Dans son dernier roman, Ali Mouzaoui tisse la trame d’une histoire fictive. Au fil des chapitres, l’imaginaire se confond souvent avec un réel suggéré, inspiré du vécu des premiers mois de l’indépendance, dans un village perché sur un flanc d’un mont de la Grande-Kabylie.
C’est la fin de la guerre de Libération nationale. Les familles, essentiellement les épouses, attendent le retour des combattants. La perspective des retrouvailles est embrumée par une potentielle nouvelle funeste. Et si le héros attendu était déjà enterré quelque part dans le vaste maquis ? Arezki, un garçonnet de 10 ans, perçoit nettement les angoisses de sa mère Ouezna. Il s’inquiète pour elle sans se préoccuper outre mesure du sort de son père, qu’il ne connaît pas vraiment. Sans prévenir, le maquisard revient chez lui, bien vivant.
Le bonheur de la petite famille dure le temps de quelques heures éphémères. Touchée accidentellement par une balle tirée pour fêter l’événement, Ouezna meurt sur le coup. L’enfant perd sa mère chérie le jour de ses retrouvailles avec son père. Son chagrin est incommensurable. Peu à peu, il parvient à se familiariser avec son patriarche, à lui vouer une admiration sans faille, considérant ses faits de guerre, sa bravoure, mais aussi sa bonté et son honnêteté.
Un jour, ce dernier ramène Houria, une fillette de 8 ans, témoin de l’exécution de ses deux parents par les soldats français. Les deux enfants grandissent ensemble comme frère et sœur, sous la tutelle d’Idir et de Sadia, une cousine germaine, ayant perdu l’usage de la parole après avoir été violée par un contingent de militaires français. C’est à travers leurs regards innocents et bienveillants que l’auteur aborde des événements et des vérités peu glorieuses de l’après-guerre d’indépendance.
L’oncle Salah incarne le harki, exilé en France pour échapper à la vindicte des moudjahidine. Chavane, révolutionnaire de la 25e heure, accapare, sans vergogne, les biens vacants ou pas vraiment, tandis que les véritables maquisards, dont le père d’Arezki, retournent humblement au travail de la terre. Arezki et Houria sont inscrits, en internes, dans une école encore française de part les cours dispensés et la nationalité des instituteurs.
Dans ce lieu de savoir, l’écrivain dévoile des drames et des traumatismes de la guerre par le truchement de vies d’enfants, majoritairement sans familles. Subtilement, il évoque les luttes intestines autour de la prise du pouvoir : les complots, les trahisons, les coups bas, les assassinats politique… Le FFS se rebelle. Ses partisans, dont le père d’Arezki, reprennent les armes pour restituer à l’Algérie sa souveraineté spoliée. “La Kabylie saignait en silence.
Des morts s’ajoutaient aux morts et le deuil entrait dans les mœurs. Les vivants devenaient des fantômes meurtris que l’état en folie cantonnait dans de lointains retranchements. Un rouleau compresseur broyait les montagnards qui refusaient de lever les bras (…).” Les insurgés sont vaincus. Outre le déshonneur de la défaite, ils subissent la déchéance de tous leurs droits d’anciens moudjahidine. Ils deviennent parias dans le pays qu’ils ont défendu, au gré de multiples sacrifices, contre le colonisateur. Les années passent. Les meurtrissures s’approfondissent et les désillusions croissent.
Fatalement, survient une confrontation entre Idir et Chavane, entre la loyauté à la patrie et la vilenie, jusqu’à l’enrichissement illicite et la compromission avec des cercles du pouvoir. Arezki, alors brillant étudiant, reçoit la balle mortelle. Avec sa mort, s’étiole l’espoir en un avenir meilleur porté par la génération postindépendance.
Souhila H.
Dans le ciel, des oiseaux et des étoiles, roman d’Ali Mouzaoui, éditions Frantz-Fanon, 2021, 256 pages, 700 DA.