Par : Abderrahmane Mebtoul
Professeur des universités
Le président de la République, Abdelhamid Tebboune, en ce mois de novembre 2021, a annoncé au quotidien allemand Der Spiegel un plan de réorganisation de la Cour des comptes, afin de favoriser le système de contrôle et de suivi des finances publiques conformément aux dispositions de la nouvelle Constitution, qui a élargi les prérogatives de la Cour des comptes. L’on ne doit pas se focaliser uniquement sur quelques cas qui gangrènent la société, tant civile que militaire, car, reconnaissons-le, la majorité, tant au niveau de l’ANP que des forces de sécurité et de la société civile, vit de son travail et doit donc s’attaquer à l’essence de ce mal qui menace la sécurité nationale.
1- C’est que le manque de transparence des comptes ne date pas d’aujourd’hui, mais depuis l’indépendance à ce jour. J’ai eu à le constater concrètement lors des audits que j’ai eu à diriger, assisté de nombreux experts : sur Sonatrach entre 1974 et 1976, le bilan de l’industrialisation 1977-1978, le premier audit pour le comité central du FLN sur le secteur privé entre 1979 et 1980, l’audit sur les surestaries et les surcoûts au niveau du BTPH en relation avec le ministère de l’Intérieur, les 31 walis et le ministère de l’Habitat de l’époque 1982 réalisé au sein de la Cour des comptes, l’audit sur l’emploi et les salaires pour le compte de la présidence de la République (2008), l’audit, assisté des cadres de Sonatrach, d’experts indépendants et du bureau d’études Ernest-Young, “le prix des carburants dans un cadre concurrentiel “Ministère Énergie, 8 volumes, 780 pages-Alger 2008”, l’audit “Pétrole et gaz de schiste, opportunités et risques”. Concernant Sonatrach et les différents audits que j’ai eu à diriger avec des experts, assisté des cadres du secteur ministère de l’Énergie et Sonatrach, il nous a été impossible de cerner avec exactitude la structure des coûts de Hassi R’mel et de Hassi Messaoud, tant du baril de pétrole que du MBTU du gaz arrivé aux ports, la consolidation et les comptes de transfert de Sonatrach faussant la visibilité. Sans une information interne fiable, tout contrôle externe est difficile, et dans ce cas la mission de la Cour des comptes serait biaisée. Dans les administrations, disons que c’est presque impossible, du fait que leurs méthodes de gestion relèvent de méthodes du début des années 1960, ignorant les principes élémentaires de la rationalisation des choix budgétaires. Dans son rapport rendu public dont la presse algérienne s’est fait l’écho le 7 novembre 2012, le rapport de la Cour des comptes met en relief la mauvaise gestion des deniers publics et le manque de transparence. C’est que l’Algérie possède des institutions qu’il s’agit de dynamiser si l’on veut un État de droit, condition pour un développement durable, et surtout être crédible au niveau tant national qu’international, la nécessaire dynamisation de la Cour des comptes étant consciente qu’une réelle lutte contre la corruption implique un État de droit et la démocratisation de la société. Ayant eu l’occasion de visiter ces structures au niveau international et de diriger en Algérie par le passé (pendant la présidence de feu le Dr Amir, ex-secrétaire général de la présidence de la République) trois importants audits sur l’efficacité des programmes de construction de logements et d’infrastructures de l’époque, sur les surestaries au niveau des ports et les programmes de développement des wilayas, en relation avec le ministère de l’Intérieur et celui de l’Habitat, assisté de tous les walis de l’époque, je ne saurai donc trop insister sur son importance en évitant, comme par le passé, qu’elle ne soit pas instrumentalisée à des fins politiques. L’efficacité de la Cour des comptes dont j’ai été magistrat (premier conseiller et directeur central des études économiques entre 1980-1983 du temps de feu le Dr Amir) et d’une manière générale toutes les institutions de contrôle, y compris celles des services de sécurité, est fonction d’une gouvernance globale rénovée. Si l’on veut lutter contre les surfacturations, les transferts illégaux de capitaux, il y a urgence de revoir le système d’information qui s’est totalement écroulé, posant la problématique d’ailleurs de la transparence des comptes, y compris dans de grandes sociétés comme Sonatrach et Sonelgaz. Aussi, ce n’est pas une question de lois ou de textes juridiques, mais la volonté politique de luter contre la corruption et la mauvaise gestion. Les textes existent mais il existe un divorce avec la pratique. Les ajustements seront douloureux entre 2022 et 2025, impliquant un sacrifice partagé, par la moralisation de la vie politique et économique de toute la société algérienne, sans laquelle aucun développement à terme ne peut se réaliser. Concernant les responsabilités, il y a lieu de tenir compte que l’Algérie est toujours en transition : ni économie de marché, ni économie planifiée. C’est cette interminable transition qui explique les difficultés de régulation, posant d’ailleurs la problématique de la responsabilité du manager de l’entreprise publique en cas d’interférences du politique où la loi sur l’autonomie des entreprises publiques n’a jamais été appliquée. Dans ce cas, la responsabilité n’est-elle pas collective, les managers prenant de moins en moins d’initiatives et devant donc dépénaliser l’acte de gestion, à ne pas confondre avec la corruption ? Devant s’attaquer à l’essence, le grand problème est la moralisation de toute la société. Et, pour cela, nous revenons à la moralité des responsables qui doivent donner l’exemple s’ils veulent mobiliser leur population. Un phénomène analysé avec minutie par le grand sociologue maghrébin Ibn Khaldoun, dès le XIVe siècle, a montré que l’immoralité des dirigeants, avec comme impact la corruption gangrenant toute la société, a pour effet la décadence. Espérons pour l’Algérie un sursaut national.
2- La Cour des comptes est régie par l’ordonnance du 17 juillet 1995, modifiée et complétée par l’ordonnance du 26 août 2010 ayant été consacrée dans la nouvelle Constitution, parue dans le Journal officiel du 30 décembre 2020, portant révision constitutionnelle. Ainsi, l’article 199 stipule que la Cour des comptes est une institution supérieure de contrôle du patrimoine et des fonds publics, contribuant au développement de la bonne gouvernance, à la transparence dans la gestion des finances publiques et à la reddition des comptes. Le président de la République nomme le président de la Cour des comptes pour un mandat de cinq (5) ans renouvelable une seule fois qui lui adresse un rapport annuel. Dans le cadre de ses prérogatives, la loi détermine les attributions, l’organisation et le fonctionnement de la Cour des comptes et la sanction de ses investigations, ainsi que ses relations avec les autres structures de l’État chargées du contrôle et de l’inspection. Institution supérieure du contrôle a posteriori des finances de l’État à compétence administrative et juridictionnelle, la Cour des comptes assiste le gouvernement et les deux chambres législatives (APN et Sénat) dans l’exécution des lois de finance, pouvant être saisie par le président de la République, le chef du gouvernement (actuellement le Premier ministre) ou tout président de groupe parlementaire pour étudier des dossiers d’importance nationale. Elle exerce un contrôle sur la gestion des sociétés, entreprises et organismes, quel que soit leur statut juridique, dans lesquels l’État, les collectivités locales, les établissements, les entreprises ou autres organismes publics détiennent, conjointement ou séparément, une participation majoritaire au capital ou un pouvoir prépondérant de décision. Ainsi, la Cour des comptes s’assurera de l’existence, de la pertinence et de l’effectivité des mécanismes et procédures de contrôle et d’audit interne, chargés de garantir la régularité de la gestion des ressources, la protection du patrimoine et des intérêts de l’entreprise, ainsi que la traçabilité des opérations financières, comptables et patrimoniales réalisées.
Il est prévu la consultation de la Cour des comptes dans l’élaboration des avant-projets annuels de loi et de règlement budgétaire, et cette révision confère au président de la République l’attribution de saisir la Cour des comptes pour tout dossier d’importance nationale, dont le renforcement de la prévention et de la lutte contre les diverses formes de fraude, de pratiques illégales ou illicites, portant atteinte au patrimoine et aux deniers publics.
Cependant, il existe différentes institutions de contrôle, outre l’urgence de la modernisation des outils d’information maîtrisant les nouvelles technologies, comme l’IGF, dépendante du ministère des Finances, ou d’autres institutions dépendantes du ministère de la Justice, donc de l’exécutif étant juge et partie, ne pouvant être impartial, sans compter l’organe de lutte contre la corruption, d’où l’importance d’une coordination sans faille, évitant les télescopages, produit de rapport de forces contradictoires, qui ont nui par le passé au contrôle transparent et qui explique les nombreuses dérives. Se pose cette question : les procédures de la Cour des comptes en Algérie répondent-elles aux normes internationales ?
3- Dans un rapport publié en octobre 2013 par l’UE, les pairs encouragent la Cour des comptes algérienne à résoudre certains problèmes identifiés lors de la revue, notamment la longueur des procédures et des délais relatifs à certaines prises de décision ; la couverture limitée des contrôles ; le manque de standardisation des méthodes de travail ; la non-publication et la diffusion restreinte des rapports de la Cour. Et pourtant les procédures de contrôle et d’investigation sont inspirées des normes internationales, notamment celles élaborées par l’Intosai, dont l’apurement des comptes des comptables publics est un acte juridictionnel portant sur l’exactitude matérielle des opérations de recettes et de dépenses portées au compte du comptable public, ainsi que leur conformité avec les lois et règlements en vigueur, la reddition des comptes. Selon les normes internationales, qui devraient s’appliquer en Algérie, le contrôle de la qualité de gestion a pour finalité d’apprécier les conditions d’utilisation et de gestion des fonds et valeurs gérés par les services de l’État, les établissements et organismes publics et, enfin, l’évaluation des projets, programmes et politiques publiques, la Cour des comptes participant à l’évaluation, au plan économique et financier, de l’efficacité des actions, plans, programmes et mesures initiées par les pouvoirs publics en vue de la réalisation d’objectifs d’intérêt national et engagés directement ou indirectement par les institutions de l’État ou des organismes publics soumis à son contrôle. Il s’agit de poser les véritables problèmes, pour une application efficace sur le terrain. La Cour des comptes, qui doit éviter cette vision répressive mais être un garde-fou, une autorité morale par des contrôles réguliers et des propositions, peut jouer son rôle de lutte contre la mauvaise gestion et la corruption qui touchent tant les entreprises que les services collectifs et les administrations. Mais je ne saurai trop insister sur le fait que le contrôle efficace doit avant tout se fonder sur un État de droit, avec l’implication des citoyens à travers la société civile, une véritable opposition sur le plan politique, une véritable indépendance de la justice, tout cela accompagné par une cohérence et une visibilité dans la démarche de la politique socioéconomique, un renouveau de la gouvernance au niveau global afin de délimiter clairement les responsabilités et pour plus de moralité des dirigeants aux plus hauts niveaux afin de faciliter la symbiose État-citoyens. Le fondement de tout processus de développement, comme l’ont démontré tous les prix Nobel de sciences économiques, repose sur des instituions crédibles, et c’est une Loi universelle, d’où l’importance de dynamiser par une réelle indépendance le Conseil national de l’énergie, la Cour des comptes, le Conseil économique et social, la Bourse d’Alger et le Conseil de la concurrence. Car, force est de reconnaître qu’en ce mois de novembre 2021 Sonatrach “est l’Algérie et l’Algérie c’est Sonatrach” (plus de 97/98% des recettes en devises avec les dérivés) et que l’Algérie a une économie de nature publique avec une gestion administrée centralisée renvoyant à l’urgence d’une véritable décentralisation.
En conclusion, le défi à relever est la transition d’une économie de rente avec la dominance d’une économie informelle spéculative à une économie de production de biens et services basée sur la bonne gouvernance et la connaissance supposant de profonds réaménagements au sein de la structure du pouvoir. L’Algérie a deux choix : de profondes réformes structurelles, plus de libertés, de transparence et réhabiliter les vertus du travail ou régresser en optant pour le statu quo, d’où l’urgence de s’adapter, au mieux des intérêts de l’Algérie, au nouveau monde.