Par : Rachid Sekak
Économiste, ancien cadre du secteur bancaire
La première préoccupation ne doit pas résider dans la création d’une banque de l’habitat mais plutôt dans la captation de l’épargne oisive en vue de modifier le mode de financement du logement et d’alléger la contribution de l’État. Nul besoin de créer une nouvelle banque pour capter cette épargne ; 19 banques sont déjà actives.
Un ancien ministre relevait récemment pour caractériser la politique publique de logement que “l’enfer est pavé de bonnes intentions et (que) la politique du logement depuis l’indépendance est amplifiée depuis 15 ans, a perverti le marché immobilier, enlaidi l’Algérie entière, freiné l’effort d’épargne des ménages et la constitution d’une classe moyenne stable au sein de la société, l’endettement pour se loger étant partout le garant de la stabilité sociale”.
Le constat est sans appel
En effet, on peut relever que l’offre de logement en Algérie relève très majoritairement de politiques publiques, et le logement est un produit largement subventionné directement ou indirectement par l’État. Le Trésor public est le principal intervenant dans les différentes formules d’accès au logement qui ont été développées. En outre, cette politique a conduit à une corruption non négligeable sur l’ensemble de la chaîne. Une large part des subventions est ainsi détournée des objectifs de l’État dans un contexte très souvent caractérisée par un manque de transparence.
L’essor de la promotion immobilière privée est par ailleurs faible.
L’intervention annuelle de l’État, sur concours budgétaires, dans le financement du logement a été de 600 à 650 milliards de dinars au cours des 10 dernières années. Pour mesurer la lourdeur de la “facture”, il convient de comparer son montant aux 2 500 et 2 700 milliards des budgets globaux d’équipement pour 2020 et 2021. Autre benchmark possible : les aides publiques au logement ont représenté annuellement entre 3 et 3,5% du PIB.
Le financement du Trésor est intervenu dans la quasi-totalité des formules d’accès au logement qui ont été déployées : AADL, LPA, LPP, logement locatif public (OPGI).
On peut estimer que les trois quarts des coûts qui sont portés par l’État sont imputables à deux dispositifs aidés : le dispositif AADL et le logement public locatif (OPGI).
A contrario, l’intervention de la Cnep et des autres banques est restée marginale. En effet, on peut constater le très faible niveau de crédits hypothécaires octroyés par les banques. L’encours de ces crédits hypothécaires, évalué à moins de 400 milliards de dinars, est inférieur à 2% du PIB, soit une proportion très éloignée des ratios en vigueur dans la région et le reste du monde. Ce phénomène ne peut s’expliquer uniquement par un réservoir réduit de ressources longues.
Pour rappel, la Cnep, qui était originellement destinée au financement de l’habitat, est devenue une banque commerciale et s’est progressivement éloignée de cette vocation.
Actuellement ses encours de crédit, évalués à un peu plus de 1 000 milliards de dinars, sont largement en dehors du secteur de l’habitat. On estime à seulement 20% la part des encours de crédit de la Cnep qui est orientée vers le secteur de l’habitat.
La raréfaction actuelle et attendue des ressources du Trésor met en danger la pérennité de notre politique du logement, volet essentiel de la politique sociale du pays. La politique du logement ne pourra plus dépendre uniquement de la dépense publique et donc, pour beaucoup, de la rente tirée des hydrocarbures.
La situation actuelle peut être assimilée à une impasse
En effet, la demande de logement, du fait notamment de la pression démographique avec un taux actuel de croissance démographique de 2,2%, restera forte sur les prochaines années. Une population jeune amplifiera cette demande. On estime à plus de 200 000 logements la demande annuelle sur les prochaines années.
Néanmoins, des solutions peuvent être envisagées pour atténuer au moins partiellement les contraintes actuelles et le gap de financement qui en découle.
Mais attention de ne pas faire fausse route
En effet, la Banque d’Algérie a relevé une envolée de la circulation fiduciaire hors banque évaluée à 6 140 milliards de dinars à fin 2020, soit près de 35% de la masse monétaire. Cette donnée démontre très clairement l’existence d’une forte épargne oisive au niveau des ménages qui pourrait être mobilisée si des produits d’épargne incitatifs étaient développés et offerts au public.
La principale incitation à épargner pour nos compatriotes réside précisément dans l’accès au logement. Mais on observe depuis plus de 20 ans une déconnexion presque totale entre l’acte d’épargner et l’accès au logement.
Aussi, la première préoccupation ne doit pas résider dans la création d’une banque de l’habitat mais plutôt dans la captation de l’épargne oisive en vue de modifier le mode de financement du logement et d’alléger la contribution de l’État.
Nul besoin de créer une nouvelle banque pour capter cette épargne ; 19 banques sont déjà actives. Dans ce cadre, il serait intéressant de connaître les arguments des promoteurs d’une telle idée sur la question suivante : en quoi la nouvelle banque serait-elle plus efficiente que les 19 banques existantes, notamment la Cnep ?
Ne tombons donc pas dans le syndrome classique : “Un problème, une banque pour le solutionner.” Un souci avec les PME ? On doit créer une banque des PME. Un souci avec les exportations ? La solution est dans la création d’une banque des exportations, etc. La rengaine est connue et ne mènera à rien.
Simple question de bon sens : le rétablissement d’un lien fort entre accès au logement et effort d’épargne préalable apparaît comme un élément stratégique de la première importance. La politique du logement devient ainsi un élément essentiel de l’inclusion financière dans notre pays. Et cette inclusion financière devient aussi de facto un vecteur non négligeable d’amélioration de nos finances publiques.
Certains spécialistes, dont je fais partie, évaluent à 1 500-2 000 milliards de dinars les montants d’épargne qui pourraient être mobilisés sur
5 ans.
La collecte de cette nouvelle épargne ne pourra se faire très majoritairement qu’au travers du secteur bancaire et d’Algérie Poste et supposera des produits de collecte qui devront être attractifs, équitables et crédibles pour les épargnants. La transparence devra être la règle tout le long du processus. La finance islamique et ses produits offrent un potentiel important pour la mobilisation de cette épargne. Néanmoins, le système de collecte devra être motivant pour les banques et Algérie Poste, ce qui supposera la fixation d’une rémunération appropriée pour ces institutions. À titre d’exemple, pour un pays comme la France, les banques sont actuellement rémunérées par la Caisse des dépôts et consignations (CDC) sur la base d’une commission de 0,30% pour les livrets d’épargne dit réglementés. À noter que la Banque d’Algérie verse une commission flat de 0,25% aux banques pour la gestion pour son compte des dépôts en devises.
Cette épargne devra être centralisée pour être orientée vers le secteur du logement. En l’absence d’une caisse des dépôts et d’investissement, le rôle de “centralisateur” de cette épargne reviendrait naturellement, de par son expérience et ses infrastructures, à la CNL. Ce qui supposerait la modification de son statut et sa transformation en “établissement financier” et donc en société par actions. Ce qui serait largement suffisant.
Il n’y a aucune nécessité de transformer la CNL en banque ; ce n’est pas son métier. Et un tel métier ne s’improvise pas instantanément ! N’oublions pas qu’une banque, c’est d’abord de l’expertise humaine et une informatique efficiente et pas uniquement un réseau physique d’agences.
Les ressources de trésorerie issues du monde notarial pourraient aussi être orientées vers la CNL en vue de renforcer ses moyens d’intervention tout en réduisant son financement par le Trésor.La solution proposée ici ne réglant que partiellement le gap de financement attendu, des arbitrages devront être rendus au double plan de la définition du périmètre d’intervention du futur établissement financier et de celui de la définition des actions complémentaires à mener pour faire évoluer le cadre institutionnel de la filière financement immobilier dans le cadre du nouveau paradigme.
Un mode opératoire clair devra être réfléchi et mis en œuvre dans l’organisation des relations entre la CNL, le secteur bancaire et les différents acteurs de la filière.
Cela passera aussi, sans aucun doute, par une nécessaire analyse statistique détaillée de l’offre et de la demande de logements.
Le secteur de l’habitat est l’un des moteurs essentiels de la croissance du pays et sera donc un élément essentiel d’une nécessaire relance économique. Alors, bien sûr, il faudra aussi réformer son écosystème et mobiliser l’appareil de réalisation et de production de bâtiment, dont les coûts actuels, du fait des difficultés rencontrées sur les chantiers et par les entreprises de ce secteur, compromettent la rentabilité de l’investissement de l’épargne.
On voit alors se construire une stratégie économique ambitieuse mobilisant les épargnants, un secteur bien défini et des travailleurs tout à fait réceptifs à un tel discours politique.