Le photographe, auteur et blogueur américain Andrew G. Farrand, qui a vécu de nombreuses années à Alger, vient de publier “The Algerian Dream : Youth and the quest for dignity”, dans lequel il raconte son pays d’adoption et sa jeunesse. Dans cet entretien, le traducteur d’“Inside the Battle of Algiers” de Zohra Drif revient sur les raisons l’ayant poussé à publier cet ouvrage et livre ainsi son regard sur l’Algérie.
Liberté : Vous avez publié le 1er septembre dernier The Algerian Dream : Youth and the quest for dignity (Le Rêve algérien : la jeunesse et la quête de la dignité). Pouvez-vous revenir sur la genèse de cet ouvrage ?
Andrew G. Farrand : Durant mes sept années en Algérie, j’étais très touché par l’intérêt des Algériens à l’égard de mon travail sur leur pays et le regard que j’apportais et ce, à travers mes photos, mon blog, mes sorties médiatiques ou de simples échanges. Étant moi-même toujours curieux de connaître la perspective des autres sur mon pays natal, les États-Unis, je comprends bien ce réflexe, qui m’aide à mieux comprendre mon pays à travers les yeux des autres.
Pourtant, j’ai remarqué que ma famille, mes amis et d’autres gens en dehors de l’Algérie étaient un peu perplexes par mon enthousiasme pour ce pays. J’entendais souvent des questions comme : “Andrew, qu’est-ce qu’il y a en Algérie que tu trouves si fascinant ?”, ou même : “À quoi ressemble-t-il ce pays ?”, ou encore : “C’est où exactement ?” Cette dernière m’a frappé, et j’ai compris que pour les Américains et beaucoup d’autres, l’Algérie est non seulement mal comprise, mais parfois totalement inconnue.
D’autant plus dans le monde anglophone, qui a relativement peu de liens historiques avec l’Algérie. À ce propos, la première fois que je me préparais à visiter l’Algérie, en 2012 (avant de m’installer à Alger en 2013), j’ai peiné à trouver des livres ou des textes sur le pays et surtout sur sa situation actuelle. Au fil des années, ce gap persistait, mais en parallèle j’ai développé ma connaissance du pays grâce à tout ce que j’ai appris de ma vie quotidienne à Alger, de mes voyages un peu partout dans le pays et de mes échanges avec les Algériens.
Est-ce cette “méconnaissance” du public anglophone qui vous a poussé à rédiger ce livre ?
Lorsque j’ai quitté le pays en 2020, j’ai donc senti que j’avais l’opportunité (que j’ai ressentie comme presque une obligation) de structurer et de publier ce que j’ai vécu et appris en Algérie et ce, pour le mettre au profit des autres anglophones curieux de découvrir le pays. Dans le livre, je dresse un portrait des différents piliers qui constituent, d’après mes observations, “le rêve algérien” : des opportunités économiques aux loisirs et divertissement, de l’éducation à la santé, de la justice jusqu’au sens d’appartenance et d’identité forte... Sur un sujet aussi large, il n’est ni possible ni intéressant d’imposer aux lecteurs une seule conclusion ou message. J’essaie simplement de les sensibiliser sur les dynamiques que j’ai observées et qui, à mon avis, animent l’Algérie contemporaine. J’espère que cela aidera à établir une base de compréhension sur laquelle des Algériens peuvent se construire eux-mêmes !
Vous invitez les lecteurs à découvrir “cette génération, ses espoirs pour l’avenir et, surtout, les frustrations qui l’ont fait descendre en masse dans la rue depuis 2019”. Quel regard portez-vous sur cette jeunesse algérienne si différente culturellement de la jeunesse américaine ?
Mes voyages, mon travail et la vie quotidienne dans ce pays m’ont permis de réaliser beaucoup d’échanges avec la jeunesse algérienne. Ayant grandi avec les influences de la télévision satellite et surtout de l’internet et des réseaux sociaux, ces jeunes ont un regard particulier sur le monde, sur leur patrie et sa place dans ce monde, sur eux-mêmes et ce qu’ils peuvent espérer de la vie. Même si cette génération constitue une majorité de la population, elle semble souvent peu écoutée ou comprise.
Par exemple, j’ai entendu souvent des Algériens plus âgés critiquer les jeunes comme étant paresseux, ou même parfois comme trop ouverts d’esprit. Mais j’en connais beaucoup qui sont bosseurs lorsqu’ils font face à une vraie opportunité. Et le fait qu’un jeune Algérien aime les Mangas, le K-Pop, Instagram ou Barça ne fait pas de lui un extraterrestre et ne veut surtout pas dire qu’il ne sait pas d’où il vient. J’ai toujours trouvé les jeunes Algériens fortement ancrés dans leurs traditions, leurs valeurs et leur amour pour l’Algérie, peu importe quelle musique ils écoutent ou quels loisirs ils pratiquent. Cela dit, beaucoup de cette génération sont marqués par un regard plus ouvert sur le monde, ce qui fait que leur conception du “rêve algérien” ne correspond pas aux aspirations de leurs parents ou de leurs grands-parents. C’est cette distinction qui est au cœur du livre et qui a aussi influé sur les événements que l’Algérie a vécus depuis plusieurs années, notamment le Hirak, où les jeunes ont joué un rôle très important.
Il est mentionné dans la 4e de couverture que l’histoire du pays, “c’est une histoire qui en dit long sur la relation entre citoyens et dirigeants, sur le caractère sacré de la dignité humaine et sur le pouvoir des rêves et le courage de les poursuivre”…
Pour comprendre le fonctionnement d’un pays, il est essentiel de comprendre les institutions formelles (la Constitution, le Parlement, les ministères, la réglementation, le système judiciaire et autres). Ces structures sont différentes dans chaque pays, mais ne suffisent pas pour en expliquer un seul. Plus je voyage et découvre le monde, plus je suis convaincu que pour vraiment comprendre un pays il faut descendre à un niveau encore plus fondamental.
C’est le niveau du contrat social opéré entre les gouvernés et les gouvernants, et des compromis, sacrifices et revendications que chaque partie réalise au cours d’un processus de négociation éternelle. Cette dynamique est centrale à l’analyse que je présente dans le livre.
Entretien réalisé par : HANA MENASRIA