Né à Tizi Ouzou en octobre 1945, Youcef Dris a fait ses premiers pas dans le journalisme en 1970, en publiant des nouvelles dans la page culturelle d’“El Moudjahid”. Son premier roman, “Les Amants de Padovani”, a été apprécié par les lecteurs. Cela l’a encouragé à persévérer dans l’écriture et à publier romans, contes pour enfants, essais d’histoire… Il vient de récidiver en publiant “Ziryab, le maître de l’Andalousie”. Dans cet entretien, il se confie aux lecteurs de “Liberté” sur cet ouvrage et sur son parcours.
Liberté : Un nouveau livre sur Ziryab vient de paraître. Pourquoi ce thème et pourquoi ce personnage précisément ?
Youcef Dris : En réalité, même si je n’ai publié aucun ouvrage depuis quelque temps, je n’ai pas cessé d’écrire. Je ne m’impose pas de thématique particulière. J’ai toujours écrit selon l’inspiration, les idées, les faits divers, etc. Et tous les événements ou personnages historiques appartiennent à un fonds commun dans lequel chacun est libre de puiser son inspiration, d’où la diversité des sujets que je traite dans mes livres et dans l’écriture de scénarios pour le cinéma, puisque je m’y suis mis aussi. Le thème de mon nouvel ouvrage n’est pas fortuit. Tout le monde ou presque connaît les liens qui unissent ma famille à la musique et à la scène algériennes. Mon père, que Dieu ait son âme, a été un excellent musicien et un accordeur de piano hors pair grâce à une oreille musicale parfaite. Mon oncle El-Hadj Guerrouabi El-Hachemi, que l’on ne présente plus, a égrené ses premières notes de musique à l’âge de 10 ans, précisément dans l’arrière boutique de mon père (rue de la paix), à Tizi-Ouzou, et sur sa mandoline toujours accrochée au mur de l’horlogerie.
Mon jeune frère Sid Ali Dris, seul élève direct lui aussi du grand maître Guerrouabi, s’est frayé un chemin dans la musique, la chanson chaâbie et aujourd’hui la production et la réalisation d’émissions consacrées à cet art à la radio et à la télévision. Mes cousins de Tizi Ouzou et notamment le vénérable Cheikh Amar Dris ont formé des artistes, des chanteurs et des musiciens qui se produisent sur toutes les scènes d’Algérie et de l’étranger. Citer tous mes proches d’Alger, de Chlef ou de Kabylie qui brillent dans cet art me demandait tout un livre. Et à propos de livres, avant cet ouvrage sur Abu l-Hasan ‘Ali Ibn Nafi, mieux connu sous le nom de Ziryab ou Zeryab, ce chanteur, joueur de oud, compositeur, poète et enseignant, qui était également connu comme mathématicien, avec des connaissances en astronomie, géographie, météorologie, botanique, cosmétique, art culinaire et mode, j’avais publié, il y a quelques mois, un essai sur ce style de musique particulier au Maghreb qu’est le malouf. Cela répond à la question de pourquoi ce thème. Quant au personnage et pourquoi ce personnage précisément, c’est que Ziryab a révolutionné la musique andalouse dans le monde et a également révolutionné Cordoue, dont il a fait la capitale stylistique de son époque.
Qu’il s’agisse d’introduire de nouveaux modes et noubas, d’instruments adaptés à son style, de vêtements, d’aliments, de produits d’hygiène ou d’autres innovations encore, Ziryab a changé à jamais la culture andalouse et l’a imposée au monde entier. Les contributions musicales de Ziryab à elles seules sont stupéfiantes. Ziryab a transcendé la musique et le style et est devenu une figure culturelle révolutionnaire dans la péninsule Ibérique des VIIIe et IXe siècles et à travers le Maghreb, particulièrement en Algérie.
Il est paru chez un éditeur étranger ; pourquoi pas en Algérie ?
On sait tous, je parle des auteurs en général et des éditeurs en particulier, que le monde de l’édition en Algérie est complexe. Les coûts particulièrement élevés pour la réalisation d’un livre ne plaident pas en faveur d’une grande production livresque. Et l’État algérien tarde à instaurer une politique du livre qui aiderait les auteurs et les éditeurs à investir pleinement ce domaine avant qu’il n’y ait une déperdition totale d’une somme colossale d’œuvres qui pourraient enrichir le patrimoine culturel algérien et universel et de découvrir des auteurs de talent parmi ces nouveaux écrivains. L’État devrait aider les éditeurs à prendre en charge les nouveaux auteurs, leur permettre de pouvoir éditer leurs œuvres et ainsi contribuer à la renaissance de la culture multilingue dans notre pays, au lieu d’aller voir ailleurs. Tout le monde sait que la pire des tortures pour un écrivain, c’est d’écrire et de laisser son œuvre au fond d’un tiroir. Le plus grand plaisir d’un auteur n’est-il pas d’écrire et son plus grand désir n’est-il pas d’être lu ? Et s’il ne peut être publié chez lui, autant le faire là où c’est encore faisable aujourd’hui.
Vous avez un long parcours journalistique. Quelle période vous a le plus marqué ? Pourquoi ?
La meilleure période de mon parcours dans la presse est incontestablement les années 1970. Il y avait alors une ambiance, une atmosphère, une mentalité extraordinaires, et des plumes qui rivalisaient avec les plus grands du monde de la presse. Les défunts Kateb Yacine, Souissi, Mouloud Achour, Djaout, et bien d’autres encore aussi prestigieux les uns que les autres. L’Algérie pansait ses blessures, mais était belle et prometteuse. Ses enfants lui promettaient un très bel avenir, et leur enthousiasme était à la hauteur de leurs ambitions. Nos aînés journalistes nous ont appris l’humilité, mais aussi l’honnêteté et le travail bien fait. Je peux donc dire que durant les années 1970, même si tout n’était pas parfait, il faisait bon vivre, et nos écrits dans la presse reflétaient la réalité de notre quotidien : dur labeur, mais dans la joie et l’allégresse. Un élan qui fut, hélas, brisé par les années 1990, quand les journalistes en particulier étaient visés par le glaive de l’obscurantisme et étaient obligés de fuir ailleurs.
L’Histoire de la période coloniale semble vous avoir inspiré le plus...
C’est précisément cette période qui m’a le plus inspiré, en effet. Ainsi, mes essais sur notre histoire contemporaine et sur la révolution algérienne ont pris une grande place dans ma bibliographie, particulièrement Les Massacres d’octobre 1961 ou encore Le Combat des justes, qui est un hommage aux étrangers (Français et autres) qui ont combattu dans les rangs de l’ALN. Nous qui avions vécu la période coloniale, beaucoup d’émotions, d’événements, de sensations, de joies, de peines, de souffrances et parfois de plaisirs sont restés en nous et ne demandaient qu’à être mis en mots pour ne point les oublier. C’est un devoir de mémoire. Et c’est un rappel des milliers d’actes barbares qui ont “génocidé” le pays de saint Augustin de 1830 à 1962.
Vous avez aussi touché à la littérature jeunesse…
Écrire des contes pour enfants, c’est voyager dans le passé et l’enfance avec les mots comme véhicule. L’héritage oral de nos grands-parents a forgé en nous une histoire très personnelle pour chacun. Il n’y a pas de règles autres que le conte pour transmettre toutes les richesses qu’il comporte. Le plus important est le plaisir d’écrire pour les enfants, et celui de conter pour leur plaisir à eux. Tous les contes merveilleux, traditionnels ou modernes, conviennent à l’enfant. En fait, mon plaisir, ma joie, ce sont les réactions de l’enfant à l’écoute du conte narré par sa mère ou par son père, qui me renseignent sur l’intérêt que cet enfant éprouve et qui m’encouragent à écrire des contes. Si le message que contient ce conte lui parle, lui fait du bien, son enthousiasme le signifiera. Il réclamera inlassablement d’écrire une autre histoire.
De plus, les contes font travailler l’imagination et stimulent la créativité de l’enfant. Lorsque j’écoutais ma grand-mère me raconter ses merveilleux contes, parfois même inventés par son imagination, cela me rendait heureux. Ils me permettaient de m’évader dans un monde imaginaire le temps du récit, et je passais assurément un agréable moment avec cette aïeule vénérée. Lorsque j’écris des contes, j’ai l’impression de vivre un moment de partage et de bonne humeur aux côtés de cet enfant qui va les lire, tout comme les parents qui vont le faire lors de sa lecture. C’est à mon sens la meilleure façon de passer un moment plein d’émotion avec les enfants. La transmission est au cœur de cet échange, et le partage aussi ! Nous nous souvenons tous des contes que nous racontaient nos parents lorsque nous étions petits ; il ne faut pas priver les autres enfants de ces beaux moments et souvenirs…
Les Amants de Padovani est un roman qui a fait beaucoup de bruit...
À cet effet, je n’ai pas résisté à l’envie de l’adapter au cinéma pour que cette histoire touche encore plus de personnes. Le tournage du film, qui fut suspendu pour différentes causes (indépendantes de notre volonté, dit-on), reprendra enfin ces jours-ci et sera, nous l’espérons, projeté bientôt dans les salles de cinéma en Algérie et à travers le monde. Nous pensons, notre producteur, notre réalisateur et moi, à l’adaptation d’un autre de mes romans au cinéma. Le scénario est prêt, et la chasse à la “chance” de voir le projet se concrétiser est désormais ouverte...
Entretien réalisé par : Samira BENDRIS-OULEBSIR