
Une rencontre intitulée “Parlons santé mentale” a été organisée dernièrement par le collectif de jeunes “Les débrouillards” au café-théâtre “La mise en scène” d’Annaba.
La rencontre a été parrainée par le professeur Hanène Hocine, psychiatre au CHU et cheffe de service au centre intermédiaire de soins en addictologie Boukhadra, à Annaba. Sans préjugés ni tabous, le collectif a choisi de débattre dans un espace artistique d’un thème jusque-là jamais abordé en dehors des espaces, ou manifestations académiques, ou dans un cadre professionnel.
Devant un jeune public et une salle comble, les organisateurs ont exposé les résultats de l’étude quantitative exploratoire préalablement menée, dont les axes et les questions se rapportaient aux maladies mentales, au comportement du malade, aux relations interpersonnelles, à la relation avec les psychiatres et les psychologues, à l’impact des séries télévisées sur la santé mentale, etc.
De poignants témoignages ont été apportés par le public au fur et à mesure du défilement des questions/réponses et de l’avancement de la séance. Dépression nerveuse, crises d’angoisse et pratique des arts ont été au cœur du débat.
Le Pr Hanène Hocine explique : “Le rôle de la psychiatrie ne se limite pas à la combinaison hôpital/traitement, ce sont aussi tous les efforts consentis pour développer la capacité des gens à devenir meilleurs, pour affronter le stress du quotidien et les défis y afférents.”
Elle est revenue à plusieurs reprises sur le rôle de la prévention contre tout type d’addiction, les problèmes psychiques et les maladies psychiatriques. “Aussi bien en addictologie qu’en santé mentale, on protège la personne en développant sa capacité à résoudre les problèmes, à demander de l’aide et à communiquer”, explique-t-elle. Elle précise : “Lorsque le problème psychiatrique arrive, la musicothérapie et l’art-thérapie sont très importantes.”
Santé mentale et art-thérapie
La santé mentale est un état de bien-être dans lequel un individu peut réaliser son propre potentiel et faire face aux situations normales de la vie et au stress qu’elles génèrent. Une personne en bonne santé mentale peut notamment contribuer à sa communauté et travailler de façon productive.
La santé mentale est donc un état de bien-être physique, mental et social complet et n’est pas simplement l’absence de troubles mentaux. Face aux aléas de la vie, la pratique d’un art peut soulager les gens et les aider à surmonter des épreuves plus ou moins compliquées. Tiziri, une jeune participante au débat, témoigne : “J’avais des angoisses sévères qui me poussaient à me replier sur moi-même. J’ai beaucoup hésité avant de rejoindre le groupe pour des cours de théâtre à l’Institut français d’Annaba.
Une fois sur place, j’ai trouvé une ambiance conviviale et détendue. Peu à peu mes peurs et appréhensions s’estompaient. Je ne me pensais pas capable de monter sur scène. J’ai pu travailler en solo, en duo et en équipe.” “On n’attendait pas de nous d’être performants, mais plutôt de faire de notre mieux. Il y avait beaucoup d’exercices ludiques qui laissaient libre cours à notre imagination loin de tout type de jugement.
Pour moi, le théâtre fait partie des meilleures solutions lorsqu’on passe par une mauvaise période”, ajoute-t-elle. Comme Tiziri, d’autres jeunes ont partagé leur expérience en évoquant la lecture, la poésie et l’art plastique comme étant l’unique issue de secours. Cependant, l’art-thérapie exige la présence d’un thérapeute ; c’est l’accompagnement de personnes en difficulté (psychologique, physique, sociale ou existentielle) à travers leur production artistique : œuvres plastiques, sonores, théâtrales, littéraires, corporelles et dansées.
L’art-thérapie est un projet qui tente de relever le défi de la transformation, au moins partielle, de la maladie physique ou mentale, du malaise, de la marginalité douloureuse, du handicap, en enrichissement personnel. La douleur, le mal, le trauma deviennent des épreuves que la personne doit surmonter et dépasser pour en faire une étape de son cheminement.
Deux secteurs en fragmentation
Aussi bien en prévention qu’en phase de traitement, l’utilisation des arts n’est plus à démontrer. Le programme national de santé mentale note l’importance de la mise en place d’une approche multisectorielle. Cependant, ni l’art-thérapie ni la bibliothérapie n’y sont mentionnés.
À Annaba, aucune convention n’existe entre la direction de la culture et des arts et la direction de la santé. Le projet que tente de mettre en place le professeur Hanène Hocine, en collaboration avec l’artiste Fethi Nouri, propriétaire de la Mise en scène, café-théâtre, est à encourager.
“L’artiste Fethi Nouri nous a tendu la main pour organiser des ateliers d’expression et de théâtre pour les personnes en manque de confiance en soi. Concevoir un scénario de vie et le jouer devant la personne malade, ou que les malades eux-mêmes puissent jouer ces scenarii, ou chanter, jouer des instruments de musique…sont des pistes que nous tentons de développer ensemble”, explique le Pr Hocine.
Il est à constater qu’il n’existe pas de formation ni d’atelier en art-thérapie à Annaba même si la ville est dotée d’instituts de formation musicale et des beaux-arts, d’école paramédicale, de médecine scolaire, de centres hospitaliers universitaires et d’une société civile très active !
Partant de ce constat, les jeunes du collectif “Les débrouillards” se débrouillent comme ils le peuvent pour préserver une santé mentale ou se faire aider. Ils organisent des activités culturelles et sportives ou programment des sorties de divertissement ou de découverte.
Il est à noter que l’utilisation de la musique et de la poésie dans la thérapie est une pratique ancestrale à Annaba. Pour ne citer que cet exemple, Le “arbun” est un rituel pratiqué en guise de thérapie musicale au profit de la patiente dite “moussaba”.
Il est animé par un orchestre féminin de type “fqirât”, se déroule chez elle ou à “Rass El-Hamra”. Le chant effectué par l’orchestre féminin aide la patiente à entrer en transe et à se libérer de ses tourments. Notre patrimoine culturel est riche en enseignement ; reste à le valoriser !
Fatima Zohra Bouledroua