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La face cachée d’une dérive totalitariste

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Dr Mohamed MAÏZ (*) Publié 29 Mars 2021 à 09:21

Par : Dr Mohamed Maïz

Le recouvrement, par l'État, de l'intégralité de sa puissance publique passe par le démantèlement du système dont des démembrements se sont notoirement démarqués de son autorité directe pour s'ériger en îlots de pouvoirs quasi indépendants des lois de la République.”

J'ai longtemps hésité sur la manière d'écrire cet article, sur la torture. Laisser dire son cœur ou faire parler la raison ? Comme ceux qui sont responsables de ces actes ignobles et inhumains ont perdu leur humanité et donc insensibles au langage du cœur, alors j'ai décidé de faire parler la raison, en espérant que ces dits puissent trouver le chemin de leurs neurones covidés par le virus de la bestialité et de l'horreur. 

Dans l'histoire de l'humanité, tous ceux qui ont absous l'injustice parce qu'elle s'appliquait à autrui l'ont chèrement payé. Tous ceux qui sont restés indifférents devant la violence gratuite parce qu'elle ne frappait que le voisin ont souvent été victimes de cette même violence. Tous ceux qui ont béni le crime et la torture ou se sont tus parce qu'ils pensaient en être épargnés ont souvent pâti de leur vie la soif de sang des bourreaux.

Cet article est donc l'expression d'une douleur, d'une souffrance ressentie après l'évocation des cas de torture qu'ont subi de jeunes citoyens innocents et innocentés, qui ont eu le courage de dire leur souffrance, leur subi, dans une société du non-dit, du non-dévoilé, du caché, une société de tous les tabous et où la victime est parfois sinon souvent la honte et le bourreau le héros sans gloire et sans dignité.

La torture subie reste parfois, sinon souvent, une blessure qu'il est impossible de panser. Une souffrance du corps mais aussi et surtout celle de l'âme. Les révélations faites par des détenus d'opinion sur la torture qu'ils ont subie, dans un casernement nommément désigné, ont provoqué au sein de l'opinion une vague d'indignation et de colère. L'institutionnalisation de la pratique de la torture dans des structures de l'État, que l'on découvre avec consternation, est l'expression sociopolitique d'un totalitarisme au degré de répression insoupçonné.

Elle traduit une conception orwellienne de la relation au peuple, marquée de fascisation et d'insignifiance à l'endroit du citoyen. Celle d'un régime dont on connaît les conditions historico- politiques de sa violente émergence et de sa consolidation, par les pouvoirs successifs, tous issus de la même matrice.

Réfractaire à toute forme de consensualité, en tant que significative de la participation populaire aux affaires de la cité, ce régime, focalisé sur les mécanismes de sa reproduction, a tôt fait d'imposer le bâillonnement de l'adversité politique afin de se construire sur la facilité de l'unilatéralité, de l'allégeance et de l'unanimisme.

Cheville ouvrière et épine dorsale du régime, la police politique, qui agit sous le couvert structurel de la sécurité intérieure et de l'anonymat de la fonction, est la machine répressive dont les méthodes de travail peuvent aller de l'arbitraire à la torture, dans l'impunité que permet l'ordre de mission.

Ainsi, derrière les déclarations élogieuses à l'endroit de l'élan démocratique, qui s'exprime avec civisme et pacifisme, se cache la terrible réalité des sous-sols de non-droit et de non-loi, sièges où trône l'extra-légalité, drapée de la raison d'État.

Exit les discours louant la fraternelle cohésion entre le peuple et l'armée et promettant une Algérie nouvelle, expurgée des pratiques ataviques du régime. La torture en a révélé le vrai visage et les véritables intentions. Béante, la fracture sociopolitique est évaluable au regard des années-lumière qui séparent les objectifs d'un régime, attelé à la négation de l'humain, de la démocratie, dont le fondement, à l'inverse, est précisément la centralité du statut du citoyen et le respect de son droit à la dignité.

Malgré le labyrinthe de l'informel dans lequel se dissout la responsabilité, l'habilitation, implicite, de la torture est portée par le document de mission qui laisse à la police politique la latitude de disposer du choix discrétionnaire de ses méthodes et de ses moyens d'intervention dans des lieux apprêtés par 
l'État.

Nul dans ces sphères ne peut se prévaloir d'une quelconque ignorance quant à la pratique de la torture dans des institutions de la République.
Foulés aux pieds par des violations que la loi, la religion, la morale et les conventions internationales réunies condamnent, les droits de l'homme sont écrasés par la puissance de l'arbitraire, de l'impunité et de l'illégalité qui caractérisent le mode de fonctionnement de la police politique.

La lourde érosion de la suprématie de la loi reflète, en fait, l'ampleur de la déliquescence d'un État, obligé de céder de son emprise tutélaire sur ses institutions, sous le poids de structures sécuritaires aux allures proconsulaires. Érigées en tant que telles par les sacro-saints rapports de forces, ces polarités autodécisionnelles régentent le mode de gouvernance et assurent, au travers de moyens diversifiés, politiques et répressifs, les conditions de la reproduction du régime.

La lisibilité est de l’image d’un État ballotté par le tourbillon de son débordement par des volontés, autarciques, supra-étatiques, autodésignées dépositaires de la mission de pérennisation de la stabilité du système. Le rétrécissement du champ d’application des lois de la République, au profit des institutions qui s’en sont toujours auto-exemptées, est une constante historique liée à l’autoritarisme, originel, du régime et à sa matrice 
liberticide.

La rigidité de ce tableau d’atonie de la loi est si stratifié qu’on voit mal qui de l’exécutif, du législatif ou du judiciaire pourrait, eu égard à leur sujétion au pouvoir, efficacement, contribuer à la mise en place d’un État de droit, épuré des îlots d’illégalité, qui contreviennent, par leur singularisme autoritariste et le paravent de leur particularité sécuritaire, aux principes basiques de la citoyenneté.

Hérésie, impensable, dans les systèmes démocratiques qui font du respect de la valeur humaine une vertu, cardinale, de la gouvernance, la police politique du système totalitaire, bras sécuritaire au service de l’illégitimité au pouvoir et de son obsession à mater  toute réaction populaire, est la pierre angulaire des régimes de non-droit. Évoquée à tout bout de champ, la main, déstabilisatrice, de l’étranger est un motif, suffisant, pour justifier, aux yeux du pouvoir, la violence, étatique, anticitoyenne, au nom de la défense nationale, et d’une conception dangereusement globalisante, qui élargit la suspicion de traîtrise à toute forme d’opposition.

Placé, de ce fait, sous la haute et permanente surveillance de l’omniprésente police politique, le peuple, tout le peuple, dans sa globalité et sa diversité politique, est exposé au subjectivisme des décisions sécuritaires qui pavent la voie à tous les abus et à toutes les pulsions destructrices de la dignité humaine.

Démesurée et, comme visant à punir l’outrecuidance de l’affront fait à la stabilité d’un régime, surpris dans sa certitude quant à sa capacité à prévenir et à maîtriser tout mouvement social, la répression sécuritaire du totalitarisme, qui n’a pas vocation à faire dans la demi-mesure dès lors qu’elle s’allie le concours de la torture, est consubstantielle à la nature, originelle, violente, du système.

La façade du régime qui se déclare respectueux des droits de l’homme a volé en éclats. Démasqué, le régime dévoile l’existence, en son sein, d’extra-territorialités de police politique, fonctionnant, dans leurs relations aux citoyens, sur des règles, intra-muros, dégagées de l’obligation d’assujetissement aux fondamentaux de la république.

Grâce au courage des détenus d’opinion, l’omerta sur la torture a vécu. Alertée par les avocats de la défense, la justice n’a pas estimé utile de bouger, préférant se retrancher derrière des artifices de procédures pour ne pas avoir à s’aventurer en zone interdite.

L’anticonstitutionalité des pratiques de la police politique et leur illégale normalisation, en interne, débusquent l’État dans son incapacité à opposer la loi au séparatisme juridique du passer-outre autoritaire, du fait du déséquilibre des antagonismes des pouvoirs inter-institutionnels et dans son adhésion-soumission au diktat des règles de fonctionnement, extra et supra-légales, des institutions dominantes et déterminantes du régime.

Impactée par une notion de sécurité nationale, rendue, pour les besoins de la cause, élastique et modulable à souhait, la dérive répressive du régime a donné lieu à une infamante étatisation des méthodes chères aux tortionnaires colons français. Et, partant, à une préjudiciable atrophie de la tutelle constitutionnelle de l’État, puisqu’il s’avère que des institutions, fortes de leur spécificité sécuritaire, échappent à son pouvoir de contrôle.

Dès lors, le recouvrement, par l’État, de l’intégralité de sa puissance publique passe par le démantèlement du système et du régime, dont des démembrements se sont notoirement démarqués de son autorité directe pour s’ériger en îlots de pouvoirs quasi indépendants des lois de la République.

Force est de conclure que la revendication démocratique ne procède ni d’une aventure hasardeuse de rêveurs déconnectés de la réalité, ni d’une impensable manœuvre antinationaliste, encore moins d’un quelconque objectif visant à nuire à la respectabilité et au statut de l’armée.

Elle est la condition sine qua non pour construire, sur des bases pérennes, un État répondant aux normes universelles de la modernité. Elle reste l’unique moyen susceptible de mettre un terme aux récurrents cycles des crises politiques, aux blocages intra-systémiques et aux solutions de dernière minute menées à la hussarde pour parer au pire. Légitimer l’illégitimité en reconduisant les modes opératoires de l’échec et le recours à des nano-alliances, sans ancrage populaire, significatif, (ra)mènera, fatalement, à la case départ.

Au vu des tractations en cours, la conception de la gouvernance qui se profile, dans le cadre de la mise en œuvre de la feuille de route actuelle, est porteuse de lourdes incertitudes, en ce qu’elle préfère à la marche démocratique l’immobilisme et la perpétuation de la phagocytose de l’État par un régime tortionnaire. Le dernier mot, pour vous Monsieur le Président Teboune : votre mandature est entachée d’une indélébile forfaiture, qui est la torture de jeunes citoyens ; allez-vous passer sous silence cette ignominie ?

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