Par : Mohamed Seghiouer
Ancien journaliste
Comme beaucoup de pays, l’Algérie attache une grande importance à la Journée mondiale des zones humides, célébrée de par le monde en ce mois de février. La ville de Béni Saf, dans la wilaya d’Aïn Témouchent, est légitimement concernée, puisqu’elle renferme sur son territoire le fleuve Tafna, que certains qualifient à tort de petite rivière.
La Tafna, un vecteur naturel de la zone humide
La Tafna, généralement considérée comme étant une rivière, un oued, est, en fait, un fleuve même navigable, diront certains éminents historiens. D’ailleurs au XIe siècle, El-Bakri le disait et le géographe Mac Carthy mentionnait qu’en 1850, des pêcheurs espagnols naviguaient sur le cours d’eau à contre-courant.
La Tafna prend sa source aux environs immédiats de Sebdou, à quelque 1 600 mètres d’altitude, dans le djebel Merchiche, sur les hauts reliefs des monts de Tlemcen. À noter que la Tafna alimente de sa précieuse eau les barrages de Beni-Bahdel, de Sidi Abdelli, de Hammam Boughrara, de Sikkak et d’El-Meffrouch.
À l’air libre, elle court sur près de 165 km, passe à hauteur du plateau de Remchi, puis par Siga, la cité du roi Syphax pour se jeter face à l’île, en séparant en deux la plage de Rachgoun.
De tout temps, de l’Antiquité à aujourd’hui, à l’époque des Phéniciens, des Romains et des Arabes, elle a toujours joué un grand rôle au point de donner son nom au fameux traité dit de la Tafna entre l’émir Abdelkader et le général Bugeaud le 31 mai 1837. Une stèle a d’ailleurs été érigée à l’endroit de cette rencontre.
Un autre fait historique est à noter, à savoir qu’il y avait un petit pont qui reliait les deux rives de la Tafna, du village de Rachgoun à la ferme coloniale Barret, dont les ruines sont encore visibles. Tout près a été réalisé le complexe touristique dénommé Syphax. À l’extrémité de ce petit pont, entouré de robustes et centenaires arbres, se dresse Djamaâ El-Hak. C’est là que les conflits, les litiges, les disputes et autres ennuis des uns et des autres se réglaient toujours à l’amiable.
Un site stratégique, un défi
Située à quelque 8 km du port de Béni Saf, l’île de Rachgoun est reconnue par les scientifiques comme une zone de nidification des espèces volatiles, mais aussi de la faune marine. D’ailleurs, elle a été classée selon les normes dites Convention de Ramsar (ville d’Iran) que 171 pays ont déjà signée. C’est dire toute l’importance accordée aux événements climatiques par ces pays. L’île de Rachgoun revêt donc une importance capitale pour les zones humides sur le plan international. À ce titre, l’ONU a institué une décennie (2021-2030) pour intensifier la restauration des écosystèmes, afin d'inverser le déclin des zones humides naturelles, dégradées et détruites à l’échelle mondiale.
Des écosystèmes en parfaite santé peuvent abriter une large diversité d’espèces de faune et de flore sauvages si tant est qu’il n’y ait pas une aggravation de la déforestation. À ce sujet et à titre de malheureux exemple, plusieurs dizaines d’arbres d’une forêt, sur les hauteurs de Béni Saf, ont été arrachés, déracinés sans réflexion essentielle, pour permettre la construction de maisons individuelles. C’est dire si cet écosystème est bien fragile devant les actions de certaines personnes.
En protégeant et en restaurant ces écosystèmes, il est possible d’aider à sauver les plantes et les animaux aujourd’hui menacés d’extinction.
La décennie des Nations unies pour la restauration des écosystèmes est dirigée et mise en œuvre par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et l’Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) également alignée sur les dernières données, avec des objectifs clairs et mesurables.
Agir dès à présent de manière responsable
Dans cette palette de mesures, l’Algérie n’est pas en reste et fait sienne cette Journée mondiale des zones humides sous le thème “Agir pour les zones humides, c'est agir pour la nature et les humains”, indique la direction générale des forêts (DGF), dans un communiqué.
La DGF souligne cette année la nécessité de préserver les zones humides en précisant qu'il appartient à chacun de protéger ces “écosystèmes précieux, de les gérer de manière rationnelle et de les restaurer le cas échéant”. Et d’ajouter qu’“il est temps d'investir davantage dans les zones humides par des actions qui entrent dans le cadre du développement durable”.
C’est un patrimoine archéologique insoupçonné qui, sans doute, garde encore dans ses entrailles des vestiges de la préhistoire et qui devrait devenir un patrimoine universel à préserver. Les scientifiques, les historiens assurent que l’île de Rachgoun est d’une importance de premier plan en raison de son rôle pour la défense d’une diversité biologique tant sous-marine que terrestre.
En 1980, il ne restait qu'un seul phoque moine
L’île de Rachgoun a été le lieu de vie du phoque moine de Méditerranée qui faisait des allers-retours entre le port de Béni Saf et l’île. C’était un superbe spectacle que tous les vieux loups de mer, les marins pêcheurs de la région et même les plus jeunes connaissaient. Certains, voyant très souvent ce phoque moine, supposaient qu’il avait élu domicile au sein même du bassin portuaire, où il retrouvait ses repères, ses entrées et ses sorties.
Le phoque moine, dénommé bénemri par les Béni-Safiens, aimé par les uns, détesté par les autres, a toujours été un habitué sympathique du port, un habitant familier, même s’il vivait aussi dans une grotte située sous l’île de Rachgoun. Aimé à Béni Saf, a contrario, il n’était pas apprécié par les pêcheurs du fait que sa présence au large éloignait les bancs de poissons qu’il recherchait pour son alimentation.
Aujourd’hui bénemri a disparu. Il est sans doute facile de penser que cette disparition n’est pas un “déménagement”, un simple changement d’adresse. Il n’apparaît plus depuis plusieurs années. En tout cas, le phoque moine est une espèce totalement protégée en Algérie. Par conséquent, l’attaquer est un délit. L’espèce était très répandue dans toute la Méditerranée, hélas, il ne reste plus que quelques dizaines de survivants, selon certains scientifiques.
Comme l’écrivait un journaliste en juin 2010, ce “serviteur” manque énormément au marin pêcheur.
Du nom scientifique Monachus Monachus, le phoque moine est un mammifère de la mer qui passe pour être un maillon de la chaîne écologique. D'anatomie petite et de peau noirâtre, ce phoque en costume de prélat est typiquement méditerranéen. Le phoque mâle a un pelage brun foncé à noir avec une tache blanche sur le ventre. La maman phoque moine porte son petit pendant 10 mois. Le petit vient au monde dans une grotte où ils sont tous les deux en sécurité. Le petit pèse déjà 16 à 18 kg à la naissance et mesure 80 à 90 cm. Le jeune a une belle fourrure laineuse noire avec une tache plus claire sur le ventre. Bien que protégée par les lois internationales, cette espèce est apparemment en voie de disparition.
Au milieu du siècle dernier, ils étaient environ une trentaine à fréquenter les côtes bénisafiennes. À la fin des années 1980, il n'en restait qu'un seul. Ce dernier était alors apprivoisé par l'homme de mer au point qu’il arrivait jusqu'au bassin du port sans jamais être inquiété. Il avait même une grotte sous le port. Puis un jour, il s'est éclipsé à jamais. Cela fait au moins deux décennies que plus personne n'a vu ce phoque ni un autre nager dans les eaux de la région.
Alors, reverra-t-on un jour un phoque moine revenir ou s'approcher de l'île de Rachgoun ou du port de Béni Saf ?
Le phoque moine de la Méditerranée peut vivre plusieurs décennies, mais il ne peut supporter d'être dérangé. Le dernier rescapé vivait dans une grotte située sous l'île de Rachgoun avant que des braconniers viennent troubler sa quiétude. Le phoque moine souffre aussi de la dégradation de son habitat, ajoute notre journaliste. La pollution de la mer nuit à sa santé. Et à cause de la pêche excessive, ces animaux trouvent moins de nourriture et migrent vers d’autres contrées. Comme si cela ne suffisait pas, des phoques sont pris dans les trémails (filets) des pêcheurs et sont réduits au silence sous la lame des couteaux des pirates des temps modernes, sous prétexte qu’ils mangent trop de poissons !
En 1990, quand une équipe de chercheurs de l'université de Marseille est venue prospecter sur ce genre de mammifère, elle est repartie bredouille. Pendant plus d'une semaine, ces scientifiques français ont parcouru toute la côte de l'Ouest, de Ghazaouet à Mostaganem, pour aller à la rencontre de cette espèce marine, afin d'observer son mode de vie. Finalement, pas un phoque moine à l'horizon. Cette même équipe qui a découvert, sous l'île de Rachgoun, une grotte presque totalement affaissée, a mis fin à son expédition dans la région.
Pendant l’été 2006, des équipes de chercheurs de l’université d’Oran, aidées par des associations, ont également recherché le phoque moine pendant près de deux mois, entre Béni Saf et Ténès. En vain.
Aujourd'hui, les aînés de Beni Saf se rappellent encore le dernier bénemri du port. Faut-il penser que le fait d’introduire un dérangement dans ses habitudes l’a fait fuir des grottes où il trouvait refuge avant de disparaître définitivement ? Les scientifiques le pensent.
Est-ce à dire que le phoque moine a disparu définitivement des côtes benisafiennes, voire algériennes ? Il faut croire que oui, puisque personne n’en a plus jamais revu alors qu’il était un habitué du port et des environs de l’île de Rachgoun.
Une vitrine touristique et éducative
Le pourtour de l’île de Rachgoun est accidenté et comporte de nombreuses grottes, failles, éboulis et escarpements susceptibles d’accueillir un grand nombre d’oiseaux de mer.
Dans le cadre d’une nécessaire valorisation et de protection de ce site grandiose et majestueux, il serait bon de reprendre les conclusions de toutes ces études faites depuis des années et tombées dans l’oubli. Ne serait-il pas judicieux de canaliser réglementairement les différents aspects d’un tourisme de plaisir, mais aussi de s’informer sur la vie de cet écosystème et les “habitants” de cette île ?
Cette région gagnerait à être connue et reconnue, mais avec beaucoup de discipline et de rigueur, notamment dans les excursions et autres passages de visiteurs, pour une destination touristique valorisante. Sans doute faudra-t-il étendre sa publicité sur une échelle mondiale, sachant que le site est notamment connu par des instances internationales et répertorié sur la liste Ramsar comme une zone humide à plus d’un titre. Des chercheurs, des scientifiques seraient sans aucun doute intéressés à y prendre part.
Les directions de l’environnement, du tourisme, de la culture devraient regrouper leurs compétences, leurs idées et leurs finances pour mettre au point un projet concret et surtout réalisable à très court terme.
Pour conclure, une simple question : hormis des études, qu’est-ce qui a été réellement et concrètement fait sur et pour cette île, depuis… toujours ?