, abattant un militaire français puis le traducteur qui accompagnait l’officier. Ce dernier tente de se servir de sa mitrailleuse mais khalti Zoulikha intervient et assomme l’officier avec une hache, le tuant sur le coup. Elle prend l’arme et tente de tirer sur d’autres soldats, mais sa fille Meriem, qui avait peur pour sa maman, intervient et lui enlève la mitrailleuse et la dissimule dans un puits situé devant la porte de la maison. Les militaires appellent du renfort et entame une vaste opération dans toute la région. Commence alors le calvaire insoutenable pour khalti Zoulikha, qui sera arrêtée le 30 août 1956. Elle est vite internée au sinistre camp de concentration de Cortes de Bordj Ménaïel où elle subira, en dépit de son âge, des tortures atroces. Bien qu’il soit surveillé par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), ce camp est connu pour être un des plus abominables centres de torture de Kabylie. Son mari, Ameur, a, lui aussi, été arrêté et interné à Lambèse (Batna). Seules ses trois filles Meriem, Ourida et Zohra sont restées à la maison familiale, alors que ses fils Rabah, Larbi et Mohamed sont tous montés au maquis avec l’ALN. Quelques semaines après, Zoulikha est transférée à la prison Barberousse où elle est bien accueillie par les détenues Annie Steiner, Yvette Bacri, les infirmières de l’ALN Safia, Meriem, Fadhila… Là on l’appelle affectueusement “khalti Zoulikha” compte tenu de son âge. 
Les premières semaines de détention furent pénibles pour cette mère de famille, mais grâce à la solidarité des jeunes prisonnières, khalti Zoulikha s’est vite adaptée à cet univers carcéral qu’elle découvre. Elle va vivre les pires moments de sa vie avec l’exécution de nombreux condamnés à mort. Des souvenirs traumatisants restés gravés dans sa mémoire, comme ces journées sombres de février 1957 où on a exécuté, à l’issue d’un procès bâclé et expéditif, une dizaine de militants algériens : Fernand Yveton, Mohamed Lakhnechet, Mohamed Ouaenouri... Khalti Zoulikha était parmi ces femmes qui ont accompagné de leurs chants et de leurs youyous les “guillotinés” de Barberousse. Alors que son procès approche, l’héroïne de Hadj-Ahmed multiplie les contacts par correspondance avec son mari Benabidi Ameur, toujours incarcéré au bagne de Lambèse. C’est une militante qui rédige pour elle des lettres pleines de tendresse et d’affection, dont des copies se trouvent encore chez ses petits-enfants. Lors de son procès largement médiatisé tenu le 27 juin 1957 au tribunal d’Alger, un tribunal dominé par les militaires dont le président fut un colonel de l’armée française, khalti Zoulikha s’est montrée digne et courageuse. Aux termes de ce procès expéditif, elle fut condamnée à vingt ans de travaux forcés et son mari Ameur Benabidi à six ans de prison ferme. 
Elle est transférée quelques jours après à El-Harrach (ex-Maison-Carrée), avant de partir en France pour un court séjour à la prison de Toulon où, à sa grande surprise, elle retrouve d’anciennes codétenues de Barberousse. La plupart sont des militantes de l’ALN, parmi elles des jeunes filles pieds-noires engagées dans la Révolution algérienne. Puis elle sera transférée à la prison de Toulouse et à celle de Pau où, une nouvelle fois, elle retrouve ses anciennes amies, parmi elles Annie Fiorio-Steiner, Djamila Bouhired, Zohra Drif, Djamila Boupacha et bien d’autres. Dans le livre Une vie pour l’Algérie de Hafida Ameyer, Fiorio-Steiner décrit la disposition des dortoirs de la prison en évoquant khalti Zoulikha. “À Pau, nous avions deux grands dortoirs à notre disposition, puis une salle de cours, avec un tableau noir, plus une chambre pour celles qui suivent des cours par correspondance. Dans le premier dortoir il y avait, en suivant l’ordre de disposition des lits : Djamila, Zohra, Jeane-Marie, Frances, Meriem, Safia, Fadhila, Fatima, Bahia et Fettouma. En face de cette lignée : Fifine, moi, Dania, Hadjira, Amina et, au fond à gauche de la porte d’entrée, khalti Zoulikha, Gaby, Raymonde, Aline et, pendant un court moment, une sœur de Tlemcen qui s’appelait Nazari. Dans le deuxième dortoir, il y avait : Jackeline, Zahia, Djoheir, Baya, les deux Malika (Koriche et Ighilahriz), Ghania, Ftouma, Djamila, Meriem, Fatiti, etc.” Dans une autre pièce indépendante du dortoir se trouvaient Djamila et Zizou (Danielle). Dans cet univers composé essentiellement d’une population féminine engagée pour une Algérie libre et indépendante, khalti Zoulikha est très courtisée et aimée par toutes ces moudjahidate, entre autres Annie Fiorio-Steiner, Djamila Bouhired, Malika Koriche, Malika Ighilahriz. Ce sont les femmes qui rédigeaient les correspondances envoyées par khalti Zoulikha à son mari, toujours incarcéré à Lambèse. Ce dernier mourra en janvier 1959 des suites des tortures subies. Et une autre épreuve attend khalti Zoulikha : quitter ces femmes qu’elle avait tant aimées. Avant son départ pour une autre prison, celle de Rennes, les moudjahidate lui ont réservé une surprise. Une sympathique réception organisée en son honneur ponctuée par une photo de famille où on voit khalti Zoulikha émue, mais souriante, entourée par les “Djamilate” de la Révolution (voir photo). À Rennes, elle retrouve des visages familiers, connus à Maison-Carrée et à Barberousse. Pour la plupart, des moudjahidate de l’ALN et des militantes françaises de gauche. Nous sommes au début de 1961. L’ambiance carcérale est plus sereine, d’autant plus que cette nouvelle affectation a coïncidé avec le début des négociations entre les autorités coloniales et le FLN. Khalti Zoulikha est enfin libérée le 21 avril 1962, au même titre que de nombreuses moudjahidate. Elle a eu droit à un accueil chaleureux de sa famille et de ses voisins du douar Hadj-Ahmed. Elle mourra le 18 mai 1990 et sera enterrée dans le petit cimetière de Sidi-Ghoreïb de Hadj-Ahmed, à Zemmouri. Ce n’est que vingt ans plus tard que les autorités locales décident de baptiser une polyclinique de son nom.

 

 

 

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