Le CCA de Paris a abrité vendredi dernier une conférence de l’éditeur, écrivain et historien Nils Andersson sur le témoignage dans le travail d’Histoire et ce, dans le cadre de la commémoration du 67e anniversaire du déclenchement de la Révolution de Novembre.
La parole de ce militant suisse des causes justes n’a pas subi l’érosion du temps, bien au contraire, elle reste crédible et lui vaut, à 88 ans, une renommée bien méritée.
“Les témoignages sont des parcelles d’histoire. De victimes, d’acteurs ou de témoins, ils relatent, en Algérie, les couloirs de la villa Susini et de la Cité Ameziane, des camps de Paul-Cazelles, de Berrouaghia ou des centres militaires d’internement”, énonce Nils Andersson, ajoutant : “Cela renseigne sur toutes les formes de la violence politique à laquelle il était fait recours durant la guerre d’Algérie. Dans ces témoignages sont précisés les actes des tortionnaires, les responsables, les noms hiérarchiques, mais figurent aussi les noms de ceux qui ont apporté un soulagement aux suppliciés. Les témoignages ultérieurs à l’indépendance, si importants pour l’histoire de la lutte de Libération, ont ajouté et confirmé les actes, les lieux et des noms.”
Peut-on opposer à ces témoignages le doute de la subjectivité ? Possible, répond le conférencier, “mais que l’on me prouve que dans les archives un rapport administratif ou un procès-verbal n’a pas sa part de subjectivité”.
Pour lui, la crédibilité des témoignages tient au fait que “la dénonciation de l’indicible fut, dès le début, un moyen essentiel pour dénoncer la guerre coloniale conduite en Algérie”. “On sait les grandes difficultés que rencontrent les populations victimes de répression à faire entendre leur voix et leurs cris.
Le plus souvent, l’horreur ne se dévoile pleinement qu’au terme du conflit.” S’il n’en a pas été ainsi durant la guerre d’Algérie, c’est, pour le conférencier, “dû au fait que, pour mener le travail de dénonciation, des Français, bénéficiant d’un accès à la parole refusé aux Algériens, furent les vecteurs de leur voix”.
Cependant, ajoute-t-il, “face aux accusations d’agir contre leur pays, voire de trahison, il était important de faire preuve dans ce travail de divulgation d’une grande rigueur sur la véracité des faits rapportés”.
La loi du 3 avril 1955 déclarant l’état d’urgence autorisait les autorités administratives à contrôler la presse et les publications. Mais cela n’empêcha pas des centaines de témoignages de figurer dans les archives des nombreux journaux et magazines qui finiront par être divulgués.
“Ces témoignages permirent de briser la chape de silence imposée par le pouvoir et de fissurer le discours colonial dominant, jusqu’à influer sur le cours de la guerre en suscitant une condamnation, par l’opinion publique dans le monde, de la répression et des moyens utilisés contre le peuple algérien.” Dans les témoignages contre la torture, La Question d’Henri Alleg a joué un rôle essentiel.
Nils Andersson aborde ensuite la revendication du droit à l’insoumission par des soldats français qui ont refusé de combattre le peuple algérien et se sont élevés contre les exécutions sommaires, la torture et les violences contre la population. L’orateur a également évoqué l’aide multiforme apportée par les réseaux de Francis Janson à la Révolution.
Beaucoup d’insoumis et de soutiens actifs ont été condamnés à de lourdes peines. “L’histoire de l’Insoumission n’a jamais été écrite, restent des témoignages qui participent de la transmission de la mémoire aux jeunes générations qui veulent connaître et comprendre ce que fut la lutte de leur peuple et la lutte du peuple algérien en Algérie et en France”, conclut Nils Andersson, qui a publié en 1958, en Suisse (La Cité-Éditeur), La Question d’Henri Alleg, après son interdiction en France. Il s’est toujours défini comme
“solidaire des militants algériens, des réseaux de soutien, du mouvement des insoumis et déserteurs français”. On connaît à Nils Andersson de nombreuses publications et des ouvrages, dont Mémoire éclatée. De la décolonisation au déclin de l’Occident (Éditions d’en bas, 2016) et Le Capitalisme, c’est la guerre (Terrasses, 2021).
ALI BEDRICI