Résumé : Après le départ de Saléha, Mimouna invite sa petite-fille à prendre le café dans la cour de la maison. Elle a préparé des beignets que la jeune femme apprécie. De fil en aiguille, la conversation bifurque vers Saléha. Mordjana est étonnée d’apprendre que ses parents avaient fait un mariage d’amour.
Mordjana est intriguée.
- Mais j’apprends des choses avec toi, grand-mère. Tout d’abord ton histoire avec ce Mahboub, puis maintenant celle de ma mère et de mon père.
La vieille hoche la tête.
- Je te l’ai déjà dit et je te le répète. Il n’y a pas un être humain au monde qui n’a pas connu l’amour. Même si dans le cas de tes parents les choses ne se sont pas déroulées comme il se devait, ils ont cependant connu le bonheur furtif des amoureux.
- L’idée de les unir était donc venue de toi ?
- Oui. Je n’acceptais pas de voir Saléha malheureuse. Elle aurait pu faire sa vie avec quelqu’un d’autre et partir loin de notre village. Mais je la voulais pour Ahmed car j’avais compris qu’ils se plaisaient. Je n’aime pas séparer les êtres. Je suis aussi romantique à mon âge que je l’avais été à mes vingt ans.
Mordjana sourit.
- Ma mère nous a caché cet amour.
- Elle ne pouvait le raconter, alors que les choses se corsaient de plus en plus. À son retour du service national, Ahmed a été embauché dans un grand magasin d’articles ménagers. Il gagnait assez bien sa vie et elle ne manquait de rien. Ensuite, et avec l’arrivée des enfants, le salaire s’avéra très vite insuffisant. C’est alors que Saléha devenait de plus en plus exigeante. Elle demandait tout le temps des choses et incitait Ahmed à les lui ramener dans les plus brefs délais. Dans le cas contraire, elle le traitait d’incapable et d’irresponsable. Pis encore, elle se refusait à lui ou le renvoyait de la maison. Le temps passait et les sentiments s’émoussaient. Saléha menaçait de prendre les enfants et de retourner chez ses parents. Ahmed venait nous retrouver pour nous narrer ses malheurs. Ton grand-père avait à maintes reprises tenté de mettre de l’ordre dans leur couple, en vain. Saléha était têtue et égoïste. Je découvrais en elle une facette que je ne connaissais pas auparavant. Elle devenait infernale et ne cessait de se lamenter. Avec cinq enfants sur les bras, ses parents ne voulaient plus d’elle chez eux. Elle se résigna alors à rester auprès de son mari, sans pour autant tenter de colmater les brèches de leur ménage. Ils étaient en quelque sorte désunis. Chacun vivait de son côté sans se préoccuper de l’autre. Et bien sûr, dans cette spirale infernale, ce sont les enfants qui ont payé le tribut de leur inconscience.
- Pourquoi ont-ils fait autant d’enfants ?
- Bof ! Je pense que Saléha voulait s’affirmer à sa manière. Pour elle, tant qu’il y avait les enfants, sa présence prenait davantage racine dans son foyer. Elle se sentait utile, voire indispensable. Je n’accuse pas uniquement ma bru, mais mon fils aussi est fautif dans ce qui arrive à sa famille. Les enfants étaient livrés à eux-mêmes. Heureux encore qu’ils n’aient pas viré vers des chemins malsaints. Ce n’est qu’une fois que tu as pu les prendre sous ton aile qu’ils se sont sentis un peu rassérénés. Tu as empêché le foyer de partir à la dérive, et maintenant c’est ta mère qui vient te reprocher ton détachement. Elle oublie qu’elle est la plus inconsciente dans cette affaire.
Mordjana dépose la tasse de café et s’essuie la bouche et les mains.
- J’ai fait ce que j’ai pu pour la famille. Maintenant je dois moi aussi penser à mon avenir.
- Tout à fait, ma chère petite. Dieu t’a permis de t’évader pour vivre plus sereinement. Ne rate pas cette opportunité.
- Ma mère ne me le pardonnera pas. Elle pense que je la dénigre.
- Tant pis. Elle n’a qu’à s’en prendre à elle-même. N’est-ce pas qu’elle
t’a empêchée de terminer tes études pour te maintenir auprès d’elle ? N’est-ce pas là une bonne leçon d’égoïsme ? On n’a pas idée de sacrifier l’avenir de sa propre fille. Maintenant que tu as pu remonter de l’abîme où elle t’avait jetée, elle refuse d’admettre ta réussite. Encore une autre preuve de narcissisme.
Mordjana baisse les yeux.
- Malgré tout, je n’aime pas la savoir en colère contre moi.
- Elle ne le sera pas longtemps. Tu verras, elle viendra elle-même te demander de venir à la maison afin d’en mettre plein la vue aux voisines. Tu la connais mieux que moi dans ce domaine. Elle aime se vanter d’avoir une fille bien mariée et qui a adapté le style de vie de la grande ville.
- Tu crois, grand-mère ? Tu crois qu’elle reviendra ?
La vieille femme met une main sur son bras.
- Ne t’occupe plus de ça. Les choses vont rentrer dans l’ordre plus
tôt que tu ne le crois. Pense plutôt à ta propre situation. Le reste ne compte pas.
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