Par : DR ABDERRAHMANE MEBTOUL
PROFESSEUR DES UNIVERSITÉS, EXPERT INTERNATIONAL
L’importation et des usines de voitures, ce n’est pas pour demain, et seule une intervention du président de la République, en évitant les erreurs du passé, comme pour les projets gelés pour des raisons bureaucratiques, peut débloquer cette situation, car outre les autres moyens de transport une voiture moyenne n’est pas un luxe, mais un moyen de travail.
Il y aurait entre 2020 et 2021 plus de 1,4 milliard de véhicules à moteur et à quatre roues ou plus en circulation dans le monde et, selon les estimations du cabinet Inovev, il se serait vendu environ 78,837 millions de voitures dans le monde en 2021. Voici quelques indications pour l’année 2021 des ventes de voitures au niveau mondial. La marque Audi s’est rapprochée des volumes de l’année précédente en réalisant 1 680 512 livraisons dans le monde. BMW a terminé 2021 sur le nombre de 2,21 millions de modèles. Citroën a produit en 2021 796 868 véhicules. Renault a vendu 2 636 401 unités contre 2 822 326 en 2020 ; Peugeot a vendu 1 214 851 unités avec une progression de 5% par rapport à 2020. Ferrarri a livré 11 155 voitures et Hyundai, selon ses résultats commerciaux, a immatriculé 3 890 726 voitures dans le monde, contre 3 744 737 en 2020. Les ventes mondiales de Kia ont augmenté de 6,5% pour atteindre 2,78 millions d’unités vendues, ayant prévu de vendre plus de 3,15 millions de modèles dans le monde en 2022. Mercedes-Benz a comptabilisé 2 093 476 voitures vendues en 2021, affichant un repli de 5% comparé à 2020. Au cours de l’année 2021, le constructeur japonais Nissan a écoulé 4 065 014 modèles dans le monde. Seat a vendu 470 500, en augmentation de 10,3% par rapport à 2020, ses ventes de véhicules électriques et hybrides rechargeables ayant quadruplé en un an (de 14 700 à 60 600 voitures). Les ventes de Cupra ont triplé pour atteindre un volume de 79 300 véhicules, contre 27 400 en 2020. La firme tchèque Skoda du groupe Volkswagen a livré 878 200 véhicules. Tesla a vendu 936 172 unités, soit une hausse de 87% comparée à 2020. Le constructeur de voitures 100% électriques a annoncé sa volonté d’augmenter de 50% chaque année ses livraisons de Toyota et de Lexus. le constructeur japonais a immatriculé 10 495 548 véhicules en 2021. Selon ses résultats commerciaux annuels, Volvo Cars a vendu 36 980 voitures de plus en 2021 qu’en 2020, ce qui équivaut à une augmentation de 5,6%, le constructeur annonçant être passé de 661 713 à 698 693 cartes grises.
Les modèles électrifiés Recharge ont crû de 63,9% en 2021 pour représenter 27% du volume total, à 189 216 unités. Volkswagen a terminé l’exercice 2021 sur un volume mondial de 8,9 millions de véhicules, soit une chute de 4,5% et un niveau de ventes au plus bas depuis dix ans. Les ventes totales de véhicules aux États-Unis devraient s’élever à 14,9 millions en 2021, en hausse d’environ 2,5% par rapport à 2020, General Motors, le premier constructeur, ayant vendu 2,2 millions d’unités. En Chine, on enregistre une hausse de 3,8% en glissement annuel, à 26,28 millions d’unités, selon l’Association chinoise des constructeurs automobiles (CAAM), les ventes de véhicules légers devant atteindre 27,5 millions d’unités en 2022. Pour la Russie qui a importé prés de 200 000 voitures en 2021, Lada, entreprise russe, demeure la première marque locale avec 251 660 immatriculations cumulées en 2021, un volume en progression de 31%. Cette industrie en pleine évolution étant devenue capitalistique, les tours à programmation numérique éliminent les emplois intermédiaires où le nombre d’emplois créés devient marginal. Dans cette conjoncture de restructuration importante de cette filière avec une concurrence vivace et des ententes entre grands groupes pour contrôler des espaces régionaux, il est difficile de trouver de véritables partenaires capables de produire selon les normes internationales, pour atteindre le seuil de rentabilité, entre 200 000 et 300 000 unités par an, allant avec les actuelles restructurations à plus de 400 000 unités/an pour les voitures individuelles et plus de 150 000 par an pour les camions/bus, et pour exporter il faut s’adapter aux nouvelles mutations technologiques mondiales devant favoriser les voitures hybrides ou solaire, sinon c’était à terme la faillite. Il faut donc changer de discours pour ne pas reproduire les erreurs qui ont conduit le pays à l’impasse que nous connaissons actuellement, comme ces annonces, pour bientôt, d’une voiture algérienne à 100%, qui ne va pas sans rappeler les déclarations fracassantes à la télévision publique ENTV le 27 août 2009 de l’ancien ministre de l’Industrie, suivi par d’autres responsables du gouvernement qui avaient annoncé qu’entre 2009 et 2014 nous aurons une voiture à 100% algérienne. Aucun pays au monde n’a dix à vingt constructeurs ; les USA ou les pays européens et asiatiques ont entre trois et cinq constructeurs. La situation du marché mondial de voitures est évolutive, ce marché étant un marché oligopolistique, fonction du pouvoir d’achat, des infrastructures et de la possibilité de substitution d’autres modes de transport, notamment le collectif spécifique à chaque pays selon sa politique de transport, ayant connu depuis la crise d’octobre 2008 d’importants bouleversements, les fusions succédant aux rachats et aux prises de participation diverses. Nous observons deux tendances opposées qui sont en train de se produire en même temps : la localisation de la production sur certaines zones géographiques et sur certains pays et la délocalisation ; et pour ce qui est de la localisation de la production automobile mondiale, elle se concentre régionalement sur trois zones : l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie. De plus, sur chacune d’entre elles, la fabrication est localisée sur certains pays. Ainsi, en Europe, les principaux fabricants sont l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l’Italie, appartenant tous à l’Union européenne. En Amérique du Nord, la production se concentre majoritairement sur les États-Unis, et en Asie elle se trouve au Japon et en Corée du Sud. Pour les exportations mondiales d’automobiles, la concentration est encore plus élevée, puisqu’elle est limitée principalement à deux zones : l’Europe et l’Asie. Et dans un futur proche, avec la perte de compétitivité de certains pays au profit de certains pays émergents (Russie, Inde, Chine, Brésil), nous devrions assister à la réorganisation de la production mondiale de véhicules et, de toute évidence, les usines qui se maintiendront sur chaque pays seront les plus compétitives, les priorités des dirigeants étant donc : technologie, innovation (robotisation), approche collaborative, meilleures stratégies de succès et environnement.
Un parc vieillissant
Le parc voitures au 1er janvier 2020 avec un vieillissement accéléré du parc, selon l’ONS, totalise 6 577 188, réparti ainsi : voiture touriste 64,55% - camion 6,46%, camionnette 18,54%, autocar-autobus 1,35%, tracteur routier 1,34%, tracteur agricole 2,52%, véhicule spécial 0,11%, remorque 2,37% et moto 2,76%. Pour les voitures touristes, la moyenne d’âge est de 21,97% entre 15 et 19 ans et 19,83% 20 ans et plus, les camions respectivement pour la même période 20,39% et 17,40%, les camionnettes 26,15% et 14,43%, autocar-autobus, 22,37% et 13,60% tracteur routier 20,02% et 21,74%, tracteur agricole 20,52% et 21,74%, véhicule spécial 19,12% et 17,05%, remorque 20,26% et 20,29% et moto 5,19% et 44,42%. Tenant compte du constat que la majorité de la société algérienne est irriguée par la rente des hydrocarbures dont l’évolution des cours détermine fondamentalement le pouvoir d’achat des Algériens, l’on devra répondre à sept questions reposant sur des études de marché sérieuses, afin d’éviter le gaspillage des ressources financières.
Premièrement, avec le retour de l’inflation qui sera de longue durée par rapport au pouvoir d’achat réel (alimentaires, habillement notamment plus les frais de loyer et de téléphone) et avec le nivellement par le bas des couches moyennes, principaux clients, que restera-t-il pour acheter une voiture ?
Deuxièmement, comment ne pas renouveler les erreurs du passé, les risques de surfacturation (corruption) et le risque d’aller vers l’épuisement des réserves de change, d’autant plus qu’il y aura forcément l’importation des collections CKD destinées à l’industrie de montage des véhicules de tourisme qui avait atteint près de 3 milliards de dollars en 2018, sans compter les importations des parties et accessoires (pièces détachées) et les importations des pneumatiques ? Il faut dresser pour tout projet, y compris pour la santé et autres, la balance devises, aux économies d’importation devant soustraire les matières premières et les services importés en devises. Troisièmement, le marché local a-t-il les capacités d’absorption, et ces opérateurs, seront-ils capables d’exporter pour couvrir la partie sortie de devises et donc quelle sera la balance devises des unités projetées ? D’autant plus que la majorité des inputs (coûtant plus cher avec le dérapage du dinar officiel tant par rapport à l’euro qu’au dollar entre 2000 et 2021, plus de 100% selon l’indice de l’ONS) avec une accélération entre 2022 et 2024 selon le projet de la loi de finances 2022, sera presque importée devant inclure le coût de transport, également la formation adaptée aux nouvelles technologies et les coûts salariaux.
Quatrièmement, la comptabilité analytique distingue les coûts fixes des coûts variables ; quel est donc le seuil de rentabilité pour avoir un coût compétitif par rapport aux normes internationales et aux nouvelles mutations de cette filière ? La carcasse représentant moins de 20/30% du coût total, c’est comme un ordinateur, le coût ce n’est pas la carcasse (vision mécanique du passé), les logiciels représentant 70/80%, ces mini-projets seront-ils concurrentiels dans le cadre de la logique des valeurs internationales ? On construit actuellement une usine de voitures non pour un marché local, mais l’objectif du management stratégique de toute entreprise est régional et mondial afin de garantir la rentabilité financière, cette filière étant internationalisée avec des sous-segments qui s’imbriquent au niveau mondial où le taux d’intégration local varie entre 30 et 50% ?
Cinquièmement, quelle est la situation de la sous-traitance en Algérie pour réaliser un taux d’intégration acceptable qui puisse réduire les coûts où la part du secteur industriel représente moins de 6% du PIB en 2021 dont plus de 95% des micro-unités familiales ou Sarl peu innovantes et comment dès lors ces micro-unités, souvent orientées vers le marché intérieur, réaliseront le taux d’intégration prévu de 40/50% au bout d’environ trois à cinq années ?
Sixièmement, selon une vision cohérente de la politique industrielle, ne faut-il pas commencer par sélectionner deux ou trois constructeurs avec un partenariat étranger gagnant/gagnant maîtrisant les circuits internationaux avec un cahier des charges précis leur donnant des avantages fiscaux et financiers en fonction de leur capacité, devant leur fixer un seuil de production afin d’éviter que durant cette période certains opérateurs soient tentés dans une logique de rente, d’accroître, là, la facture d’importation en devises des composants ?
Septièmement, selon une étude de Transport et Environnement (T&E) publiée en 2020, le marché du véhicule électrique en Europe devrait progresser jusqu’à atteindre la moitié de la production automobile totale à l’horizon 2030. Aussi, ces voitures fonctionnent-elles à l’essence, au diesel, au GPLC, au Bupro, hybride ou au solaire, renvoyant d’ailleurs à la politique des subventions généralisées dans les carburants qui faussent l’allocation optimale des ressources ? Au niveau mondial, l’on s’oriente vers l’optimalisation du fonctionnement des moteurs à essence et au diesel, avec une réduction de 20/30%, et les voitures électriques, les nanotechnologies (la recherche dans l’infiniment petit) pouvant révolutionner le stockage de l’énergie, l’avenir appartenant au moteur alimenté par de l’hydrogène gazeux.
En conclusion, l’industrie automobile doit s’inscrire dans le cadre d’une véritable politique économique qui fait cruellement défaut devant connaître une profonde restructuration au niveau mondial, où les exportations dominantes à l’horizon 2030 seront les voitures hybrides et électriques. Il semble bien que certains responsables algériens oublient que le monde a subi un profond changement avec des incidences politiques, économiques, sociales, culturelles avec les nouvelles technologies modelant de nouveaux comportements et géostratégiques, devant éviter de perpétuer un modèle des années 1970/1990, largement déconnectés des réalités internes et mondiales. Je ne rappellerai jamais assez que le moteur de tout processus de développement réside en la recherche développement, que le capital argent n’est qu’un moyen et que sans bonne gouvernance centrale et locale, l’intégration de l’économie de la connaissance, aucune politique économique n’a d’avenir.
C’est l’entreprise sans aucune distinction, entreprises publiques, privées nationales et internationales dans le cadre des valeurs internationales, épaulée par le savoir permettant l’innovation permanente, qui crée la richesse. L’année 2022 sera déterminante pour l’avenir de l’Algérie : ou une véritable relance économique, loin des discours démagogiques d’autosatisfaction, auxquels plus personne ne croit, avec une nouvelle gouvernance ou la régression sociale avec des incidences négatives à la fois sociales, sécuritaires et diplomatiques, ce qu’aucun patriote ne souhaite.