La littérature psychiatrique est l’expression d’un mal-être, mais aussi une plainte qui ouvre la porte du mental.
Partant de ce constat, de ce point de vue, l’œuvre de Loubna Hocine est un cas rare dans le genre et appelle à d’autres témoignages de patients et de médecins traitants pour s’informer au mieux du mental qui reste un mystère. D’où qu’il est requis d’encenser Loubna pour son audace et la perspicacité de sa narration. Alors et même si elle n’est pas née d’amour, Loubna avait tout pour elle, la beauté, l’intelligence et surtout l’envie de vivre jusqu’à mordre à belles dents dans la vie. Mais c’était compter sans l’état d’esprit de ses phallocrates de frères qui lui ont confisqué sa vie au motif qu’elle est femme tout simplement, et à ce sujet, la tentation charnelle avec les “bad boys” (mauvais garçons) est si grande, qu’ils disaient ces novices qui débutent dans la “redjla” de mauvais aloi. Et depuis, Loubna a vécu avec des hauts et des bas que ses “kidnappeurs” de frères ont schématisés dans l’esquisse d’une montagne russe “qui est un pur produit de l’idéologie phallocrate”, écrit Allaoua Bendif, docteur en psychologie clinique dans sa préface. Native d’Alger en ce jour qui a coïncidé probablement avec les intempéries du 17 novembre 1957 d’après l’Écho d’Alger du 22 novembre. Soit le jour où le vent et la mer ont chanté et dansé d’intenses houles et hurlements qui ont présagé du pire pour bled Sidi Abderrahmane Ethaâlibi. À savoir une crue calamiteuse qui s’est abattue sur les côtes et les calanques au point que les oueds Sebaou, le Hamiz et Mazafran sont sortis de leurs lits. Pendant ce temps, Loubna dormait d’un sommeil d’ange bercé. Une chance ? Sans doute ! Son prénom Loubna ne signifie-t-il pas arbuste ? Et à cet égard, l’ange Loubna tenait bon même si ce n’était pas le bon bout de la vie. Autant dire qu’elle n’était qu’une intruse au milieu d’une fratrie de 9 enfants. Donc pas désiré du tout à l’époque où l’usage de la pilule contraceptive relevait de l’indécence. Heurtée d’abord par les scènes de ménage des parents qu’engendraient la promiscuité et l’exiguïté du logis familial, Loubna s’envenimait l’esprit de la violence verbale alors qu’elle n’avait que cinq ans. Et d’une déception à l’autre, Loubna s’est habillée de la “djeba” (robe) de la “hedjbana” (femme au foyer) dans les geôles de la misogynie. Alors et dans l’optique d’une évasion vers la vie, Loubna intente à ses jours et subit dans sa chair meurtrie, l’examen de l’hymen qui est intact, selon le médecin. Seule consolation, le papa de Loubna s’interpose à ses geôliers et aide Loubna à s’inscrire à un stage de secrétaire de direction. Sacrilège ! Laissée orpheline de son père, puis de sa mère, Loubna n’a qu’un confident. Son psychiatre auquel elle narre “les tourments d’une vie”. “A-t-elle fait son devoir de maman ? Pour mes frères et sœurs, je ne sais pas, mais en ce qui me concerne, elle m’a privée de l’amour maternel.” C’en était ainsi d’une vie tumultueuse et jusqu’au jour où sa vie est devenue bordélique à cause du trouble borderline. “C’est lors de ce séjour en milieu psychiatrique que le diagnostic est posé : (trouble maniaco-dépressif” ou les troubles de la personnalité, limite communément appelé borderline. Du reste, dur d’être atteinte de borderline. Et pour cause : “La politique de santé mentale en Algérie est bien en deçà des standards internationaux”, écrit l’autrice en guise de préambule ! Ce à quoi, la maman rétorque : “Ma fille est possédée par un djinn.” En tout état de cause, Loubna n’a plus de vie. “Mon sourire est un hurlement de désarroi.” De plus, et au “croisement de la folie” Loubna ne sait plus rire, car rire c’est s’ouvrir à la vie et Loubna ne rit presque jamais. Pis, Loubna est l’otage de ce “Moi” qu’elle considère comme son double. De la sorte, lire les tourments de Loubna, c’est se rapprocher de la douleur de l’autre.
LOUHAL Nourreddine
J’ai survécu aux violences (témoignage d’une borderline)
de Loubna Hocine, éd. Médias-
Index 101 pages.