Par : Pr Mustapha MEGHRAOUI
Membre fondateur de l’Académie algérienne des sciences et technologies, président de la commission africaine de sismologie.
École et observatoire des sciences de la Terre (ITES, CNRS-UMR 7063), université de Strasbourg, 67084 Strasbourg cedex, France [email protected]
Il devient à présent clair que la prévention des risques majeurs (sismiques ou autres) nécessite la multiplication des observatoires ayant pour tâche l’accumulation constante des données d’ordre scientifique à travers tout le territoire national. Ces observatoires rattachés aux centres universitaires permettront l’établissement de calculs statistiques avec projection pouvant ouvrir la voie vers l’établissement d’un système national d'alerte.”
Le séisme fort du 18 mars 2021 (magnitude M5.9 – 6) (1) n’est pas une surprise pour les sismologues et géologues qui traitent des sujets de recherche en aléa et risque sismiques (figure – carte). En effet, des études détaillées de la sismicité historique montre l’occurrence de séismes forts dans la région, notamment dans la baie Béjaïa – Jijel les 21 et 22 août 1856 (M ~7 2).
L’épicentre du séisme récent étant localisé (par le Craag) à environ 15 km au nord-est de Béjaïa (pour une profondeur d’environ 13 km), la région n’a heureusement relevé aucune victime et n’a subi que de légers dégâts matériels. Cette activité sismique liée à l’Atlas du Tell essentiellement, et que nous désignons comme normale dans le contexte de la convergence et limite des plaques Afrique – Eurasie, est primordiale à plus d’un titre. Elle permet d’obtenir plus de données sur les séismes côtiers et marins et de caractériser les paramètres sismotectoniques en liaison avec les mouvements de raccourcissement de direction NNW-SSE (~5 mm/an) mesurés aussi bien par la géologie et sismologie que par le GPS (3).
Le nord de notre pays étant continuellement sismiquement actif, il nous paraît important d’apporter certaines précisions quant aux caractéristiques de cette activité sismique, sa dimension historique et ses implications sur les aspects parasismiques. De plus, la nature ayant horreur du vide, il est essentiel de consolider les connaissances scientifiques en sciences de la Terre pour ne pas laisser la place à des assertions erronées et à des affirmations fantaisistes sur la nature et l’origine de cette sismicité (4).
Séismes et tsunami sur la côte algérienne
La côte algérienne a été affectée par plusieurs tsunamis liés à des séismes forts, les plus importants connus à Alger le 3 janvier 1365, Oran 9 octobre 1790 et Jijel – Béjaïa 21 – 22 août 1856 (2, 5). Plus récemment, un tsunami probablement lié à un glissement de terrain sous-marin ayant eu lieu le 9 août 2007 a fait 12 victimes à Marsa El-Hadjaj (Mostaganem). Liée à cette activité sismique, l’occurrence de tsunamis sur la côte algérienne doit être prise en compte par l’installation d’un réseau dense de marégraphes afin de protéger les zones portuaires et les aires d’importance stratégique. Les tsunamis représentent bien un des risques majeurs en Algérie.
Conditions pour une évaluation d’un aléa sismique réaliste
Observer, recueillir et classifier ces informations sismiques est une démarche fondamentale adoptée par le Craag (Centre de recherche en astronomie, astrophysique et géophysique, Bouzaréah) et le CGS (Centre du génie parasismique, Hussein Dey) pour la constitution d’une banque de données nécessaire à une meilleure prise en compte de l’aléa et du risque sismiques du nord de l’Algérie.
Avec l’apport des départements en sciences de la Terre des universités nationales et des collègues de la diaspora, un effort considérable est consenti pour enrichir les connaissances géologiques et géophysiques des zones sismiques du nord de l’Algérie (6). Cet effort est sanctionné par une accumulation des travaux de recherche (thèses, masters, rapports, publications nationales et internationales) sur les séismes d’El-Asnam (Chlef à présent) en 1980 (M7.1), de Constantine en 1985 (M6.0), de Tipasa en 1989 (M6.0), Mascara-Beni Choughrane en 1994 (M5.7), Aïn Témouchent en 1999 (M5.9), Boumerdès-Zemmouri en 2003 (M6.8) et Mihoub en 2016 (M5.7). Ces données et connaissances sont à présent intégrées dans les calculs déterministes et/ou probabilistes de l’aléa et du risque sismiques tel qu’entrepris par le CGS. Cependant, l’application des normes parasismiques est une condition sine qua non pour la réduction des effets des tremblements de terre. Le défaut de l’application de ces normes est un problème majeur en Algérie.
Plans de prévention et recherche scientifique
Cette démarche est conforme à la loi n°04-20 du 13 dhou el-qiâda 1425 correspondant au 25 décembre 2004 relative à la prévention des risques majeurs et à la gestion des catastrophes dans le cadre du développement durable. Elle est également en accord avec les recommandations de Sendai sur la réduction des risques et désastres d’origine sismique. De nombreux travaux des commissions interministérielles et colloques soutenus par des travaux de recherche universitaires ont permis d’établir une “road map sur 15 ans” pour traiter de l’impact des risques majeurs sur l’environnement économique, social et culturel en Algérie. Les derniers travaux, qui datent d’octobre 2018, ont vu l’organisation des ateliers thématiques entre chercheurs, collectivités locales (wilaya, mairies), Protection civile, etc. Une des remarques et observations importantes émanant de ces ateliers a été le rapprochement des travaux de recherche universitaires sur les risques majeurs en général (données numériques, cartographie, système d’information géographique, modélisation analogique et numérique, constitution de systèmes d’alerte) avec les collectivités locales.
Des plans généraux de prévention des risques majeurs ont été développés suivant deux directions principales : 1) une observation permanente de l'évolution des aléas et des risques pour une meilleure connaissance de l'aléa ou du risque concerné ; 2) des travaux sur la prévision des catastrophes sismiques et autres, soutenus par l’installation de systèmes d’alerte. Ces dispositions et plans de prévention ne peuvent se mettre en place sans une capitalisation de l’expérience algérienne sur les événements catastrophiques passés, acquise notamment par les chercheurs des centres de recherche et universitaires, avec la contribution des corps constitués (Protection civile, gendarmerie, wilayas, daïras, mairies, entreprises économiques…). Les modèles probabilistes tels qu’appliqués aux USA (Californie), au Japon et dans de nombreux pays sismiques se nourrissent des travaux de recherche scientifique et contribuent ainsi à la réduction des risques.
Pour une prévision sismique et pas d’amalgame avec une prétendue prédiction
Des modèles récents de prévisions sismiques basés sur des transferts de contrainte montrent l’interaction entre les failles sismiques (7). Il devient à présent clair que la prévention des risques majeurs (sismiques ou autres) nécessite la multiplication des observatoires ayant pour tâche l’accumulation constante des données d’ordre scientifique à travers tout le territoire national. Ces observatoires rattachés aux centres universitaires permettront l’établissement de calculs statistiques avec projection pouvant ouvrir la voie vers l’établissement d’un système national d'alerte. Prévision et prévention de l'aléa et du risque majeurs établies par les chercheurs scientifiques concernent en premier lieu la protection civile et in fine la transmission de l’information destinée au citoyen.
Bien que responsable de très peu de dégâts, le séisme de Béjaïa est venu rappeler la nécessité de tenir compte des données et connaissances sur les zones sismiques dans l’évaluation de l’aléa sismique et l’urgence de l’application des normes parasismiques de construction en Algérie.
(1) Magnitude de moment Mw 6 suivant les centres sismologiques internationaux de l’USGS, GFZ Postdam, INGV Rome, centre sismologique euro-méditerranéen. Magnitude locale Ml 5.9 suivant le Craag, Bouzaréah.
(2) Harbi, A., Meghraoui, M., Maouche, S., 2011, Journal of Seismology 15, 105–129
(3) Meghraoui M., Doumaz, F., 1996, J. Geophys. Res. 101, 17617–17644.
Bougrine et al., 2019, Geophys. J. Int. 217, 572–588. https://doi:org/10.1093/gji/ggz035.
(4) Cette mise au point est importante notamment pour nos étudiants, au vu des différentes déclarations erronées publiées dans les quotidiens nationaux.
(5) Ayadi A., Bezzeghoud, 2015, Seismological Research Letters 86, doi:10.1785/0220140075
(6) Meghraoui M., 1988, Géologie des zones sismiques du nord de l’Algérie, thèse de doctorat d’État, université de Paris Orsay, 356 pages, juin 1988.
(7) Kariche, J., 2021,