Simple et modeste, à l’image de l’écrivain, a été l’hommage rendu hier à Mouloud Feraoun, dans son village natal de Tizi Hibel dans la région d’Ath Douala, dans la wilaya de Tizi Ouzou, à l’occasion du 60e anniversaire de son assassinat par l'OAS.
Mouloud Feraoun, auteur, entre autres, du roman Le fils du pauvre, est tombé sous les balles assassines de l’Organisation de l’armée secrète (OAS). Un groupuscule d'ultras opposés à l'indépendance de l'Algérie. Il a été assassiné le 15 mars 1962, sur les hauteurs d'Alger, à Ben Aknoun, avec cinq de ses compagnons – Ali Hamoutène, Salah Ould Aoudia, Etienne Basset, Robert Aymar et Max Marchand. Ils étaient tous inspecteurs des Centres sociaux éducatifs (CSE), des structures créées pour venir en aide aux plus démunis, notamment en assurant des cours d'alphabétisation. En ce triste 60e anniversaire, Tizi Hibel n’a pas oublié et se souvient encore de son fils prodige.
Hier à 10h30, la place du village grouillait inhabituellement de monde venu commémorer cet événement. Les villageois, dont de nombreux enfants en tenues traditionnelles, étaient là afin de rendre hommage à cet auteur qui a marqué par sa plume de nombreuses générations. C’était aussi l’écrivain des pauvres qui, à travers ses livres, racontait le quotidien, le vécu et la misère de la population de Kabylie durant la Guerre de libération. Il racontait les complaintes des villageois face à l’oppression.
Pour ce qui est du programme, il était modeste. Les activités commémoratives se sont déroulées au siège de la fondation Mouloud-Feraoun. Un édifice en pierre qui garde, comme une forteresse, la mémoire du fils de Tizi Hibel. À l’intérieur de la structure, des livres, des archives, des coupures de journaux, des citations et des portraits de l’écrivain accrochés aux murs. “On veille à garder la mémoire de Feraoun vivante et étincelante”, a lancé une jeune adhérente de l’association Mouloud-Feraoun, organisatrice de l’événement.
À l’extérieur et tout le long de la ruelle qui longe le siège de l’association, des portraits de Mouloud Feraoun, Fadhma Ath Mansour, Matoub Lounès et Guermah Massinissa étaient accrochés sur les façades, ravivant la mémoire de ces femmes et ces hommes natifs de la région et qui ont tant donné pour la culture, la littérature et les luttes démocratiques dans notre pays. Vers 11h, le signal est donné pour un recueillement sur la tombe de Mouloud Feraoun, en présence de sa famille, au cimetière du village. Les gerbes de fleurs étaient portées par les enfants du village, signe d’un prolongement d’une mémoire toujours vive de l’écrivain. Le recueillement a été suivi d’une remise de prix et de diplômes aux lauréats des concours organisés à cette occasion.
“Notre association n’a jamais raté le rendez-vous du 15 mars pour rendre hommage à Mouloud Feraoun. C’est plus qu’un devoir de mémoire. On sait bien que c’est une date triste, mais on la commémore chaque année pour garder le flambeau allumé”, a affirmé Mokrane Nessah, président de l’association Mouloud-Feraoun. “Notre association travaille aussi pour rendre hommage aux grandes femmes et aux grands hommes qui ont donné le savoir et leur sang pour l’Algérie”, a-t-il ajouté avant de revenir sur le programme de l’événement, en expliquant qu’en plus du recueillement, des activités culturelles étaient au menu.
Hommage à Feraoun, un devoir de mémoire
“Un concours éducatif entre écoliers, des animations théâtrales, des chants sont aussi au programme”, a-t-il relevé, précisant que des personnalités du village de Tizi Hibel seront encore honorées. Mokrane Nessah a évoqué un devoir de mémoire envers Mouloud Feraoun : “Nous avons organisé un simple hommage qui est un devoir de mémoire de Mouloud Feraoun dont l’œuvre restera éternelle. Il a tout donné pour l’Algérie et pour le monde de la littérature. Il a laissé un trésor, c’est pourquoi il faut le lire et le faire lire à la jeune génération, ce qui est notre but et notre souhait.”
Pour sa part, le représentant de l’APW de Tizi Ouzou, Djamel Aït Menguellet, a évoqué un écrivain et un grand homme : “Feraoun a laissé un capital et un riche patrimoine littéraire. Il a toujours été à l’avant-garde de la société algérienne en général et kabyle en particulier.” Et d’ajouter que cet écrivain a su embellir la région par ses expressions. “Aujourd’hui, nous n’avons pas le droit de l’oublier. Nous avons le devoir de faire revivre, à chaque occasion, son œuvre, pour que nous puissions sauvegarder son héritage”, a-t-il poursuivi.
Pour sa part, Ali Feraoun a évoqué un père mais surtout un écrivain dont l’œuvre est universelle. Malgré le poids des ans, le fils de l’écrivain a tenu, comme toujours, à être présent à cet hommage rendu à son père sur sa terre natale. Il était même ravi de voir que, 60 ans après l’assassinat de son père, les gens – et surtout des jeunes — viennent encore honorer sa mémoire. Une preuve qu’il est toujours, et pour toujours, présent. “L’œuvre de Feraoun est incontournable dans l’histoire de l’Algérie”, a, d’emblée commenté Ali Feraoun pour qui, les descriptions de la pauvreté, notamment dans les deux œuvres La terre et le sang et Le fils du pauvre sont la meilleure dénonciation politique du colonialisme. “On ne peut pas trouver une autre meilleure façon de dénoncer le colonialisme”, a-t-il estimé, tout en rappelant que l’œuvre de Feraoun est aussi universelle : “Lorsque vous parlez de littérature algérienne dans n’importe quel pays du monde, on vous cite Mouloud Feraoun.
Il faut savoir que le livre Le fils du pauvre s’est vendu à un million d'exemplaires...” Et d’affirmer : “Je suis même surpris de voir que les jeunes d’aujourd’hui connaissent Feraoun et son œuvre (...) Mon père n’a pas décrit sa personne et raconté sa propre histoire mais, il a narré l’enfance de chacun de nous. Chacun se retrouve dans ses romans. Les gens se retrouvent en lui. Ils retrouvent un enseignement utile et des encouragements.” “L’œuvre de Feraoun nous a permis d’exister”, a-t-il poursuivi, en insistant sur la sauvegarde de la mémoire de cet écrivain qui est parti de rien. “Le parcours de mon père est une leçon de travail, de vie, de sagesse, de sincérité et d’amour de la patrie”, a témoigné Ali Feraoun.
Né en 1913 dans le village de Tizi Hibel, Mouloud Feraoun publie son premier roman, Le fils du pauvre, en 1950. Il a été primé et largement salué par la critique. Auteur prolifique, il signe en 1953 La terre et le sang et en 1954 Jours de Kabylie, avant d'intégrer le catalogue des éditions françaises Le Seuil qui publient Les chemins qui montent en 1957.Mouloud Feraoun avait également traduit vers le français des œuvres du poète Si Mohand Ou M’hand, publiées en 1960 sous le titre Les poèmes de Si Mohand. Son journal, rédigé à partir de 1955, sera publié à titre posthume sous le titre Journal 1955-1962 ainsi que son roman inachevé, L'anniversaire, sorti en 1972 et La cité des roses, resté inédit jusqu'en 2007.
K.Tighilt