PAR : Pr Abdelouahab REZIG
En Algérie, nonobstant les années 1970, caractérisées par une réelle volonté de développement autonome et la mise en œuvre d’importantes réformes entre 1989 et 1991, l’économie évolue entre croissance, impulsée par les recettes d’exportation des hydrocarbures, et récession, induite par leur chute.
La propagation du marché à travers le monde a permis des innovations majeures, un formidable développement des échanges internationaux et un accroissement significatif des richesses. Elle a été également accompagnée de grandes inégalités, parfois inefficaces, entre et à l’intérieur des pays. La crise sanitaire a révélé, quant à elle, d’autres lacunes de la mondialisation dans divers domaines.
L’Afrique a été globalement marginalisée bien que de bonnes performances économiques aient été réalisées récemment à quelques endroits du continent.
En Corée du Sud et en Chine, le moteur du développement économique a été l’exportation fondée essentiellement sur l’investissement direct étranger (IDE) et la main-d’œuvre locale, avec le soutien des États-Unis et grâce aux réformes et à une ouverture vers l’extérieur conduites par un État fort. Celui-ci a su réguler le marché et investir massivement dans l’éducation de qualité et la recherche. IDE et politiques publiques d’accompagnement ont permis le transfert et la maîtrise du savoir et du savoir-faire, la réalisation de progrès substantiels en peu de temps et un développement économique et social relativement autonome.
- En Corée du Sud, dont le développement économique a été entrepris dans les années 1960 et 1970, a connu un processus de libéralisation politique interne vers la fin des années 1980. Elle a alors su intégrer l’essentiel de l’universel tout en préservant son système interne de valeurs. Je l’avais observé lors d’un voyage d’étude au cours des années 2000. Temps économique et temps politique furent ainsi ordonnés : “le bol d’air” après “le bol de riz”.
- En Chine, le “recentrage”, “le rééquilibrage”, engagé sans abandon des exportations, a constitué l’élément principal de la nouvelle étape, qualitative, cette fois-ci, de l’évolution de l’économie : sans renoncer à son rôle initial d’“atelier producteur de biens bas de gamme”, le pays accorde plus d’attention à celui de “laboratoire”, notamment à travers le développement de recherche/développement ; il approfondit ainsi le processus de modernisation et la diffusion de ses fruits à l’ensemble de la société. Quant aux nouvelles routes de la soie, même si elles sont mues fondamentalement par des motifs économiques, elles n’excluent cependant pas, selon certains spécialistes, des visées géopolitiques. Quoi qu’il en soit, l’approche internationale du pays continue d’exclure “toute ingérence dans les affaires internes”. La Chine a pu ainsi se consacrer à son développement économique et social, faisant même prévaloir une plus grande efficacité de son système politique actuel. Alors que la réduction drastique la pauvreté a connu un succès significatif, celle des inégalités sociales et régionales demeure un défi majeur à relever.
- En Algérie, nonobstant les années 1970, caractérisées par une réelle volonté de développement autonome et la mise en œuvre d’importantes réformes entre 1989 et 1991, l’économie évolue entre croissance, impulsée par les recettes d’exportation des hydrocarbures, et récession, induite par leur chute. L’assèchement des réserves de change a imposé le recours à un endettement extérieur dont le remboursement n’a pu être effectué que lors d’une nouvelle augmentation substantielle des prix des hydrocarbures. Or, lorsque celle-ci tarde à venir et/ou que le rythme d’épuisement de ressources, non renouvelables, s’accélère, la perspective d’un développement autonome risque, “ceteris paribus”, de s’assombrir au profit d’une singulière dépendance de notre économie. Temps économique et temps politique se sont alors enchevêtrés parce que nous n’avons pas entrepris les réformes nécessaires à une adaptation ordonnée au processus de mondialisation et à la formation d’un capital humain de qualité (éducation et santé). Nous étions pourtant en mesure de le faire, de manière autonome, durant la période de grande aisance financière. C’est la rareté qui impose la rationalité ; encore faudrait-il veiller à une répartition équitable des sacrifices en attendant celle des fruits d’une croissance durable, dans un contexte mondial en pleine mutation.
De nombreux auteurs rappellent la fameuse formule : “Le monde s’use à mesure qu’il prend de l’âge.” Alors qu’elle semblait aller de l’avant, la mondialisation est, depuis la crise de 2008, objet de débat : elle est, pour des spécialistes, “malade” et a, par conséquent, besoin de soins ; pour d’autres, elle a plutôt atteint ses limites à cause de sa nature et de son mode de fonctionnement. Bien avant l’épidémie de Covid-19, le multilatéralisme est remis en cause, sous l’effet de politiques restrictives adoptées et de la multiplication d’accords de libre-échange bilatéraux, notamment entre pays développés et émergents. L’épidémie de Covid-19 a accéléré cette tendance et révélé les conséquences de la fragmentation de la production à travers les chaînes de valeur mondiales. Des fractures et fragilités au niveau mondial apparaissent. Les exportations comme les importations chutent et les approvisionnements ne sont plus réguliers à cause de divers goulots d’étranglement. Pour avoir développé les services au détriment de l’industrie, de nombreux pays avancés se sont retrouvés dépendants de quelques pays asiatiques, dans des domaines stratégiques, comme celui de la santé ; l’exemple des masques est significatif.
Tout cela a lieu en des temps d’incertitudes, “troubles”, altérant notamment stabilité et visibilité, marqués par une âpre compétition internationale dont celle, fondamentale, entre les États-Unis et la Chine. Certes, l’économie américaine est encore la plus importante du monde et la plus innovante, tandis que le dollar demeure la monnaie dominante. Pourtant les prémices d’un changement des rapports de force entre ces puissances se dessinent, d’autant que la relation actuelle entre Russie et Chine, si différente de celle qui prédominait à la fin des années 1970, semble confirmer la tendance à de nouvelles polarités et à la recomposition de l’ordre mondial. Les intérêts, les alliances et les allégeances qui se manifestent alors se font et se défont à grande vitesse.
Un tel processus n’est, cependant, pas porteur de contraintes uniquement ; il laisse également apparaître de nouvelles opportunités. C’est ainsi que la reprise économique post-crise sanitaire sera certainement caractérisée par une tendance à la relocalisation de certaines activités en des lieux plus proches des pays européens, en Méditerranée par exemple ; cette tendance sera mue par un double souci, celui de rompre avec la dépendance, d’une part, et celui de gagner en frais et en temps d’approvisionnement, d’autre part. La reprise économique induira également une augmentation de la demande mondiale d’hydrocarbures et autres matières premières, alors que leur offre continuera d’être perturbée, au moins provisoirement, par de nombreux facteurs, économiques, techniques et géopolitiques : il en résultera une augmentation des gains de productivité économique (dus à l’augmentation des prix des hydrocarbures et autres matières premières). Une utilisation judicieuse de ces opportunités facilitera certainement le processus de diversification de l’économie d’autres pays.
Les conséquences de ce qui se passe actuellement en Ukraine sont particulièrement significatives pour l’économie algérienne en ce qui concerne l’exportation des hydrocarbures et l’importation des céréales :
1) L’augmentation substantielle des prix des hydrocarbures et, partant, celle des recettes d’exportation peuvent constituer un atout “conjoncturel” ;
2) La forte dépendance de l’économie algérienne en matière alimentaire constitue, en revanche, une vulnérabilité.
Aussi, une utilisation judicieuse de “l’atout” permettrait une forte réduction, sinon une élimination de la vulnérabilité : “Que de quintaux de blé supplémentaires seraient produits par un investissement des fruits des hydrocarbures !” Cette substitution aux importations serait alors une étape vertueuse vers la diversification de l’économie.
Si l’Algérie n’a pas pu ou su tirer bénéfice des transformations de l’ordre mondial, initiées depuis le début des années 1980, elle pourrait faire en sorte pour que ses intérêts soient pris en considération cette fois-ci. Aussi, devrait-elle adopter une démarche pragmatique, dépourvue de toute idéologie et simplement animée par le souci de doter le pays d’une capacité d’adaptation aux grandes mutations mondiales et de le préparer à une participation en tant qu’acteur effectif. Ainsi considérée, cette démarche implique :
- Un État fort, porteur d’une vision, fondée sur un regard lucide sur l’Algérie d’aujourd’hui et ambitieuse pour celle de demain.
- Une stratégie créatrice d’un climat favorable aux activités productives de richesses et d’emplois, incluant alliances et coopérations permettant un transfert effectif de savoir et de savoir-faire, par exemple.
Un capital humain de qualité est nécessaire pour relever de tels défis.