Il a joué un grand rôle dans la connaissance de l’islam en Occident, en présentant les aspects positifs de cette religion que les obscurantistes ne cessent de ternir. Toutefois, beaucoup de nos concitoyens, encore aujourd’hui, ne savent pas grand-chose de ce penseur.
Il y a quelques jours, une maman algérienne résidant à Paris cherchait des livres pour sa fille. En raison de la cherté de la vie, elle a voulu prospecter dans des bibliothèques au lieu de les acheter. Une recherche sur internet l’a orientée vers une bibliothèque située dans le 5e arrondissement de Paris, plus exactement au 74, rue Mouffetard.
Dans cette artère pittoresque qui est l’une des plus vieilles rues de Paris, faisant partie du quartier latin, elle découvre un édifice de quatre étages dont la façade porte l’enseigne : Bibliothèque Mohammed Arkoun. Trois niveaux de rayonnages supportent un grand nombre de livres sur la littérature, les sciences, la philosophie, l’histoire… Des revues, livres sonores et DVD sont également disponibles, tandis que des espaces sont dédiés aux enfants.
Au-dessus de l’un des bureaux d’accueil est accroché au mur un imposant portrait de Mohammed Arkoun, avec la légende : philosophe. La maman a trouvé les livres recherchés, mais reste pensive et gênée d’ignorer qui est
ohammed Arkoun. À sa décharge, elle se trouve dans le cas de l’Algérien moyen qui ne sait pas grand-chose de ce penseur.
Elle demande à une employée qui lui conseille de consulter un prospectus disponible dans les rayons voisins. Elle plonge dans la lecture et découvre que Mohammed Arkoun est né le 1er février 1928 à Taourirt Mimoun (wilaya de Tizi Ouzou).
Le nom du village ne lui est pas étranger, elle fait le parallèle avec l’écrivain Mouloud Mammeri qui y est né lui aussi. Elle apprend également que Mohammed Arkoun, décédé à Paris le 14 septembre 2010, a effectué des études secondaires à Oran, supérieures à l’Université d’Alger puis à la Sorbonne où il est agrégé de langue et littérature arabes et docteur ès lettres.
L’enfant de Taourirt Mimoun deviendra visiting professor à l’Institut pontifical d’études arabes à Rome et dans diverses universités : Louvain, Princeton, New York University, Université d’Edimbourg… Il sera associé à un grand nombre d’instituts et d’activités universitaires à travers le monde.
Il crée et dirige le Centre civique d’étude du fait religieux de Montreuil, près de Paris. Mais c’est en tant que professeur d’histoire de la pensée islamique à la Sorbonne et dans d’autres universités à travers le monde qu’il s’imposera comme un islamologue incontournable.
Il est souvent présenté comme un “humaniste, laïque et un militant actif du dialogue entre les religions, les peuples et les hommes”. Mais s’il défend l’idée que la laïcité est l’un des facteurs d’évolution de l’islam vers la modernité, il avertit que “sans l’appréhension des particularités des sociétés islamiques, le projet laïque n’a pas de sens pour ces sociétés” car, précise-t-il, elles sont profondément différentes des sociétés occidentales dans leur rapport au sacré, et de ce fait, dans leur rapport à la science et à “la raison laïque”.
Mohammed Arkoun préconise “une égale distance critique à l’égard de toutes les valeurs héritées dans toutes les traditions de pensées jusques et y compris la raison des Lumières, l’expérience laïque déviée vers le laïcisme militant et partisan”.
Il a joué un grand rôle dans la connaissance de l’islam en Occident, en présentant les aspects positifs de cette religion que les obscurantistes ne cessent de ternir. Il s’est toujours fait un point d’honneur de défendre l’idée que “l’Occident n’est pas plus l’incarnation du démon matérialiste, immoral et athée, que l’islam n’est réductible au fondamentalisme intégriste, terreau du terrorisme et incompatible avec la démocratie et la modernité”.
Mais il a exigé aussi des musulmans d’accepter “la critique de la raison”, car c’est la seule voie, selon lui, “pouvant mener vers un islam repensé dans le monde contemporain, dans le respect de l’authenticité de la religion et de la culture musulmanes”.
Pour Mohammed Arkoun, “la philosophie, c’est l’autonomie de la raison. L’homme est né pour être libre, non pour être soumis à l’arbitraire de l’homme”. La maman enregistre les livres et se promet, en les remettant à sa fille, de lui parler d’abord du grand philosophe et islamologue qu’était Mohammed Arkoun.
ALI BEDRICI