La musique, la littérature, le cinéma, les arts visuels et les jeux nous permettent de réfléchir notre humanité, de consolider notre solidarité et d’imaginer la période post-pandémie.”
Liberté : La crise sanitaire a complètement bousculé le monde culturel en Algérie. Elle a aussi pesé lourd sur les artistes et les entreprises artistiques. Quel point de vue apportez-vous sur cette situation ?
Souad Kedri : La Covid-19 a mis sous cloche toute l’humanité. Pour faire face à la monstruosité et à l’horreur de cette pandémie, l’homme a été contraint à l’isolement social, à l’enfermement et à la crise économique. En somme, le virus a imposé à l’homme un nouveau mode de vie. Cette pandémie a impacté plusieurs secteurs, tout particulièrement le secteur culturel. En Algérie, quand a éclaté la crise sanitaire en mars 2020, on a tout arrêté (report des activités culturelles et fermeture des organismes culturels).
La pandémie a donc pesé lourd sur ce secteur, en général, et les artistes, en particulier. Aujourd’hui, la recrudescence de la Covid-19 a mis encore une fois en quarantaine le secteur culturel afin de protéger les citoyens et d’endiguer la propagation du virus. La situation sera donc difficile du côté des cinémathèques, des théâtres régionaux, des galeries, plus difficile encore pour les associations et les coopératives culturelles.
Encore une autre rude et dure épreuve pour les artistes, et c’est une situation qui peut s’installer pour quelques années. La pandémie est une évidence et l’impact est difficile à mesurer. Malheureusement, c’est le blocage de toutes les activités culturelles qui prend le pouvoir à chaque recrudescence de la Covid-19. Avec l’absence d’un plan de sortie de crise, dans ce secteur, qui doit lier avec force culture et pandémie, les arts et les artistes ne se relèveront pas aussi facilement demain.
L’urgence, selon vous...
L’urgence est de se détacher de cet éternel retour à la case départ, en moment de crise. Pourquoi ne pas réfléchir à immuniser le secteur culturel ? Il est facile de tout arrêter, mais le plus difficile est de reprendre, de recommencer avec la quasi-absence de véritables solutions. Ici, je fais allusion aux solutions et non aux “pansements”. Il n’y a pas de pansements adéquats aux crises : on ne panse pas une crise comme on panse une plaie ou une blessure, car si le soin prodigué est mauvais, cette plaie risque de s’infecter. En ce moment, on ne doit pas s’étonner de basculer sans sourciller dans d’autres incertitudes. On ne peut pas cacher des failles aussi profondes soient-elles avec juste des propositions “folkloriques”.
En résumé, une crise à long terme demande une planification et une stratégie à long terme. Ailleurs, et en ce moment, ce virus n’a pas plié ni paralysé le secteur culturel. Malgré cela, et en ce moment de crise sanitaire, l’humanitaire est gage de beaucoup d’artistes. Ils ont accaparé un autre espace, celui de l’humanitaire et de la solidarité sociale. Telle est leur mission. Ils sont sur le terrain en tant que bénévoles, engagés dans des associations sociohumanitaires et activent dans des associations culturelles afin de soutenir et d’accompagner les patients de la Covid-19 et le corps médical pour faire face à l’horreur de cette pandémie. Cela prouve encore une fois que les artistes sont l’un des moteurs de la société. Ils véhiculent à travers leur engagement comportemental les valeurs sociales, culturelles et, aujourd’hui, humanitaires.
Comment les artistes peuvent-ils contribuer pour surpasser cette situation. Ont-ils un rôle à jouer ?
Tout d’abord, je tiens à rendre hommage aux artistes armés de résilience qui ont résisté et qui résistent toujours, tant bien que mal, aux conséquences économiques de la pandémie. Leur contribution et leur engagement sont toujours remarquables et ce, depuis le début de la crise sanitaire. Bon nombre d’artistes ont réussi à reconstruire des ponts afin de renouer avec le public et la scène culturelle.
Ce qui est remarquable aussi, c’est l’engagement des associations culturelles dans la collecte de dons pour soutenir financièrement les hôpitaux et accompagner les malades de la Covid-19, tout particulièrement les plus démunis. L’implication du mouvement associatif est la preuve suffisante de son importance dans la promotion culturelle et sociale en Algérie. En ce moment, l’engagement des artistes est aussi de sensibiliser davantage les citoyens sur les conséquences fâcheuses de la Covid-19, et cela passe par leur engagement et leur implication dans la communication afin de tenter d’instaurer la culture du port du masque, du respect des gestes barrières et des mesures de confinement, car le virus sera, peut-être, toujours là pour encore quelques années.
Les espaces culturels sont fermés depuis des mois. Les réseaux sociaux offrent-ils une alternative pour s’adresser au public et pour toucher le maximum de monde ?
Absolument. La pandémie a réduit le monde à l’isolement collectif, la plupart des pays ont fourni des efforts extraordinaires pour lutter contre ce virus et cela en utilisant les différentes plateformes des réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Twitter, etc.) afin de diffuser des campagnes et des hashtags de sensibilisation, car les réseaux sociaux disposent d’un pouvoir d’influence au cœur de l’enjeu de la sensibilisation du public. Les réseaux sociaux nous donnent donc cette aubaine de rester ensemble et de briser les frontières de l’isolement.
Pour preuve, l’élan extraordinaire sur les réseaux sociaux concernant la sensibilisation sanitaire du public en est aussi une preuve suffisante. Pour les artistes, et en ce moment d’isolement, la connexion leur permet non seulement de sensibiliser leur public, mais aussi de tenter de le réunir autour de leurs œuvres et d’amener les citoyens à s’intéresser davantage aux arts. Tel est l’avantage que nous offrent les plateformes des réseaux sociaux.
Peut-on parler de redéfinition de la mission de l’art et de l’artiste en cette période de crise sanitaire ?
En cette période de crise sanitaire, l’art peut être une bouffée d’air frais face l’asphyxie omniprésente que nous impose la pandémie. Il n’est donc pas à sous-estimer. L’homme a besoin de l’art et de ses effets empathiques, éthiques et thérapeutiques. L’art contribue au bonheur, à la paix, à l’enrichissement intellectuel, au développement personnel et à la résilience pour voir les limites de notre courage et notre volonté à dépasser toute épreuve difficile. En somme, c’est un moyen d’une fin jugée bonne et utile, il constitue un réel apport pour l’épanouissement de l’individu en société. “L’art sert à se laver l’âme de la poussière de tous les jours”, disait Pablo Picasso.
Et en ce moment de vide, de peur et de panique collective, comment peut-on utiliser les arts à bon escient ?
Les arts peuvent adoucir notre quotidien marqué par les incertitudes de par leurs fonctions empathiques, éthiques et de cohésion sociale ne serait-ce que sur le plan virtuel.
La musique, la littérature, le cinéma, les arts visuels et les jeux nous permettent de réfléchir notre humanité, de consolider notre solidarité et d’imaginer la période post-pandémie. “L’art, c’est le plus court chemin de l’homme à l’homme” rappelait André Malraux. Dans la plupart des pays, l’art est accessible en un clic. Les citoyens ont cet accès à l’art en restant chez eux. En Algérie, nous allons pleurer ce secteur à chaque recrudescence de la pandémie.
Y a-t-il un plan destiné au secteur culturel pour que les artistes et les arts ne soient pas touchés de plein fouet à chaque crise sanitaire ?
Malheureusement, non. On n’a pas appris de la quarantaine de l’année dernière imposée par la Covid-19. Les solutions devaient être proposées et appliquées rigoureusement au même rythme que la propagation du virus. On ne bloque pas tout un secteur pour ne jamais recommencer. Les artistes ont besoin aussi de leur public pour vivre. La présence du public fait vivre l’artiste et empêche une œuvre d’art de mourir. N’importe quelle œuvre d’art est amenée à être consommée. Nous n’allons pas consommer les arts que sur le virtuel et à chaque recrudescence de la pandémie. Par conséquent, ils ne peuvent pas se concentrer sur leur métier qui consiste surtout à réunir les passionnés des arts et à créer des rencontres.
Aujourd’hui, en l’absence de services psychologiques, les arts sont une alternative afin d’amener les citoyens à prendre soin d’eux. Grâce au développement de nouvelles technologies de l’information et de la communication, nous vivons aujourd’hui dans une ère numérique marquée par les réseaux sociaux qui ont modifié les pratiques artistiques.
Désormais, les artistes et les citoyens dépendront du virtuel à chaque recrudescence de la Covid-19 ? Ailleurs, et depuis le début de la pandémie, plusieurs réseaux et plateformes d’art ont été créés pour permettre aux artistes de rester connectés avec leur public.
Propos recueillis par : K. TIGHILT